“Bien peu de personnes sont conscientes de ce qui a cours dans l’expérience amoureuse qu’elles vivent. Les intéressés diront en effet :”J’ai trouvé le grand bonheur : j’aime et je suis aimé!” Mais le bonheur ressenti alors ne vient pas de ce qu’ils sont aimés, mais de ce qu’ils sont mis en contact avec leur propre mystère par l’intensité d’un regard qui s’est arrêté sur eux. (…) C’est là que se cache le secret du grand amour : être mis en contact avec son propre mystère par l’intensité d’un regard posé sur soi. c’est là un premier seuil. Il te faudra un jour y parvenir par toi-même, sans l’aide du regard extasié de l’autre. C’est là le deuxième seuil. Enfin, le troisième seuil est celui de ta rencontre, non plus avec un humain, mais avec Dieu découvert au fond de ton mystère.”

Yves Girard, Baiser à baiser .

Dans Baiser à baiser , l’auteur, moine cistercien au Québec, livre une méditation, et même une initiation spirituelle, à partir du commentaire de Guillaume de Saint-Thierry, moine cistercien du XIIè siècle, sur le Cantique des Cantiques. Guillaume commence ainsi : “Qu’il me baise d’un baiser de sa bouche ! C’est fini ! Je ne veux plus de baisers étrangers (Dieu qui lui parle par l’Ecriture, et les prophètes). J’exige d’être enseigné ouvertement sur Dieu, face à face, les yeux dans les yeux, baiser à baiser.”

Photo : Armie Hammer et Timothée Chalamet, acteurs de Call me by your name.

Fraternité amitié amour. Voilà encore un de ces triptypes que j’aime bien. Vous savez, ce genre de concepts qu’à l’usage on prend parfois les uns pour les autres ; et pas qu’à l’usage d’ailleurs, c’est parfois si confus dans nos coeurs, nos esprits et nos corps !

D’amitié, j’ai rêvé. Sublime, merveilleuse, asexuée en quelque sorte. J’en ai rêvé, je l’ai touchée également. Elle m’était donnée, je ne faisais que recevoir, tellement conscient que j’étais de n’avoir rien fait pour éprouver une telle beauté, une présence et la force de vie surgie de nulle part, d’un tréfond de moi-même et que la rencontre avec l’autre venait tout à coup éveiller. Oui j’ai cru qu’elle était don de Dieu, elle était tellement belle, j’en étais l’invité, elle était l’hôte. Comment ne pas imaginer quelle est don de Dieu et promesse d’un amour qui remplit tout, qui donne sens, qui ait une telle évidence que plus rien n’a d’importance que lui.

Mais il me faut pourtant apporter des nuances. Par exemple, j’ai dit qu’elle était asexuée. De fait, son objet n’était pas le sexe, mais elle était clairement ressentie à l’égard d’un autre homme. Et il se pourrait que ce fut juste mon immaturité de jeune homme naïf et exalté qui ne l’ait pas conduite dans une expression corporelle. Elle aurait pu se muer en tendresse et en expression sexuée ou sexuelle. Juste pas eu le temps. Est-ce que cela l’aurait affectée, transformée, réduite en luminosité ? Je n’en sais rien.

Par ailleurs elle introduisait à un amour plénier, un amour de toute l’humanité mais il est si clair aussi que le catalyseur en était cette relation privilégiée. Certes, j’aimais le monde entier mais c’était à travers cet éveil à la beauté intérieure et partagée que provoquait la rencontre avec cet ami. Et comment ne pas constater que j’avais un amour préférentiel pour cet ami ? Au fond, probablement étais–je amoureux (j’en parle ici) et appelais-je amitié l’embrasement soudain de deux cœurs et de deux vies qui me semblait si merveilleux que même l’amour, à ce que j’en savais – c’est- à-dire fort peu et seulement à considérer les couples formés autour de moi – me paraissait fade.

A l’époque, j’aurais aisément parlé d’amitié spirituelle pour qualifier notre relation. Et mes lectures mystico-monastiques des auteurs cisterciens comme Aelred de Rielvaux m’encourageaient en ce sens. Pas sûr que je comprenais bien ce que je lisais, mais mon cœur s’enflammait dans ce genre de lectures et semblait y voir la confirmation de ce qu’il éprouvait. De là à imaginer que cette amitié était œuvre de Dieu, que Dieu allait s’en servir pour faire je ne sais quoi, il n’y avait qu’un pas. Et même si c’est vrai, alors, était-ce aussi Dieu qui nous parlait quand nous fûmes séparés ? Dieu a donné, Dieu a repris, loué soit son nom ? Et cette douleur qui reste au fond de l’âme, cette souffrance d’être brutalement séparés, cette incompréhension qui en résulte sur le sens de l’existence et qui, d’une certaine manière, m’a poursuivi jusqu’à aujourd’hui ? Cette nostalgie surtout d’une beauté un instant entrevue, éprouvée et partagée et qui semble désormais inaccessible… sinon en allant la chercher loin, loin, profond, très profond au-dedans de moi.

Avec les années m’est venue une autre révélation, celle de ma structure psychologique. Cette beauté ressentie qui semblait raviver et constituer mon être, cette fusion entre nos âmes, n’était-elle pas aussi préparée, provoquée peut-être, par des blessures d’enfance, un besoin d’amour et d’assurance inassouvis par l’insuffisance de l’amour maternel ? Et alors ce ne serait que ça ? Oui, probablement, cela m’a préparé à vivre cette expérience. Et non, cependant, cela ne suffit pas à expliquer l’intensité, la fulgurance et la douceur tout à la fois de ce qui nous est arrivé, cette sensation d’entrer dans une Présence, d’être habités de cette présence. Elle survient du fond de nous, mais en même temps c’est parce que l’autre vient de la réveiller en même temps qu’elle se réveille en lui ; et cette Présence, cette « amitié » ne nous appartient pas, elle nous échappe, elle nous entoure, nous remplit, nous rassemble, mais nous n’avons pas la main dessus. Elle est là, merveilleuse de douceur et d’unité, et, même si elle vient de nous, elle n’est pas de nous.

Elle a aussi des aspects curieux, même si c’est marginal : le fait de penser instantanément la même chose d’événements vécus ensemble sans avoir besoin de se parler, de sentir sur un regard échangé en silence ce qui nous avons à faire, ou plus bizarrement cette capacité à faire les mêmes rêves, la même nuit, à 200 km de distance l’un de l’autre, sans s’être contactés auparavant comme on le ferait aujourd’hui si facilement par un réseau social, téléphone ou mail.

Souvent nous avons pensé à cette expression citée par les Actes des Apôtres (Act 4,32) : “Ils n’avaient qu’une seule âme et qu’un seul coeur.” Ou au Psaume 132 : “Qu’il est bon, qu’il est agréable pour des frères d’habiter ensemble !” Sauf qu’ils s’agit là d’exemples communautaires, et qu’en fait de communauté, nous n’étions que deux, totalement épris l’un de l’autre sans le savoir, dans un climat de complicité innée totale.

Alors amitié ou amour ? Ca n’est toujours pas clair pour moi. Un peu des deux, peut-être ? En fait le mot n’a pas d’importance. Il y a tellement de manières différentes d’éprouver et de parler tant de l’amitié que de l’amour ! Je ne peux parler que de celle que je connais pour l’avoir vécue. Peut-être cela ne correspond pas à ce que d’autres en diraient mais ça n’est pas grave car je ne prétends pas faire une théorie sur le sujet.

Pour moi, l’amour ou l’amitié se sont découverts avec une rencontre précise et quelques fragrances depuis, en général non partagées. J’en retiens que je ne sais pas aimer de manière universelle mais seulement de manière particulière, et que c’est ce particulier qui m’ouvre à l’universel. Un particulier chaque fois différent, chaque fois singulier, avec ce risque permanent de captation de l’autre, de son attention, de son amour pour ma satisfaction personnelle, pour contenter mon besoin de tendresse et de reconnaissance, pour combler le vide de l’amour pas assez reçu aux moments décisifs de mon histoire. Ce risque, je le connais. Plus je le connais, mieux je l’appréhende, plus je l’apprivoise. Et plus je l’apprivoise, plus je puis rencontrer autrui sans enjeu de captation, juste rencontrer et constater que cette beauté originelle est également en lui, même s’il ne le sait pas. Se tenir en présence de cette beauté, en être le témoin, parfois l’éveiller et l’accompagner dans son déploiement, sont des moments eux aussi merveilleux. Secrets et merveilleux.

La fraternité naît de ce constat d’une commune humanité, et plus exactement d’une commune étincelle en chacune de nos vies, qu’un rien suffirait à allumer si nous y étions disponibles. En attendant, l‘entretenir et la faire grandir – chez moi comme chez l’autre – pour le moment où, mystère divin, elle grandira tout à coup comme un feu, sans qu’on sache si c’est comme poussé par un grand vent intérieur qui soufflerait dessus et l’amplifierait ou si c’est de s’éveiller en réponse à une autre étincelle, un autre embrasement, provoqué par la rencontre ou bien par l’indignation face à une situation d’injustice qui remettrait en cause notre commune humanité. Les deux sont possibles.

Ces quelques lignes sont le prolongement d’une réflexion entamée avec un interlocuteur qui se reconnaîtra peut-être en lisant ces quelques lignes mais dont je n’ai pas à partager la teneur. Il y a juste ces quelques mots qu’il lâche au milieu d’un de nos échanges : « J’ai besoin oui d’un frère qui sache me regarder ainsi… » Mots qui à la fois m’interpellent, me renvoient à une nécessaire humilité, mais aussi à l’obligation de témoigner pour que d’autres trouvent leur chemin pour autant que ce que j’ai pu parcourir puisse les y aider.

C’est quoi un frère sinon quelqu’un en qui l’on reconnaît une commune humanité, et donc, dans une perspective chrétienne, une communauté d’origine et de visée vers l’avenir ? L’éveil et l’entretien de cette beauté fait partie du programme.

Z.

Source image : trouvée le 15 août 2018 sur abraxas-excaliber.tumblr.com, blog aujourd’hui sans contenu.

Graham Nash – Try to find me / Essaie de me trouver/strong>


I’m In Here,
With A Lonely Light,
But Maybe You Can See Me.
Oh, And I’m In Here,
With My Mind On Fire.

Do Your Best And Try To Find Me.

Under Me,
There’s A Lovely Light
That Screams For A Little Daylight.
Oh, And Through My Eyes,
I Can See For Sure
That My Soul Shines On.

So Try To Find Me.

`Cause I’m Trapped In The Web Of A Dark Night.
Won’t You Please Be My Bridge In the Daylight?
‘Cause When I Know I Am Loved, I Am All Right.

So Try To Find Me.
Try…

Try To Find Me
`Cause I’m Trapped In The Web Of A Dark Night.
Won’t You Please Be My Bridge In the Daylight?
‘Cause When I Know I Am Loved, I Am All Right,
All Right, all right…

So Try To Find Me.

Oh, Hear My Heart.
It’s The Same As Yours,
But It Beats With A Distant Thunder.
Oh And I’m Still In Here
With My Heart So Pure.
I Can Say No More.

But Won’t You Unlock My Door,

And Try To Find Me.

 

Je suis là,
Avec une lumière esseulée,
Mais tu peux peut-être me voir.
Oh, et je suis là,
Avec mon esprit en feu.

Fais de ton mieux et essaie de me trouver.

Au fond de moi,
Il y a une jolie lumière
Qui crie après un peu de lumière du jour.
Oh, et à travers mes yeux,
Je peux voir pour sûr
Que mon âme brille.

Alors essaie de me trouver.

Parce que je suis coincé dans la toile d’une nuit noire.
Ne veux-tu pas, s’il te plaît, être mon pont vers la lumière du jour?
Quand je sais que je suis aimé, je vais bien.

Alors essaie de me trouver.
Essaie…

Parce que je suis coincé dans la toile d’une nuit noire.
Ne veux-tu pas, s’il te plaît, être mon pont vers la lumière du jour?
Quand je sais que je suis aimé, je vais bien.
Je vais bien,
je vais bien…

Alors essaie de me trouver.

Oh, entends mon coeur.
C’est le même que le tien,
Mais il bat avec un bruit de tonnerre au loin.
Oh et j’en suis toujours là
Avec mon coeur si pur.
Je ne peux pas dire plus.

Mais ne veux-tu pas déverrouiller ma porte

Et essayer de me trouver ?

Rien ne laisse plus intranquille qu’une rencontre. Qu’elle génère de l’agacement, de la passion, un trouble, une reconnaissance, une dette, une familiarité inédite, une étrangeté dérangeante, la rencontre laisse dans son sillage un visage et des questions irréductibles. Questions légères qu’on aura semées au premier virage, questions lancinantes qui nous hanteront longtemps : qui est cet autre dont je n’arrive pas à oublier le visage et dont les paroles me rattrapent dans le silence ? Qu’est-il venu semer dans ma vie? Un renouveau salvateur, une confusion qui me menace gratuitement ? On ne sort jamais indemne de l’épreuve d’altérité, à moins bien sûr de toucher sans se laisser toucher, de parler sans entendre en retour, de contourner ce qui en l’autre est inédit.

Marion Muller-Colard, L’intranquillité.

Source photo : pinterest

Le christianisme “officiel” (au sens large) a vraiment un problème avec l’homosexualité. Bien sûr, on pourrait se dire que cela provient d’une mauvaise interprétation des textes bibliques et cela est vrai, même si ce n’est pas encore assez su. Mais cette explication ne suffit pas. Au delà, il y a cette espèce d’orgueil qui fait se penser supérieur, et que toute différence serait mauvaise ou oeuvre du démon. Je serais parfait et l’autre serait imparfait. Facile pour une majorité hétéronormée qui se veut pure et parfaite de juger que ceux qui sont différents seraient impurs et imparfaits. Sans compter l’effet multiplicateur de ceux qui, au fond, sont homosexuels aussi mais ne peuvent l’admettre socialement et qui surenchérissent en homophobie.

C’est le drame de tellement de chrétiens. Victimes de l’homophobie latente, non pas des religions, mais du désir de puissance et de perfection de quelques-uns qui essaient de se faire passer pour des “purs”.

Voici ci-dessous le témoignage d’un pasteur baptiste, publié sur l’excellent blog de Carlos Osma, homoprotestantes.blogspot.com.
Ce témoignage pose deux questions fondamentales : d’abord, celle de la non acceptation de l’homosexualité par les églises, en dépit du bon sens, mais aussi celle de l’homosexualité des hommes mariés et soumis normalement, par le sacrement du mariage, à l’obligation de fidélité à leur femme. Cette question n’est jamais abordée nulle part dans les réflexions morales ou sacramentaires. Or,elle est importante. Des hommes se sont mariés, sous la pression de l’environnement ambiant, y compris ecclésial, alors qu’ils se savaient homosexuels. D’autres se sont découverts ou assumés homosexuels sur le tard après une vie conjugale et parfois des enfants. C’est leur réalité humaine. On en peut pas la balayer d’un trait en argumentant que ce n’est pas normal, que c’est mal ou que c’est pécher.

Tôt ou tard, nos églises devront bien se pencher sur cette réalité qui est qu’on ne se connaît pas vraiment à 20 ou 30 ans et que la vie nous transforme ou nous révèle à nous-mêmes. Qu’en est-il alors des promesses éternelles qu’on aurait pu se faire auparavant ? Etait-ce sérieux ? Etait-ce crédible ? Etait-il légitime de nous conditionner à dire et penser et croire que ces engagements étaient forcément éternels?

Conversations avec un pasteur dans le placard

Je suis un pasteur protestant qui réprime mon orientation sexuelle. Je vais bien, j’ai des filles merveilleuses et une femme extraordinaire, mais je suis dans le pétrin.

Te considères-tu comme hétérosexuel, gay, bisexuel ?

Eh bien, je me suis marié très jeune à cause de la pression de l’environnement dans lequel j’ai vécu toute ma vie, l’église, l’Institut biblique… Tout le monde s’est marié, j’ai épousé une compagne que je n’aimais pas, je peux être avec elle mais je n’ai jamais pu m’amuser avec une autre femme, je ne l’ai jamais fait de toute ma vie. Dis-moi alors: qu’est-ce que je suis?

Avoir des relations sexuelles avec une femme et/ou un homme ne fait pas de toi un homosexuel, un bisexuel ou un hétérosexuel. Ton orientation sexuelle est déterminée par l’attirance que tu ressens. Si tu te sens attiré exclusivement par d’autres hommes, je dirais que tu es gay. Dans ton environnement, les gens sont-ils inclusifs ?

Pas du tout ! Tous sont homophobes et je dois faire semblant, mais j’essaie de faire prendre conscience aux gens des péchés très graves que nous prenons pour licites, parce que culturellement nous les avons acceptés…

Es-tu d’une tradition protestante ou évangélique?

Baptiste, très conservateur sur ce sujet.

Bon, les églises baptistes en certains endroits ont une attitude plus progressiste et inclusive… Aussi, je pense que cela a davantage à voir avec l’homophobie de ton environnement ambiant. Qu’est-ce que tu ressens ? Qu’est-ce qui te passe par la tête ?

Que pour répondre aux attentes des autres, je me suis mis dans une impasse. Maintenant que j’ai des enfants, avec une responsabilité pastorale, j’ai l’impression que les gens de ma communauté ressentent une grande sympathie pour moi. Les finances ne sont bonnes, mais je reçois un salaire pour mon travail, j’ai peur d’être réfréné et, un jour, d’exploser en vol. Il y a tant de choses… Parfois, j’aimerais fuir, prendre quelques jours, être loin, méditer, mais ma femme me pose des questions: où étiez-vous, avec qui, où es-tu allé, etc., des choses que seuls ceux d’entre nous qui sont mariés comprennent. J’aimerais avoir un autre travail, non pas parce que le poste actuel ne me plaît pas, mais je ne veux pas me sentir hypocrite,

Est-ce que ta femme sait ?

Avant de nous marier, je lui ai dit, j’ai été très clair. Tout d’abord, j’ai dit: “Je ne suis pas amoureux de toi, j’aime une autre femme et je suis dans un tel bazar… J’ai été victime de violence quand j’étais petit et je suis attiré par d’autres hommes, j’ai même été avec certains.” Elle m’a dit qu’elle comprenait ce qui se passait, mais que si j’avais foi en Dieu, il m’aiderait, et des choses du même genre…

D’après ce que tu dis, je crois comprendre que tu penses que les abus dont tu as été victime en tant qu’enfant sont la raison pour laquelle tu es gay, ai-je raison ?

Je suppose qu’à partir de là, j’ai développé mes préférences, je n’avais jamais été avec une femme auparavant, même quand j’étais très amoureux et, dès mon plus jeune âge, j’ai entretenu des relations avec d’autres hommes.

Je vois que tu vis ton orientation sexuelle avec culpabilité, tu ne penses pas que Dieu t’accepte? Tu ne penses pas qu’il t’aime tel que tu es ?

C’est ce qu’on m’a appris, je vais en enfer pour la sodomie et ces choses-là …

L’orientation sexuelle de quelqu’un n’a rien à voir avec la maltraitance, en tout cas le contraire. Les personnes hétérosexuelles qui ont été victimes d’abus n’essayent pas de justifier leur orientation sexuelle en raison des abus dont elles ont été victimes.

Je ne le justifie pas, ce que je dis, c’est que ce qui m’est arrivé a d’abord généré une phobie, puis une attraction. À l’adolescence, j’ai commencé à rechercher des relations avec d’autres hommes.

Je pense que tu relies un fait terrible qui t’est arrivé avec le rejet de ton orientation sexuelle parce que tu as intériorisé l’homophobie de ton environnement. Peut-être devrais-tu te rendre compte que non seulement tu as subi un abus, celui-là
de ton enfance, mais qu’il y en a aussi un autre qui te fait te culpabiliser de qui tu es. C’est un abus que la famille, la société, l’église ont commis sur de nombreuses personnes comme toi. Au lieu de les aider, cela les culpabilise encore plus.

Oui, je comprends. Mais mon choix de vie en son temps, erroné ou non, a généré des innocents, des femmes, des filles, un ministère, tout ce que je ne peux pas quitter…

J’imagine que si tu avais vu une possibilité, tu en aurais profité pour être toi-même.

Oui je sais. Je vis d’un ministère et cela semblera stupide, mais que puis-je faire à mon âge ? C’est ce que j’ai étudié, ce que j’aime et ce que je fais facilement…

D’un côté, je te comprends mais il est vrai que, d’autre part, la foi nous pousse à être cohérent … Je ne sais pas où tu es, comment tu te vois, si tu sais que Dieu t’aime tel que tu es, ou si tu penses toujours qu’il te rejette … Mais tu es dans une situation compliquée, c’est évident, mais pas impossible, ça dépend en grande partie de toi.

Déjà, j’assume que Dieu m’aime, j’ai laissé tomber la culpabilité : concrètement, je suis plus inquiet pour les choses pratiques: les finances, mes filles, la maison, ces choses qui t’obligent à rester.

Je me demandais comment tu aimerais que ta vie soit…

Libre, sans cette confusion ni cette indécision, c’est si difficile.

Tu connais d’autres chrétiens homosexuels?

Oui, un autre ami pasteur, mais il n’a pas pu m’aider beaucoup, et j’avoue que nous avons commis l’erreur de coucher ensemble et que cela m’a rendu encore pire.

Tu imagines avoir toujours une double vie ?

Non, mais je ne vois pas d’autre issue maintenant. En particulier, mes filles sont encore au lycée. Cela semble terrible, mais je ne peux rien faire d’autre que d’être pasteur. Je ne gagne pas beaucoup, mais suffisamment pour avancer avec ma famille. C’est très vil, je sais, mais c’est la vérité.

Ta situation n’est pas très différente de celle des autres gays et lesbiennes chrétiens : marié, avec des enfants, des responsabilités dans l’église … Et finalement, tout se résume à répondre à la question de ce que tu es prêt à perdre pour être qui tu es.

Ce serait irresponsable de ma part, nous vivons dans la maison de l’église, ce qui nous limite complètement. Si je sortais du placard, tout serait chaotique.

Je te le demande à nouveau … Comment voudrais-tu que soit ta vie ? Penses-y un instant et explique-moi quelle vie tu aurais aimé avoir.

Etre libre, autonome, ne pas être marié et ne pas avoir assumé autant de responsabilités : je ne renie pas mes filles, elles sont une bénédiction et elles me rendent très heureux. Mais ce n’est pas la vie que j’ai imaginé …

Aimerais-tu pouvoir continuer à être pasteur, épouser un autre homme, faire en sorte que tes filles acceptent ton désir d’être heureux ?

C’est mon combat, j’accepte de vivre dans le placard, mais l’autre chose me rend très fort …

Fort … qu’est-ce que cela signifie?

Il faudrait que j’aille loin, mais cela les stigmatiserait, je sais qu’ils souffriraient à cause de moi. Parfois, je leur dis en plaisantant que je veux aller dans une autre ville pendant un moment, mais pour commencer je n’ai pas d’argent … Mon environnement est ultraconservateur, une famille chrétienne depuis des générations, je suis un pasteur respecté et apprécié … Je ne suis pas prêt, mais l’indécision me rend malheureux. Parfois, j’ai pensé qu’elle me quitterait, surtout après avoir découvert mes infidélités, mais ça n’a pas été comme ça. Elle est avec moi pour les filles … Bien qu’au fond de moi, je sais qu’elle m’aime et c’est pourquoi elle préfère ne pas voir ce qui se passe, comme si le problème n’existait pas … et nous n’en parlons même plus ….

Tu es chrétien et pasteur, qu’est-ce que cela signifie dans ta situation d’être un chrétien cohérent ?

Je ne sais pas, franchement. Je pense avoir conceptualisé le Christ en fonction de ma culture et de ma formation. Est-ce qu’il se renierait lui-même, est-ce qu’il assumerait ses responsabilités?

Penses-tu que sa mort sur la croix était pour nier qui il était ou pour l’affirmer? Était-il lui-même ou ce que les autres attendaient de lui ?

Il était Lui, je ne sais pas où tu m’emmènes. Il a choisi pour nous quand il pouvait choisir de ne penser qu’à lui-même: n’est-ce pas l’exemple que je devrais suivre?

Il y a eu un moment dans ma vie où je me suis posé cette question … et j’en suis venu à la conclusion que Jésus n’était pas ce que les autres attendaient, et il ne s’est pas comporté comme les autres le souhaitaient. Jésus était ce que Dieu voulait, et bien que les autres ne l’acceptaient pas, il a assumé sa situation et a affronté la vie … Pour moi, Il n’a pas été facile de sortir du placard, mais je ne pense pas que l’expérience d’une personne chrétienne offre une autre possibilité que d’être intègre, et authentique.

Eh bien, c’est le “coeur de la question”. Je n’étais avec personne depuis six mois, mais un mois plus tôt, j’ai rencontré un autre homme, je me sentais très bien. Le danger que je vois maintenant est que, contrairement à d’autres fois, cette fois-ci, je ne me suis pas senti coupable.

Je ne pense pas que tu devrais sortir du placard parce que tu connais quelqu’un qui te donne la sécurité … On fait un coming out, tout seul. Écoute, j’ai souvent parlé à des personnes gays ou lesbiennes que je connais et qui sont armées … C’est dans ces moments où je suis plus confiant que j’ai bien fait d’être moi-même. En fin de compte, tu peux vivre tranquillement, sans ces noeuds dans ton estomac, sans la peur d’être découvert, sans le sentiment de ne pas bien faire les choses …

Bien oui. Je partirais si mes finances le permettaient, mais malheureusement, ce n’est pas comme ça.

Une question … et je change de sujet, quand dans ta communauté, quelqu’un parle d’homosexualité (je suppose que ça n’est pas en bien), comment te sens-tu ?

Mal, j’essaie de faire référence au fait qu’il y a des péchés si terribles, ou plus que cela.

Il y a sûrement eu quelqu’un qui a découvert …

Je suis compatissant, j’encourage les autres à faire preuve de miséricorde et non à juger.

Que voudrais-tu pouvoir faire si cela ne te dévoilait pas ?

Aider, aider ces personnes à choisir leur vie …

Et comment te sens-tu à ne pas le faire?

Faire quoi?

Dis-leur que Dieu les aime tels qu’ils sont, qu’ils doivent être forts, qu’ils doivent avoir confiance en Dieu et que c’est une bénédiction pour l’église qu’il soient tels qu’ils sont.

Je n’aurais pas peur de le faire, même si l’église m’excommuniait.

À quoi penses-tu lorsque tu prêches sur le texte du Bon Samaritain ?

Le traditionnel, l’acceptation des autres, la compassion, etc. Nous avons un groupe d’hommes qui se rencontrent une fois par mois, tous des machos à mourir. Nous faisons des débats et, une fois, nous avons parlé de l’homosexualité, certains sont plus compatissants, mais la plupart ont été directs: “il n’y a pas de salut pour les pédés”.

Ne te rends-tu pas compte que le christianisme t’implique? Ne vois-tu pas que tu décaféines tout par peur? Que dis-tu aux gens quand tu prêches… Que devraient-ils faire, ce qu’on attend d’eux ou être cohérents ?

Tu me trompes, haha, je suis tout dans le chaos, je dis ce qu’ils m’ont appris, à l’ancienne !

Seulement, tu vis ta vie, c’est difficile pour une autre personne de vraiment savoir ce que tu vis, mais je pense que si tu as décidé d’être pasteur, c’est parce que tu veux aider les gens, tu veux transmettre le message de Jésus … pas un message théorique, mais un engagement… Et cela te concerne aussi. La peur paralyse, et je le comprends, mais cela ne peut pas tout justifier.

Allez! C’est ma vie depuis que je suis enfant : tu grandis dans l’église, tu te convaincs de tout ce qu’ils disent, puis tu vas au séminaire, tu travailles comme missionnaire… Le temps passe vite… Puis les enfants arrivent, et tu m’as là. Je verrai ce qui se passe et si un jour j’ai le courage et les moyens de tout quitter.

Ne le laisse pas passer trop longtemps, tu sais que tout va très vite et que des décisions aussi importantes que celles-ci ne doivent pas être reportées. Du moins, si nous sommes faits pour être heureux. Excuse-moi si j’ai été un peu dur avec toi.

Pas du tout, mais j’avais besoin d’entendre quelque chose comme ça. En tout cas, je pense que tu me comprendrais mieux si tu étais dans ma peau. Il y a quelque temps, j’étais sur le point de quitter ma famille pour quelqu’un, mais mes enfants ont besoin de moi à la maison et j’ai besoin d’eux.

Je suppose que tu as raison en partie, bien qu’à aucun moment je n’ai parlé d’abandonner tes responsabilités en tant que père. En outre, nous qui ne somme spas dans ta peau, nous aurions pu le faire, mais parce que, à un moment de notre vie, nous avons décidé de tout risquer pour rester cohérents avec nous-mêmes et avec l’Évangile. Et même si nous le faisions mille fois, cela ne serait jamais facile.

Carlos Osma

Source texte : homoprotestantes.blogspot.com

Source image : Sébastien Thibault pour BuzzFeed