Businessman with crown sitting at desk

Jésus répondit :
« C’est toi-même qui dis que je suis roi.
Moi, je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci :
rendre témoignage à la vérité.

Quiconque appartient à la vérité
écoute ma voix. »

(Jn 18,37)

 

 

“Je suis né et venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité”

 

Jeu de mot imperceptible en français sur le fait d’être roi. Certaines traductions préfèrent faire dire à Jésus : “tu l’as dit, je suis roi”, et cela est correct aussi. Mais de quelle royauté parle-t-on ?  Sinon celle de la sagesse perdue pour les rois de la terre et retrouvée en Jésus. Celle que l’on retrouve aussi dans le règne-modèle du roi Salomon.

La sagesse-vérité,
la sagesse fondement,
la sagesse qui révèle
d’où l’on vient et où l’on va
sans erreur possible sur la trajectoire.

Je suis roi (Basileus), pas un roi de pouvoir, un roi de de fondement. (‘Basileus‘  vient de ‘Basis‘, qui désigne souvent “les pieds”, c’est-à-dire à la fois ce avec quoi on marche et ce sur quoi on s’appuie, ce qui fonde, ce qui est sûr et fait aller de l’avant)

Je suis roi,
pas un roi de pacotille,
pas un roi qui gouverne à la surface des choses,
pas un roi imbu de son importance parce qu’il tient des êtres et des choses sous sa domination.

Je suis,
assis en ma base, posé en ma base.

Je sais d’où je viens, et où je vais.
Cela seul compte : la Vérité de ce que je suis,

La vérité d’où je viens, de qui je viens,

Et ultimement à qui je dois révérence.

Je suis né et venu dans le monde,
pour cela :

Cette vérité,

Qui est en moi,
Qui est en toi.

Ton origine et ta destination,

Ne te perds pas en chemin !

 

Z –  22/11/2015

 

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Méfiez-vous des scribes, qui tiennent à se promener en vêtements d’apparat
et qui aiment les salutations sur les places publiques, les sièges d’honneur dans les synagogues,
et les places d’honneur dans les dîners.

(Marc 12,38)

 

Vêtement d’apparat, vêtement d’apparence…

Décidément ! L’aveugle lâche son manteau pour se laisser propulser à Jésus, les scribes eux revêtent « un vêtement d’apparat ». Ne vous y trompez pas, dit Jésus, dans cette longue tirade sur l’hypocrisie et les impasses auxquelles mène le fait de miser sur l’apparence.

 

L’apparence est trompeuse pour soi : on finit par y croire, c’est tellement plus facile et agréable d’adhérer à l’image idéale de soi ; mais elle est aussi trompeuse pour les autres. Cela paraît encore plus grave lorsqu’on est chargé de donner l’exemple et d’accompagner ou conduire les autres à Dieu. D’où probablement ce jugement sévère de Jésus à l’encontre de ceux qui se promènent en « vêtement d’apparats et aiment le salutations sur les places publiques » (Mc 12,38).

 

Etymologie grecque 

Le mot grec qui a été traduit par « vêtement d’apparat » est stole, il désigne les longues robes que les prêtres, rois  et toute personne d’importance portent à l’occasion de l’exercice de sa fonction, pour en montrer la dignité. Mais c’est aussi le terme qui a donné en français le mot « étole », étant entendu qu’il ne s’agit pas à l’origine d’une bande de tissu en forme d’écharpe mais d’un grand habit qui recouvre, attaché ou pas, et qui indique la dignité de la fonction qui est exercée. Il faut imaginer que les étoles liturgiques primitives ressemblaient davantage à des chasubles qu’aux étoles actuelles des prêtres et diacres.

 

Poursuivons. Ce qui est intéressant, c’est que stole vient du verbe stello qui, en grec, a plusieurs sens. Polysémie très riche dans laquelle nous n’allons pas choisir :

  • D’un côté, il renvoie à l’idée d’ajuster, arranger, mettre de l’ordre, s’équiper ou se préparer. Mettre cette robe, c’est donc afficher clairement une fonction, se préparer et s’arranger pour exercer cette fonction. C’est le sens de l’étole liturgique.
  • D’un autre côté, le mot est employé pour désigner une mise à distance, une séparation. En 2 Th3, 6 Paul recommande de s’éloigner (stello) de tout frère qui mène une vie désordonnée et n’applique pas les règles ou conseils reçus.

En 2 Co 8, 20, c’est le mot que Paul emploie pour signifier qu’il se met à part des collectes d’argent qu’il a à gérer. On le traduit habituellement par « nous agissons ainsi afin d’éviter que… ». Bel exemple qui montre la polysémie active du verbe stello, polysémie évidemment intraduisible par un mot à mot : à la fois “agir, s’arranger, prendre des mesures pour”, et “se mettre à distance, se séparer, s’éloigner”.

Outre ce passage, dans le Nouveau Testament, le terme stole est utilisé pour désigner la robe dont on revêt le fils prodigue qui rentre chez lui (Lc 15,22) , c’est également le vêtement du jeune homme qui reçoit, au tombeau vide,  les visiteuses du matin de la Résurrection (Mc 16,5). Et surtout, il revint cinq fois dans l’Apocalypse pour désigner les robes blanches revêtues par les uns et les autres, ou lavées du sang de l’agneau (Ap 6,11 ; Ap 7,9; Ap 7, 13; Ap 7,14 ; Ap 22, 14).  Stole désigne donc un habit insigne. On est revêtu de la beauté et de la dignité de Dieu. Depuis la Résurrection, revêtu d’un vêtement resplendissant, blanchi dans le sang de l’agneau.  Qu’ils sont de piètres singes, ces scribes qui paradent sur les places publiques croyant  être devenus importants parce qu’ils se réclament, par leurs habits et leurs manières, d’une dignité qui n’est pas la leur.

 

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Revêtir la stole, c’est rendre Dieu présent à tous

Revenons à stole, notre vêtement d’apparat. Il s’agit donc d’une grande robe que l’on revêt parce qu’on va exercer une fonction sacrée, elle indique non pas tant la dignité de la personne qui l’exerce que celle de la fonction exercée. Mais alors, il ne faudrait pas que le porteur de la stole en vienne à vouloir capter la dignité de cet habit pour lui. Ce serait une tromperie. Une tromperie d’autant plus dangereuse que ce seraient ses faiblesse humaines qui seraient alors mises en avant et comme « sacralisées », alors que revêtir la robe veut au contraire montrer que le porteur s’efface derrière la dignité, la pureté, de la fonction.

Revêtir cette robe sépare aussi, elle met à distance. Mais encore faut-il bien comprendre. Il ne s’agit pas d’une mise à distance du commun des mortels par rapport à celui qui porte la robe. Cela n’aurait pas de sens. Si l’on tient le premier sens qui est celui de revêtir une dignité qui ne nous appartient pas, c’est pour justement montrer que le Tout Autre, Celui de qui on ne peut s’approcher qu’avec crainte et tremblement, se rend proche. Se rend proche de tout un chacun.

Revêtir la stole, c’est rendre Dieu présent à tous.

Voilà pourquoi Jésus est si dur avec ceux qui, loin de rapprocher le peuple de Dieu, contribuent à l’en éloigner. Ils sont une caricature de la relation que Dieu veut avoir avec son peuple. Ils ont détourné le sens de leur fonction. Portant la stole, ils étaient censés manifester la présence de Dieu au milieu de son peuple, et au lieu de cela, par des comportements hautains, pétris d’ego, ils découragent le peuple.

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Encore une affaire de vêtement…

 

Bref, encore une affaire de vêtement. Non pas que Jésus fasse ici l’apologie de la nudité ou du naturisme. Mais entendons bien le message : le vêtement trompeur peut illusionner autrui et le conduire à l’erreur. C’est à la fois une perte de temps et une question pour notre responsabilité.

 

Ne pas être vrai avec soi-même, s’illusionner sur le mérite que l’on a ou que l’on n’a pas, se croire purifié par le revêt d’une fonction si noble soit-elle, c’est aussi une erreur. Bien plus grave, à vrai dire, puisqu’elle est intérieure, intime, et qu’elle fausse notre relation au Seigneur. Comment allons –nous le reconnaître quand il viendra, si dans nos fatras quotidiens, nous avons cru déjà être méritants et arrivés ?

 

Sous ton vêtement, tu es qui?

 

Ailleurs, Jésus recommande de se méfier de « l’argent trompeur ». Ici, en quelque sorte, il recommande la même chose avec le vêtement qui éloigne de Dieu : méfiez-vous du vêtement trompeur, ou, plus exactement, de votre manière de le porter de manière trompeuse.

Finalement, la question est toujours la même : sous ton vêtement, sous ton apparence, tu es qui vraiment ? Ou peut-être faudrait-il préciser : tu es à qui ? A toi-même, tes désirs de grandeur, ton apparat, ta propriété privée? Ou, es-tu libre et disponible pour ton Seigneur?

 

Méfiez-vous des scribes, qui tiennent à se promener en vêtements d’apparat
et qui aiment les salutations sur les places publiques, les sièges d’honneur dans les synagogues,
et les places d’honneur dans les dîners.

(Marc 12,38)

 

 

Z- 8/11/2015

HappyMan

 

Avec la Toussaint, revoilà l’Evangile des Béatitudes (Mt 5, 1-12a).

Heureux les doux, heureux les purs, heureux les artisans de paix…

Ces déclarations de Jésus, sont reçues comme programmatiques par de nombreux chrétiens : Heureux, tu es fait pour être heureux! Promesse de bonheur pour toi, qui que tu sois. Promesse de bonheur pour toi même si tu pleures, si tu souffres, si tu es méprisé, si on dit du mal de toi à cause de moi…

Que de chrétiens se sont levés à l’annonce de ce programme ! Ils se sont levés et ont agi, non tant pas pour eux que pour les autres. Pour défendre la justice sociale, pour défendre la paix, pour défendre la dignité de l’homme, pour soulager toute souffrance, toute misère.

Pourtant, ce mot “heureux”, il n’est pas simple. A la vérité, il est dit au présent, à l’actif, là, pour maintenant. Et, en écrivant cet article,  pour qu’il me soit acceptable, j’ai dû le transformer en “promesse de bonheur” comme si c’était pour demain. J’ai déjà entendu des prédicateurs le traduire par ” Tu seras heureux , toi qui…” ou par ” Tu es fait pour le bonheur, toi qui…“.

Mince, alors, je suis fait pour le bonheur, je serai heureux mais ce n’est pas pour maintenant? Bon, on peut toujours dire – et c’est vrai ! – qu’aux yeux de Dieu , c’est maintenant et que s’abandonnant à son amour avec confiance, tu vas le goûter dès maintenant. Oui, mais, bon… L’injustice, la souffrance, la misère ? Là, je ne les rêve pas ; elles sont là aussi pour aujourd’hui !

Vraiment, quelle confiance en l’amour de Dieu ont eu ces pionniers qui, à cause de ces paroles de Jésus, se sont lancés dans la construction d’un monde meilleur pour tous ! Ils ont cru et ont mis en pratique que la béatitude est une promesse immédiate pour tous, sans exception !

Leur coeur et leurs tripes, quelque part, leur ont fait comprendre les mots transmis de Jésus dans l’esprit.

Car pour ce qui est de la transmission, la traduction française n’est, encore une fois, pas ou plus suffisante.

Le mot traduit par heureux vient du terme grec ‘makarios‘ qui effectivement n’est quasiment traduit que par les mots heureux ou bienheureux. C’est le sens du prénom Macaire, le bienheureux. Si l’on va plus loin, pour ce qui est de l’étymologie grecque, deux hypothèses existent concernant la racine du mot. L’une, la plus courante, propose de le rattacher au mot ‘makar‘, qui indique le bonheur dans le sens de ce qui plaît à Dieu (et donc aux hommes forcément !) Il y a ici une intéressante discussion relevant des expressions grecques, italiennes, espagnoles et même serbes, qui viendraient de cette étymologie.

Une autre hypothèse, s’appuyant sur la racine ‘mak‘, indique que le terme ‘mak-arios’ suggère l’idée d’être grand ou d’être élevé. ‘Arios‘ même racine que le dieu grec Arès, dieu de la guerre, pourrait alors désigner le combat. Le ‘makarios‘ est alors celui qui est grand, qui est élevé, par ou dans le combat. Il y a une idée de prestige, d’honneur , d’être distingué, dans cette acception-là

Notons que, même si elles ne s’appuient pas sur la même racine, les deux hypothèses ne sont pas incompatibles et qu’au contraire, elles enrichissent le sens du mot ‘macaire’.

Cela étant, cela ne suffit pas. Pour comprendre les “béatitudes”, probablement faut-il se rappeler que, même si les Evangiles ont été écrits en grec, ce n’était pas la langue de Jésus, et qu’il y a déjà là la traduction d’une tradition sémitique largement attestée dans la Bible, dans les Psaumes, les Proverbes et plein d’autres Livres.

Car des bénédictions dans la Bible, il y en a ! Or le mot hébreu que l’on traduit couramment par “heureux”, et probablement en grec par ‘macarios“, est ‘ashar‘. Et ‘ashar’, ah! ‘ashar’, c’est impossible de le limiter au mot ‘heureux’ ou ‘bien-heureux’, ‘ashar‘ contient l’idée de marcher, d’avancer, aller de l’avant. C’est donc une vision très dynamique du bonheur. Est heureux celui qui avance, celui qui marche. Et comme souvent dans l’hébreu biblique, cela est renforcé par une sorte de répétition comme dans le Psaume 1 ou le Psaume 118 :

 

Heureux est l’homme qui n’entre pas au conseil des méchants, qui ne suit pas le chemin des pécheurs, ne siège pas avec ceux qui ricanent, mais se plaît dans la loi du Seigneur et murmure sa loi jour et nuit !” (Psaume 1, 1-2)

Heureux les hommes intègres dans leurs voies qui marchent suivant la loi du Seigneur !
Heureux ceux qui gardent ses exigences, ils le cherchent de tout coeur !” (Psaume 118, 1-2)

Autrement dit et très maladroitement transcrit par moi :  “Ils marchent bien/droit, ceux qui marchent selon la voie du Seigneur.”

Celui qui est “heureux” c’est celui qui marche selon les voies du Seigneur et qui ne se laisse pas détourner du bon chemin. Il  va vers Dieu, il  vit avec Dieu, Dieu est avec lui ( ce qui ne veut pas dire que Dieu fait à sa place).

Mais pourquoi redire ce qui est très bien écrit par ailleurs, voici un un extrait d’un commentaire du Psaume 1 publié sur le site  interBible :

“Au point de départ, il y a un problème de traduction. Même si les évangiles ont été écrits en grec, Jésus n’a peut-être jamais utilisé le mot makarios. Quand il priait en hébreu, il utilisait le mot ashré. Or, l’hébreu a un sens beaucoup plus riche que le grec. Quand on dit de quelqu’un qu’il est heureux, on peut penser à deux aspects : l’état dans lequel il se trouve et la cause de son bonheur.

Le grec comme le français et l’ensemble des langues vernaculaires indiquent un état. L’hébreu indique la source du bonheur. Le passage d’une langue à une autre a affaibli la portée du mot heureux. Makarios, c’est le terme utilisé par les épicuriens pour désigner un état de bien-être. À la limite, ça peut indiquer un bonheur « à fleur de peau », selon l’expression un peu facile « d’être bien dans sa peau ». C’est le même mot pour exprimer le bonheur d’un petit chien à qui l’on donne la viande du Dr Ballard ! Est-ce juste cela que Jésus nous promet, « d’être bien dans sa peau »? Je suis heureux de faire une croisière. Je suis sur le bord d’un lac; il fait beau; je me la coule douce avec une petite bière près de mon hamac! Je suis makarios. Je suis en bonne santé; je viens d’acheter une nouvelle voiture; j’ai décroché un bon travail : je suis makarios. J’ai gagné à la loto, je suis makarissimos!

Ashré nous oriente sur une autre piste. Selon son étymologie, ashré signifie quelque chose qui est « droit ». Même en hébreu moderne, pour dire à quelqu’un d’aller tout droit, on utilise la même racine : Lakh iashar ! Parmi les mots de la même famille, on rencontre Ashéra, la déesse de la fertilité, dans le panthéon cananéen. Dans les temples dédiés à Ashéra, on érigeait un pieu sacré au sommet duquel était fixée la déesse. Juges 6,25 évoque justement ces fameux pieux sacrés contre lesquels se sont insurgés les juges et les prophètes.

Le bonheur, au sens hébraïque, prend sa source dans une vie droite. Il ne s’agit pas d’un vague bonheur épidermique, mais d’un bonheur qui découle d’une rectitude de vie. André Chouraqui, traduit « heureux» par « En avant » c’est-à-dire continue à marcher droit malgré les épreuves de la vie.”

(La suite sur interBible)

Les saints, ces témoins du bonheur.

Pas seulement d’une promesse de bonheur mais que le salut de Dieu est en marche, que le Royaume de Dieu se construit jour après jour, en ce moment-même, à travers toute action vraie,  selon une vie droite et juste.  Le témoin du bonheur ne siège pas au conseil des méchants (Ps 1), il marche sur la route des hommes, témoin de l’amour de Dieu dans l’ici et le maintenant. Il va de l’avant et entraîne les autres. La gloire de Dieu est déjà sur lui, même si ni lui ni personne le la perçoit ainsi.

Allez,  les marcheurs, en avant, tous !

C’est la Tous-saint !

lever-le-regard

L’aveugle jeta son manteau,
bondit et courut vers Jésus.

(Marc  10,50)

 

Décidément Bar-Timée,  tu nous donnes à voir,
toi l’aveugle,  tu nous montres le chemin
qui nous fait passer de l’ombre à la lumière !

 

Il jeta son manteau…

Bon, nous l’avons déjà dit, il ne s’agissait probablement pas d’un manteau, mais d’un simple vêtement en forme de drap pour couvrir le corps. Mais en plus, il le le jeta ? Non, il ne le jeta pas. Je vois bien que pour la traduction française, ça sonne mieux et ça donne du peps au texte. Mais ça n’est ni logique avec le reste du texte ni le sens possible.

Certes le terme ‘apoballo‘ peut se traduire par le verbe “jeter” mais ce n’est pas dans l’idée du geste d’envoyer au loin, comme on pourrait le concevoir dans une des acceptions du mot français. Ici, il s’agit littéralement de “laisser tomber” : ‘apo‘ indique la séparation, et ‘ballo‘ l’idée d’éparpiller, donner sans savoir où ça va, de répandre, comme on verse de l’eau ou comme se répand un fleuve. On pourrait donc le traduire aussi par les termes : abandonner, lâcher, laisser-là. Ce “jeter”-là est à entendre comme un jeter à la poubelle, un “laisser” à la poubelle. Laisser-là le vêtement désormais inutile. L’aveugle lâche littéralement son vêtement. Pour… bondir ?

 

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Lâchant-là son vêtement, il bondit vers Jésus.

Il bondit. ‘Anapēdēsas‘, du verbe ‘eispédaó‘. Ce mot aussi doit retenir notre attention, car il n’est employé que trois fois dans le Nouveau Testament. Cette référence est le seul emploi dans les Evangiles, les deux autres occurrences se trouvent dans le Livre des Actes des Apôtres (Act 14,14 et Act 16,29). A chaque fois, l’idée est la même, celle d’un surgissement, de jaillir, de sauter (‘pédaó‘) vers/sur/pour (‘eis‘). Certains commentateurs rabbiniques lisent la préposition ‘eis‘ comme la marque de la présence de Dieu. Utilisé ici comme préfixe, il dit également quelque chose, de la présence de Dieu  : sauter dedans, sauter vers. Compris ainsi, c’est mû de l’intérieur et “poussé vers”, ou “attiré par”,  un extérieur que l’aveugle saute. Instantanéité, plus qu’impulsivité. Une évidence. Comme un pôle aimanté irrésistiblement attiré par l’autre.

Il bondit.
Il est propulsé.
Libéré de son cache misère,
Il est fait pour Dieu,
Alors, il bondit,
Ce n’est même pas un geste volontaire.
C’est un acte de libération,
Suscité par les mots des apôtres :
« Confiance, il t’appelle ».

Il t’appelle.
Là, aux portes de Jéricho,
La ville de l’entrée en la Terre Promise.

Il te connaît,
Il se souvient,
Il se souvient de t’appeler,
Il t’appelle.

Tel que tu es.

Alors que veux-tu ?

– Rabbouni que je lève le regard de nouveau.

 

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Anablepo‘. Certes voir, discerner, comprendre, découvrir (‘blepo‘) mais ‘ana-blepo‘, voir parmi les choses, savoir voir l’essentiel en quelque sorte. Ce qui fait que le verbe ‘anablepo‘ est souvent traduit ailleurs par lever ‘lever les yeux‘. Jésus lève les yeux vers le ciel (Mt 14,19 ; Mc 6,41; Mc 7,34 ; Lc 21,1), et au matin de la Résurrection, levant les yeux (Marc 16,4), les femmes voient que la pierre est roulée.

Alors, oui, le mot ‘anablepo‘ est utilisé chaque fois qu’un aveugle recouvre la vue. Mais il s’agit bien plus que de voir, il s’agit de ‘lever les yeux‘ vers l’Unique, le seul qui ait besoin d’être vu.

Que je lève de nouveau le regard, Seigneur,
vers Toi, l’Unique,
le sens de ma vie,
le sens de toute vie.

Que ma vie qui vient de toi
soit orientée vers toi.

Seulement, cela.

 

* * *

Laissant-là son vêtement, l’aveugle surgit à Jésus

Ho de apobalōn to himation autou anapēdēsas ēlthen pros ton Iēsoun.

* * *

Si le Maître t’appelle
es-tu prêt à tout laisser
et à surgir de toi-même à toi-même,
Libéré de tes entraves
retrouvant tout à coup,
tout à la fois,
ton origine
et ta visée (vision) divine ?

 

***

Lève les yeux, regarde au delà,
fille de Sion,
Le Seigneur, en avant de toi,
toujours te prépare le chemin.
Lève les yeux, réjouis-toi,
car le Seigneur est en toi !

 

 

Z- 26/10/2015

manteau

 

L’aveugle jeta son manteau,
bondit et courut vers Jésus.

(Marc  10,50)

 

Il jeta son manteau…

‘Himation’. C’est le mot grec que la traduction liturgique a pudiquement traduit par  « manteau ». Voilà un terme qui est employé 59 fois dans le Nouveau Testament, et  qui est traduit la plupart du temps par le mot vêtement, au singulier ou au pluriel. ‘Himation’ est notamment employé pour désigner le vêtement de Jésus dans l’épisode où une femme touche son “vêtement”,  mais également lors de la Transfiguration quand ils deviennent  « resplendissants », ou lorsque qu’on le  dépouille avant la crucifixion.

himation

Certains avancent que le mot ‘himation’ serait un dérivé de ‘ennumi’ (mettre dessus). Cet argument ne suffit pas à traduire le mot himation par manteau car tout vêtement est mis par-dessus le corps. Il n’est d’ailleurs jamais traduit de la sorte dans ses autres emplois, sauf en Mt 5,40 parce que dans le même verset un autre mot désigne la tunique portée sur le corps : ‘chiton‘: si on veut prendre ta tunique ( ton habit de dessous), donne ton vêtement en plus (ton habit de dessus) – à quoi pourrait-il donc servir de plus !  – Il existe d’autres mots grecs pour désigner un vêtement qui serait mis par-dessus les autres, un manteau. Ces termes sont également connus des évangélistes : par exemple, ‘chlamus’ (Mt 27) pour désigner le vêtement dont on recouvre Jésus lors de la Passion, ou en 2Ti 4, 13, le mot ‘phelones’  employé par saint Paul pour désigner le précieux manteau de voyage qu’il  aimerait récupérer.

Mais on trouve également le mot  ‘himastimos’, qui pourrait avoir la même racine, ‘himatizo’, recouvrir, se vêtir, et désigne une tunique qui touche  et recouvre directement la peau.

 

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Bref, si l’aveugle jeta son vêtement, il était nu.  A moins qu’on imagine qu’il porte encore un caleçon sous sa tunique, ce qui n’était pas l’usage du temps, comme attesté en d’autres endroits de l’Evangile. D’autant que nous n’avons pas, là, affaire à un notable distingué dans ses vêtements et parures.

 

Bref, si l’aveugle jeta son vêtement, il était nu.
C’est nu qu’il bondit vers le Seigneur.

 

Dans sa nudité, il bondit,
Dans sa nudité, il court vers Jésus,
Dans sa nudité, il se reconnaît aveugle
Dans sa nudité, il demande à voir.

 

Avant cela, il est habillé socialement
Par son handicap, par son métier de mendiant,
Par le regard que lui renvoient les autres,
y compris celui des apôtres,
Par le regard qu’il a sur lui-même, sans doute,
puisqu’il n’a pas, de prime abord,
l’énergie de bondir de lui-même vers Jésus…

Mais si le Maître appelle,
si enfin la vérité peut se faire
et que justice nous soit rendue,
alors il faut aller, bondir,
nu, comme on est.
Quelle importance ?

 

Seigneur, tu me connais.
Je n‘ai rien à cacher,
Tu sais tout de mes aveuglements,
De mes handicaps,
De la vérité  sur moi-même
que je ne connais pas
ou que je n’accepte pas encore,
Je n’ai rien à cacher

Si tu me dis : viens,
J’accours.

 

Nu.
Tel que je suis.

 

Nu,
Tel que tu m’as créé.
Nu tel que tu m’aimes.

Tel que tu me libères,
tel que tu me restaures
dans la dignité

Foin de ces apparats
et de tous ces faux habits.

Nu
Devant toi,
aucune importance.

Appelle-moi, Seigneur.

 

 

Z – 25 oct 2015