En son temps, Diogène parcourait les rues de sa ville, une lampe allumée à la main, et disait à qui voulait l’entendre : “Je cherche un homme.” Un homme, un vrai, un sage, un être humain en plein déploiement de lui-même, connecté à qui il est vraiment et l’offrant au monde, donc aux autres êtres humains.

Et voilà que la réponse des chrétiens est : “Nous l’avons trouvé cet homme.” Cet homme qui m’a vu sous le figuier (Nathanaël), cet homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait , tout ce que je suis (la Samaritaine), cet homme qui ne me juge pas et me remet en route (la femme adultère), cet homme qui me réinsère dans la communauté des autres êtres humains (Zachée, lui qui est aussi “un fils d’Abraham”), cet homme qui me guérit de mes torpeurs, de mes souffrances, de mes maladies… qui me restaure en humanité.

Pas si simple cependant de le rencontrer vraiment. On peut le croiser assez facilement, sur les routes de Palestine il y a 2000 ans ou aujourd’hui encore en écoutant ceux qui se réclament de lui, mais le croiser, avoir entendu parler de lui, ne nous délivre pas de cette recherche idolâtre de vouloir un super-héros, un roi, un dieu à notre image. Nicodème lui-même, qui est un sage, vient de nuit et s’efforce de comprendre d’où vient la sagesse de cet homme appeler Jésus qui n’a aucun pouvoir, aucune origine connue, aucune légitimité mais qui parle tel les prophètes de l’Ancien Temps et qui vient bousculer l’ordre établi sans tambours ni trompettes, avec pour seul argument une existence claire, transparente, cohérente avec le message qu’il professe.

Être un homme, serait-ce l’enjeu ? Un vrai homme. Un homme qui accomplit complètement son déploiement, son “accomplissement” d’homme ? Oui, Jésus réalise en son corps, en son être et en son existence, la plénitude de Dieu. Mais en ces temps pascals, la tentation pourrait être – comme pour de nombreux chrétiens avant nous – de conclure un peu trop vite à la divinité de celui qui est re-ssuscité et d’en oublier son humanité. Et se faisant, s’en distancer au lieu de s’en rapprocher.

Tout l’enjeu de la Révélation semble bien être l’humanité et non pas la divinité. Si Dieu est, il est déjà et n’a pas besoin de nous pour continuer à être ou pour se justifier d’être. Non, la question est plutôt : où est-il ton Dieu ? Et où serait-il donc ailleurs que dans le vivant, tout le vivant, et spécialement dans cet homme – tout homme – dont le livre de la Genèse nous dit que Dieu l’a fait à son image et selon sa ressemblance.

La question principale, y compris et surtout dans les derniers moments de la vie de Jésus, est encore et toujours “Mais qui donc est cet homme ?” Qui donc est cet homme qui me ramène à l’humanité d’une manière que je n’avais pas prévue, pas anticipée, pas comprise. Qui donc est cet homme qui me renvoie à mon propre accomplissement et donc en creux à mon non-accomplissement : mes renoncements, mes jeux de rôle ou de pouvoir, mes peurs cachées et mes stratégies d’adaptation ? Ca fait peur, ça dérange, ça me met en colère parfois car je ne suis pas toujours prêt à me laisser bousculer, interroger, inviter à aller dans cette voie d’accomplissement de moi-même et des autres. A Nazareth, cela rendra les gens furieux dès le début de son enseignement, et à Jérusalem, ultimement, c’est la foule, cette masse informe de gens entrainés par leurs passions, qui demandera sa mort.

Pilate lui-même est troublé: Mais qui donc est cet homme qu’on lui présente ? Si étrange, si inoffensif et pourtant si fort en lui-même. “Voici l’homme”… Celui contre lequel vous en êtes réduits à faire de faux témoignages qui l’excluront de votre système sans même considérer qui il est vraiment : un homme, un vrai. Le type d’homme que nous devrions tous et toutes devenir si l’on laissait l’esprit de Dieu faire son chemin en nous en plénitude.

Mais qui donc est cet homme ? Certains, même parmi les païens, le sentiront intuitivement et ne pourront s’empêcher de le proclamer : “c’est le fils de Dieu!” Et c’est vrai. Mais cela n’annule pas, bien au contraire, tout ce que j’ai essayé de vous partager dans les paragraphes précédents : cet homme qui laisse se déployer son humanité comme elle a été voulue par Dieu (essayez, pour voir, de remplacer le mot “Dieu” qui forcément limite la compréhension puisqu’il enferme dans une compréhension limitée de Dieu par d’autres mots ou expressions qui ouvrent les horizons : le logos, le verbe, l’élan vital, l’énergie vitale, etc.) – cet homme donc qui laisse son humanité se déployer sans la dérouter (= littéralement “sans pécher”) nous montre non seulement Dieu mais aussi notre humanité. Se replier trop rapidement sur l’affirmation : c’est le fils de Dieu” a été l’occasion trop de fois dans notre histoire, et encore aujourd’hui, de nous dispenser de nous convertir vraiment : Jésus n’est pas venu pour nous montrer de l’extérieur ce que nous sommes appelés à être, genre : “Je suis fils de Dieu, je vous montre le chemin. Trois petits tours et puis je m’en vais. Vous avez vu ? Ca continue après la mort. Allez, facile, à votre tour !” Ce serait indigne de Dieu, tellement pas conforme à ce don de Jésus qui souffre et meurt VRAIMENT.

Il ne montre pas le chemin, il est le chemin. Dans son corps, son être, son existence. Il nous montre comment la vie de Dieu est faite pour notre humanité, et vice versa, au point que les deux se confondent. Tu ne peux pas être pleinement humain sans accepter cet élan vital qui te porte à aimer l’humanité, la tienne et celle de tes frères et soeurs. A ce titre, peut-être que l’appellation “Fils de l’homme” qu’on a parfois bien du mal à comprendre et à expliquer est bien plus puissante et signifiante que “Fils de Dieu” avec toutes les images tronquées de Dieu qu’on a dans la tête et cette tentation de séparer ce qui est de Dieu et ce qui serait de l’homme. En Jésus la divinité se déploie et nous dévoile un homme parfait.

Cet homme parfait, c’est celui que nous sommes invités à devenir. C’est ainsi qu’on pourrait comprendre le message de son dernier repas : “Ce pain, c’est mon corps. Ce vin, c’est mon sang. Prenez, mangez, buvez en tous et réalisez en votre humanité le projet de Dieu!” Car, quoi ? Ce pain, ce vin, c’est ce qui fait ma chair. De la nourriture qui nourrit mon corps et maintient mon humanité. Vous cherchez mon mystère, qui je suis vraiment ? Eh bien prenez ce pain, ce vin, les mêmes que je prends moi aussi. C’est mon corps, c’est mon sang, abandonnés à l’amour de Dieu, transformés par lui, prenez, mangez, buvez. Et dans votre humanité, laissez-vous transformer par l’amour de Dieu, la vie qui est déjà en vous et qui ne demande qu’à se déployer si vous ne l’empêcher pas. Alors, ne l’empêchez pas! Faites cela en mémoire de moi !

Terrible : même la résurrection, nous pourrions mal la comprendre. Certaines conceptions de la résurrection laissent à penser que Jésus serait devenu “autre”. Dans cette version son humanité a comme disparu, et il est devenu pure divinité, pur esprit. Conséquence, désormais, “dans sa gloire”, il nous aiderait de loin en loin, victorieux et attendant qu’on le rejoigne… Mais ça n’est tellement pas conforme aux épisodes précédents la mort de Jésus, et tellement pas conforme non plus aux récits des apparitions qui font que ses amis vont proclamer qu’il est ressuscité !

Jésus ressuscité, c’est encore et toujours un homme, l’homme Jésus qui passe la mort et continue son chemin. Ressuscité, cela veut dire qu’il est “suscité encore et encore”, que sa vie ne s’arrête pas. Alors bien sûr, on ne parle peut-être pas de ses cellules qui dans leur matérialité peuvent retourner à la poussière. Mais son être, sa “chair” au sens hébreu, qui comprend aussi son élan vital, ne s’arrête pas. Plus encore : même ressuscité, pas question qu’on mette la main sur lui, qu’on le retienne, qu’on l’arrête dans le déploiement de son humanité. C’est assez intéressant de voir que dans les récits d’apparitions post-pascales, Jésus se montre sous la forme d’un homme mais que, au cimetière comme plus tard en Galilée ou à Emmaüs, ceux qui l’ont pourtant côtoyé et bien connu, ne le reconnaissent pas.

Voilà l’homme. Un homme Jésus qui ne se réduit pas à son apparence et qui nous invite à nous préoccuper chacun de notre humanité plutôt que de la sienne. C’est compliqué. Peut-être au-dessus de nos forces ou de notre compréhension. Viendra le moment où l’Esprit-Saint surgira, éclairera notre humanité et l’emportera témoigner tout autour de la terre.

En attendant, vous je ne sais pas, mais moi assez souvent encore : Je cherche un homme (un être humain, un vrai) dans les gens que je rencontre et qui m’éclairera sur ma propre humanité. Pas toujours facile, mais je cherche et j’essaie aussi d’être cet homme-là.

Z – 31/03/2024

Plus besoin de compagnon

Plus besoin de compagnon, c’est ce que nous annonce fièrement le prophète Jérémie dans la liturgie de ce jour :

Je mettrai ma Loi au plus profond d’eux-mêmes ; je l’inscrirai sur leur coeur. Je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple. Ils n’auront plus à instruire chacun son compagnon, ni chacun son frère en disant : “Apprends à connaître le Seigneur !” Car tous me connaîtront, des plus petits jusqu’aux plus grands.
(Jérémie 31, 33b-34)

Plus besoin de compagnon pour diriger ma vie. Pour me dire ce que j’ai à faire ou pas. Pour me dire ce que j’ai à ressentir ou pas. Pardon, mais même si ce n’est pas de cela dont je veux parler aujourd’hui, je le dis : plus besoin de clergé non plus. La promesse, c’est que l’esprit de Dieu m’atteindra et me remplira sans qu’aucun intermédiaire vienne me polluer de sa propre histoire, de ses limites et de ses projections. Et la garantie – quand même ! – que ce ne sera pas n’importe quoi, c’est que cela ne se réalisera pas que pour moi mais aussi pour chacun, pour les autres, pour tous.

Plus besoin de compagnon : tous seront mes compagnons, mes frères.

“Quand est-ce que cela se produira ?” pourrait-on demander comme cela a été demandé à Jésus. Et la réponse est : là, maintenant, c’est en train de se produire. Tu ne le vois pas, tu ne l’entends pas ?

C’est pourtant ce que Jésus dit encore dans l’Evangile de ce jour. Evidemment, c’est du saint Jean (Jn 12, 20-33), alors sans décodeur, c’est un peu compliqué à capter. Pour ma part, je voudrais juste attirer l’attention sur deux choses.

D’abord, le contexte de l’Evangile de ce jour : il y avait à Jérusalem de nombreux grecs qui demandaient à voir Jésus. Le thème du voir Jésus, on le trouve dans d’autres passages des Evangiles comme par exemple dans le récit de la rencontre entre Zachée et Jésus : lui, aussi, ce fils d’Abraham, il voulait voir Jésus. Ou bien plus poignant encore dans le récit de la rencontre avec l’aveugle de Jéricho, poignant parce que justement il ne peut pas voir. La plupart du temps ces gens qui veulent voir Jésus n’osent pas (qu’on pense aussi à Nicodème, par exemple, qui vient de nuit pour ne pas être vu) ou en sont empêchés (ce sont les apôtres qui, dans un premier temps, font barrage à l’aveugle de Jéricho.

Aujourd’hui ce sont des grecs, des étrangers, peut-être des craignant-Dieu, qui veulent voir Jésus. Alors, attention, comme pour l’appel des premiers disciples, il y a un protocole à suivre. On passe par les compagnons de Jésus : On en parle à André qui en parle à Philippe et ensemble ils vont le dire à Jésus.

Il me semble important de pointer cet élément de contexte avant de foncer et de se focaliser sur la réponse de Jésus au risque de ne pas bien saisir à quelle problématique il répond et de déconnecter son discours du contexte.

En ce temps-là, il y avait quelques Grecs parmi ceux qui étaient montés à Jérusalem pour adorer Dieu pendant la fête de la Pâque. Ils abordèrent Philippe, qui était de Bethsaïde en Galilée, et lui firent cette demande : “Nous voudrions voir Jésus”. Philippe va le dire à André et tous deux vont le dire à Jésus.

Or, et c’est la deuxième chose, la réponse de Jésus est bien étrange et compliquée. Il parle de mort à venir, de vie éternelle, de son Père, d’épreuves, de le suivre et une voix dans le ciel vient confirmer que celui-ci est “glorifié” et va l’être encore. Tout cela pour conclure que le prince du monde va être jeté dehors et que désormais, “quand Jésus aura été élevé de terre” il attirera à lui tous les hommes. Voilà : plus de diviseur, plus de perturbateur, plus de confusionneur : désormais un accès direct au Christ Jésus, l’action de Dieu dans cet homme qui offre sa vie, habité et mû tout entier par la présence et l’amour de Dieu.

Désormais : plus d’intermédiaire, plus de compagnon. Ecoute en ton coeur. Accepte, adhère, assume cet élan vital qui te traverse. Mise sur lui : il est la présence de Dieu en toi qui cherche à se déployer dans le monde et, comme tel, il ne t’appartient pas : tu lui appartiens. Tu viens de lui et tu vas à lui. Il est la force de vie qui te traverse et t’entraîne vers toujours plus de vie. Surtout, ne pas le retenir, ne pas le capter, ne pas t’en prévaloir pour ne pas te replier sur toi-même. Dans un magnifique commentaire publié dans La Vie, le bibliste Philippe Lefebvre relève que quand l’on fait dire à Jésus, en français : “qui aime sa vie la perd ; qui s’en détache en ce monde la gardera pour la vie éternelle”, c’est le mot grec psukhè qui a été traduit par le mot “vie” dans la première partie de la phrase et le mot zôè pour désigner la “vie éternelle”. Plus précisément, psukhè, que l’on retrouve dans tous les mots commençant par psycho-quelque-chose, désigne l’élan vital intrinsèque à tout être vivant, le souffle vital; et le mot zôè désigne la vie au sens de l’existence au sens fort, le déploiement de soi vers l’extérieur, la sortie de soi.

Il faut donc comprendre “qui veut garder pour lui son souffle vital le perd, et qui abandonne son souffle vital (se laisse travailler, emporter par lui) le gardera pour la vie éternelle.”

Ainsi tout s’éclaire : plus besoin de compagnon qui t’instruise puisque connecté et travaillé par cet élan vital, tu es le compagnon envoyé au monde pour qu’il se réalise, pour que les autres se réalisent. Et, bien sûr, tu n’es pas envoyé non plus pour instruire, dire aux autres ce qu’ils ont à faire. Tu es devenu signe de la présence, tu es présence. Si tu es attentif à ce souffle vital en toi et t’en fais le serviteur, il t’entraîne à être et cela réveille possiblement l’existant – le à-être – de chacun de ceux que tu rencontres.

Plus besoin de compagnon, ce n’est pas non plus que l’on doive se passer de relations intimes, encore que dans le cas de Jésus l’accent ne soit pas mis là-dessus puisqu’en dehors de la relation à ses disciples et à ses amis de Béthanie, il n’en soit pas fait mention. Tout au plus peut-on conclure que s’il y a des relations intimes avec un compagnon ou une compagne, cette relation ne consiste jamais à vouloir capter ou restreindre l’élan vital de l’autre. Mon existence est présence à plus grand que moi, je peux également rencontrer ce plus grand que moi en toi, mais jamais il ne m’appartient, jamais il ne t’apparient. Nous sommes juste compagnons de route.

source photo : photo de Mariana Maltoni publiée sur le blog minhamemoriasuja.tumblr

« Ils choisirent sept hommes remplis d’Esprit Saint » (Ac 6, 1-7)

En termes modernes, on dirait : ils choisirent sept hommes remplis de spiritualité, ou attentifs à la spiritualité. Car qu’est-ce d’autre que la spiritualité sinon “la vie selon l’Esprit” ?

Que nos contemporains soient férus de spiritualité mais se méfient des institutions est finalement un réflexe de bonne santé. L’Esprit, personne ne sait d’où il vient et où il va. Alors que des institutions prétendent le savoir à la place des dépositaires de cet Esprit, et de surcroît veuillent l’orienter par ici ou par là, voilà qui est plus que suspect.

En même temps, il ne faudrait pas croire que ce serait n’importe quel esprit, n’importe quelle direction, n’importe quelle pulsion du moment à suivre. Si l’on regarde bien le texte des Actes des Apôtres, la mention d’être rempli de l’Esprit -Saint est toujours complétée par un autre critère de discernement qui y est adjoint : la sagesse (sophia : Act 6,4), la foi (pistis : Act 6,5), la force ou la puissance (dunamis, Act 6,8). Autant de mots que l’on retrouve souvent dans le récit des évangiles synoptiques et qui sont associés au ministère de Jésus.

Être rempli de l’Esprit-Saint se vérifie donc par la confiance en la révélation qui nous traverse (en Dieu), la force intérieure qui s’en dégage et l’efficience.

De cela, il résulte que nous devrions tous honorer, et déployer notre dimension spirituelle Et, parlant de spiritualité, veiller à ne pas en faire un magma gélatineux où tout est possible mais au contraire une dynamique de vie qui nous oriente vers la meilleure version de nous-même.

Là se fait le lien avec l’acceptation de soi. Je ne suis pas le produit des conditionnements qui m’ont façonnés et qui étaient nécessaires le temps de mon apprentissage vers l’autonomie spirituelle. M’identifier à eux, c’est me dérouter de mon chemin (Tiens ! C’est la définition hébraïque du péché : se dérouter de son chemin !) , c’est vivre par procuration avec les critères d’autrui. Aussi pertinents soient-ils pour autrui, pour le collectif, pour l’institution qui les enseigne et en est garante, cela e me dispense jamais de vérifier qu’ils sont pertinents pour moi.

J’aime bien l’image botanique du tuteur qui est nécessaire à la croissance de certaines plantes. Une fois qu’elles ont grandi, elles n’ont plus besoin de ce tuteur, elles poursuivent leur croissance, seules et autonomes, déployant leurs branches et produisant du fruit. Se confondre avec le tuteur au point de ne pas vouloir s’en séparer ou, de l’extérieur, vouloir imposer un tuteur qui n’aurait pas de limites dans le temps et pour le développement de la plante, c’est dans le premier cas une erreur, c’est dans le deuxième cas une forfaiture.

Encore une fois, en écrivant tout cela, je me demande le rapport avec l’objet de ce blog. Il tient en une processus très simple : l’acceptation de soi. Dans mon cas, l’acceptation de mon orientation sexuelle a été le déclencheur vers une acceptation intégrale de mon humanité quand bien même elle ne répondrait pas aux normes de la société, de l’église, de l’éducation, de la famille, etc. Qui aurait le droit de m’empêcher d’être moi-même ? Soyons plus précis : qui aurait le droit de m’empêcher de me connecter à cette dimension de moi qui concourt à mon épanouissement ? En vérité, je me le suis infligé moi-même pendant des années, croyant être libre alors que je collais comme un désespéré qui a peur du vide à ce foutu tuteur dont je parlais plus haut. Je n’ai pas été violenté, je n’ai pas subi d’agressions homophobes mais qu’est-ce que j’avais peur d’être différent du modèle ambiant dans lequel j’ai évolué. Tellement peur que je n’osais pas être moi-même.

Or, depuis que j’accepte cette dimension de moi, je vois que je suis plus serein, plus lucide et que je porte du fruit, d’une certaine manière, autour de moi. Pour rien au monde, je ne voudrais revenir en arrière.

Alors voilà. Je trouve intéressant que les apôtres constatant qu’ils n’arrivaient plus à gérer la croissance de l’église naissante et les revendications de cette partie hellénisante qu’ils ne devaient pas comprendre tout à fait ont eu l’intelligence de reconnaître la dimension spirituelle de leurs interlocuteurs et de l’honorer.

Plutôt que s’arc-bouter sur une église en décomposition (donc en recomposition), ne devrait pas mieux entendre et écouter les mouvements de l’Esprit-Saint qui s’expriment à travers les attentes spirituelles de nos contemporains ?

Z – 6/5/2023

Source photo : Michael Zanderigo, Tristan Stalbaum et Chaz Perry photographed by Amadeo Agis Amadeo Agis, photographe à Hawaï.

La liturgie de ce premier dimanche de Carême donne à méditer le fameux passage de MT 4,1-11 où Jésus conduit au désert par l’Esprit y est confronté à trois tentations.

Les spécialistes de l’Ecriture nous expliqueront en quoi, dans la logique matthéenne, ce passage tend à montrer que Jésus est le véritable envoyé de Dieu :

– il reste confiant en Dieu sans réchigner et sans demander du pain à l’inverse du peuple hébreu conduit par Moïse dans le désert,
– il ne profite pas d’une position haute (au propre comme au figuré) pour se prévaloir de prérogatives attribuées à Dieu (rapport à la Présence de Dieu dans le temple et le fait de commander ou pas aux anges)
– il ne se laisse pas séduire par les multiples paillettes et intérêts du monde, quand bien même il pourrait exercer un pourvoir sur lui (notez au passage le placement sur la haute montagne qui est normalement le lieu d’où parle Dieu dans la nuée, ce qui montre bien la nature de la tentation diabolique : être pris pour Dieu depuis la montagne alors qu’on n’est pas missionné pour cela).

Réactualisation du passage au désert après la traversée d’Egypte, du service du Temple (lieu où Dieu “campe” parmi son peuple), de la période faste des royautés diverses qu’elles soient de David ou d’Hérode. Réactualisation mais cette fois-ci réussie, sans dévoiement, par Jésus au désert.

Bref, c’est juste un rappel global du contexte. Ce n’est pas mon propos du jour.

Je me demandais juste comment ce texte pouvait aider les personnes concernées par l’homosexualité. Certes, le texte n’en parle pas directement et aucune tentation exprimée ici, soyons précis, n’est d’ordre affective ou sexuelle. Cela étant, si comme chrétien, je me laisse identifier au Christ, ce texte me parle des tentations que je suis aussi invité à passer.

Et qu’entends-je ?

1/ Quel que soit le désert que je suis amené à traverser, je ne dois pas désespérer de l’amour de Dieu envers moi. La dureté de l’existence, la souffrance, le malheur, ne disent en rien que je suis pécheur plus que d’autres et certainement pas que je suis abandonné de Dieu. La tentation serait de vouloir « manger » au même râtelier que ceux qui me jugent et me rendent esclave de leurs jugements pour avoir la paix. Si j’ai quitté mon Egypte natale, ce lieu où je n’ai pas pu découvrir tranquillement et de manière épanouissante la personne que je suis, comment imaginer que je pourrais trouver la paix en reniant, même partiellement, même temporairement, la personne que je suis ?

2/ Si j’ai pu m’approcher de la présence divine en moi, si j’ai pu la laisser se déployer au point que je puis habiter avec elle et me tenir en haut de ce Temple saint qu’est aujourd’hui mon corps, ma vie, mon existence, cela ne me donne aucun droit d’exiger de Dieu quoi que ce soit, ni d’user de prérogatives qui consisteraient à exercer un pouvoir sur autrui qui…lui aussi reste libre de son chemin.

3/ Quelle est séduisante cette liberté gagnée ! Qu’elles sont tentantes toutes ces possibilités de vivre la vie que je veux, multiplier les aventures, utiliser les autres en réparation ou en compensation des années terribles où je me sentais réprimé, contraint, asservi par l’hétéro-normalité. « Voilà tu es libre, tu sais que tu es libre. Tu peux tout. Vois tout ça, tout ce que tu veux je te le donne si tu veux bien te prendre comme ta propre finalité et abuser de cette confusion ». C’est ainsi que je transpose le « Tout cela je te le donnerai si, tombant à mes pieds, tu te prosternes devant moi… » Le diable, ce grand diviseur, ce « fauteur e trouble » au sens propre, au premier degré : celui qui crée le trouble, la confusion. Entre dans la confusion, oublie d’où tu viens, pourquoi tu es là, et profite ! Profite de tout : du monde, des gens et des richesses ! Ton intelligence, ta créativité, ta découverte et ton acceptation de toi-même (et qui te donnent un avantage certain sur ceux qui n’ont pas ce travail sur eux-mêmes), tu peux les mettre au service de l’apparence et des futilités.

Bon, je vous l’accorde, ce n’est pas de la grande théologie. Et, d’autant qu’il y a encore plein d’autres manières de recevoir ce texte évangélique.

Il y a quand même un point commun aux trois tentations et c’est finalement la seule chose que je veux relever. Les trois tentations sont comme des invitations à se laisser dérouter : n’assume pas le désert, tire avantage de ton compagnonnage avec la présence divine, laisse-toi aller à tes désirs de puissance de richesse, de notoriété. Exactement le contraire de la douce invitation faite par Dieu à Abraham, le père des croyants : « Va vers toi-même ».

Alors Jésus entend. Le narrateur nous souligne à quel point Jésus est humain : « il eut faim ». Mais il ne se laisse pas dérouter.
Assumer qui il est, dans son humanité et dans sa part divine, le fait tenir bon face à l’épreuve.

Sa force : la parole-présence de Dieu qu’il oppose humblement à chaque tentation.

Je me souhaite, et je souhaite à tout lecteur, un bon carême sous le signe de cette invitation :
Va vers toi-même, ne te laisse pas dérouter.

Z- 24 février 2023

Photo : Leszek Paradowski, www.paradowski.net.pl

Voilà deux chrétiens qui s’expriment sur un réseau social.

L’un dit :

Pourquoi il y a des gays, des asexuels ou misosexuels ? Pourquoi il y a des stériles? Matthieu 19:12 nous répond : il y a des hommes qui sont nés avec l’incapacité de se marier avec les femmes.

L’autre lui répond :

Mon frère, ne contredisez pas Dieu, dans aucune livre, Dieu ne bénit l’homosexualité. Dieu bénit l’union de l’homme et la femme, et selon Paul dans le livre de Romains 1, on condamne tous ceux qui agissent selon leurs réflexion et négligent celle de Dieu. Car si on n’est pas attiré par les femmes restons chastes, ou prions Dieu pour l’être, car, en Lévitique, les relations entre homme ne sont pas bénis. Juste frère, ne nous trompons pas, lisons attentivement la Bible pour ne pas succomber dans la tentation!

Deux chrétiens, deux compréhensions et deux postures qui en découlent complètement différentes.

L’Esprit souffle bien où il veut… Probablement dans le cœur de ces deux hommes, mais l’un me semble encore habité par ses peurs là où l’autre s’émerveille du don de Dieu. L’Evangile fait dire à Jésus lui-même que, lorsqu’il serait parti, l’Esprit enseignerait des choses nouvelles qui n’ont pas encore été dites.

C’est ainsi que je reçois la parole du premier interlocuteur qui attire notre attention sur Mt19,12

Avec notre fâcheuses habitude de lire la parole de Dieu depuis nos conditionnements, nos filtres préétablis, nous ne nous apercevons même plus que nous nous servons de la Parole de Dieu pour légitimer nos croyances fondées sur des peurs diverses et variées de ne pas être reconnus, de ne pas êtres légitimes, de ne pas être conformes, bref d’être rejetés parce que nous nous serions trompés.

La peur de n’être pas acceptés mobilise en nous des trésors de créativité et d’imagination pour rendre compatibles ce qui, à première vue, ne l’est pas. Donc, puisque la Bible présente des textes apparemment durs sur l’homosexualité, et que la grande tradition magistérielle semble la condamner aussi en en restant à une lecture littérale et basée sur une pré-réception de la Genèse comme imposant que l’homme soit fait pour la femme et vice-versa parce qu’ainsi ils ne feront qu’uns (qu’on me dise d’ailleurs combien de fois on a pu vérifier dans une vie qu’un homme et une femme font réellement uns, à supposer que ce soit même vrai pour tous et pour chacun y compris dans l’éphémère phase jaculatoire), eh bien, puisque tout ça, même si je finis par m’accepter comme gay, il faudrait donc que je me tricote une rationalisation qui me permettrait de m’accepter, et d’être accepté comme gay moyennant l’adhésion à une interprétation compatible avec les textes saints : ah c’est donc que j’aurais vocation à la chasteté, à l’amour fraternel, à l’amitié spirituelle, et même peut-être que je serais signe de cette amitié de Dieu envers tous, indépendamment de tout intérêt (charnel). Summum de la gratuité, en somme.

Sinon qu’on ne voit à aucun moment Dieu dans la Bible, ou Jésus dans les Evangiles, empêcher la puissance de vie d’advenir. Et l’amour, comme sa manifestation sexuelle, est puissance de vie.

Alors attardons-nous un instant sur ce verset de Mt 19,12, qui dans la version liturgique de la Bible nous dit :

Il y a des gens qui ne se marient pas car, de naissance, ils en sont incapables ; il y en a qui ne peuvent pas se marier car ils ont été mutilés par les hommes ; il y en a qui ont choisi de ne pas se marier à cause du royaume des Cieux. Celui qui peut comprendre, qu’il comprenne !

A vrai dire, notre premier interlocuteur semble avoir raison. Il n’y pas l’once d’un jugement dans cette phrase. Jésus constate juste qu’il y a des gens qui « de naissance » ne sont pas faits pour se marier (à une femme, dans le contexte de l’époque). Donc, Jésus sait que cela existe.

La mention « de naissance » est intéressante : elle exclut les eunuques et toute catégorie qui serait ensuite obligée de renoncer au mariage du fait d’une castration postérieure à la naissance. Je précise que, pour moi, cela ne concerne pas les personnes transgenres qui, certes, « changent » de sexe en cours de vie, mais qui le font pour se conformer à ce qu’elles sentent être la vérité de leur genre depuis leur naissance quoiqu’il en soit de l’apparence physique.

Oui, cette mention « de naissance » est très intéressante. Il faut du temps pour se découvrir et s’accepter, notamment dans son orientation sexuelle, ou sa non orientations sexuelle, mais les germes en sont probablement déjà là dès la naissance, et même avant. Qui l’on est, sexuellement, est un cadeau qui se découvre sur le tard, progressivement. Un cadeau, dis-je, un don, un déploiement de mon être dont je n’ai pas à rendre compte ; c’est ainsi, on ne choisit pas d’être asexuel, homosexuel ou pansexuel.

Au fond ce verset est clair : il y en a qui se marient avec une femme et qui créent une famille, à laquelle ils doivent être alors fidèles car ils se sont engagés. Et il y en a d’autres qui ne prennent pas cet engagement pour différentes raisons.

Le mot « incapable » est par contre un peu douteux. Il risque d’être connoté négativement alors que ce n’est pas du tout induit par le texte grec. En fait, le mot employé est aussi le mot eunuque qui, avec le temps, s’est chargé d’une connotation négative puisque, dans nos esprits il est souvent associé à ceux à qui « il manquerait » quelque chose, généralisation faite à partir de l’acception la plus connue du mot eunuque, celle qui désigne le statut des personnes qui par choix ou par effet de l’esclavage ont été émasculés, pour devenir des quasi dignitaires au service des puissants et de leurs épouses. La traduction liturgique française a simplifié la traduction pour réserver l’emploi du mot eunuque ceux qui le sont devenus après leur naissance du fait d’une intervention extérieure. Mais si l’on regarde de près le texte grec, cela donnerait :

Car il y a des eunuques qui le sont dès le ventre de leur mère ; il y en a qui le sont devenus par les hommes ; et il y en a qui se sont rendus tels eux-mêmes, à cause du royaume des cieux. Que celui qui peut comprendre comprenne.

Au temps de Jésus, et en tout cas dans ce passage, le mot eunuque ne désigne pas seulement ceux qui auraient un handicap physique, raison pour laquelle peut-être les traducteurs francophones l’ont banni de la première phrase. Le mot eunuque, eunouchos signifie littéralement « le gardien du lit », étant entendu que, privé de sa puissance sexuelle, il ne met pas en danger le lit conjugal servant à la génération des enfants. Les eunuques étaient employés à d’autres emplois que la garde du harem. On leur confie des postes de responsabilité comme intendant ou gouverneur. Libérés de leur puissance sexuelle, ils sont sensés être de dévoués et fidèles serviteurs. Dans cette péricope, le mot eunuque, ne désigne donc pas forcément quelqu’un qui aurait été émasculé mais toute personne qui est privée ou se prive d’un lit conjugal dont le but serait la reproduction.

Traduire “eunuque dès le ventre de sa mère” par “être incapable de se marier dès la naissance” est du coup un peu réducteur. Possible mais réducteur. Incapable renvoie à une capacité et l’on pourrait s’imaginer qu’il s’agit d’une capacité physique. Or, le mot eunuque (gardien du lit) insiste davantage sur l’absence de descendance possible que sur l’incapacité physique d’en avoir.

Donc on peut ne pas se marier, parce que, de naissance, on n’a pas de capacité ou d’intérêt pour la reproduction, parce qu’on a été privé de cette capacité par la main de l’homme, ou parce qu’on a choisi de ne pas s’engager dans une relation qui inclut la reproduction, et ce qu’elle implique, à cause du Royaume des Cieux.

Ca ne dit pas grand-chose du Jésus historique et je me garderais bien de voir là une ‘preuve’ que Jésus connaissait et acceptait l’homosexualité. Mais le verset permet au moins d’affirmer qu’il acceptait qu’il y ait des personnes qui se privent de lit conjugal hétéro sans que cela lui pose un problème. Quant à ceux qui le feront, dit-il, à cause du Royaume des Cieux, c’est une affaire qui mériterait d’autres explications que je n’ai pas le temps de donner ici.

Il faut maintenant considérer dans quel contexte arrive cette péricope. Les juifs interrogent Jésus sur la validité de la loi de Moïse qui permet de répudier une femme (Mt 19, 3 et Mt 19, 7). Avant le verset de Mt 19, 12, Jésus a deux réponses préliminaires :

1/ Il n’en allait pas ainsi au commencement, car si l’homme et la femme quittent père et mère pour ne faire plus qu’une chair, ils ne font plus qu’un, il ne faut pas les séparer.

2/ C’est à cause de la dureté de leur cœur que Moïse a concédé aux Hébreux qu’on puisse répudier une femme, et, encore, à condition de lui donner une lettre de répudiation.

Ce qui ressort, c’est que quittant ses protections naturelles (le clan du père et de la mère), il y a une nouvelle entité qui se crée dans laquelle l’homme doit protection à sa femme et ne pas revenir sur sa parole. Ils forment désormais un nouveau clan, une nouvelle famille, une nouvelle chair. Répudier, c’est rejeter hors du clan, c’est renvoyer l’autre à un état de fragilité, de vulnérabilité : elle a quitté son père/sa mère et, rejetée, se retrouve seule sans protection. Moïse n’a fait que limiter les dégâts, en quelque sorte, en exigeant que s’il y avait répudiation (ce qui certainement arrivait, de fait ; sinon pourquoi en parlerait-on ?) il devait y avoir une garantie, une sorte de contrat juridique qui garantisse à la fois le laisser-passer et la protection de la répudiée. Bref, un statut : rejetée, isolée, peut-être mais protégée par des garanties, notamment de ressources et de sécurité physique.

Nous appliquons souvent un prisme déformant aux écrits bibliques parce que nous les lisons avec nos conceptions individualistes de l’histoire. Or l’individualisme comme fondement de l’action n’est que d’apparition récente dans l’histoire de l’Occident. Les auteurs bibliques ont une conception communautaire de l’histoire et donc une vision beaucoup plus sociale. Même quand elles sont exprimées apparemment de manière individuelle, les règles ou préconisations visent la cohésion de la société.

En résumé, contrairement à ce que l’on peut imaginer de prime abord, obnubilés que nous sommes, dans l’occident chrétien, par l’impureté sexuelle, nous risquons de passer à côté de la pointe du texte qui n’est pas sur la norme hétérosexuelle mais sur le respect et la protection que l’on se doit les uns envers les autres : le mari envers la femme, y compris celle qu’il répudierait, mais aussi envers ceux qui n’ont pas d’objectif de reproduction dans le lit conjugal quelle qu’en soit la raison : de naissance, par la main de l’homme, ou par choix du royaume des cieux.

A ce qui nous en a été transmis par les évangiles, Jésus lui-même n’était pas marié. Le contexte semble suggérer qu’il était « libre d’un lit conjugal » à cause du royaume des cieux. Mais goûtons que dans le même verset, il cite les autres possibilités, comme une énumération d’égale valeur, sans aucun jugement.

Si, instinctivement, en lisant cela, vous vous dites : « Oui mais quand même, le faire pour le Royaume des cieux, c’est mieux ! », alors relisez encore ce verset. Une fois, deux fois, trois fois, autant de fois qu’il le faut jusqu’à accepter qu’il n’est pas question de « mieux » ou de « moins bien » dans ce verset. Si cette notion vient à votre esprit, c’est qu’un préjugé, un filtre, une croyance, indépendant de l’Evangile, est déjà en vous, et vous le fait voir ainsi. Comprenne qui pourra !

Z – 23 mai 2021

Source photo : Karel Seisse et Braien Vaiksaar dans “Flandres”, un sujet publié par Vogue Homme, hiver 2019