Trois questions qui me sont posées régulièrement :

Pourquoi illustrer  mes articles avec  des images d’ hommes nus ? Cette nudité provoque et empêcherait certains d’accéder à certains textes qui pourtant les nourrissent.
Pourquoi une iconographie exclusivement masculine ? C’est un peu réducteur. On trouve aussi la beauté et l’inspiration auprès du féminin aussi.
Pourquoi cette fascination pour les jeunes gens ? On la voit à travers les images publiées. Est-ce dire que tu n’es attiré que par les jeunes gens ?

J’ai déjà répondu ici ou là par le passé mais, comme ces questions reviennent régulièrement, je vais essayer d’y répondre brièvemement.

 

Pourquoi des hommes nus ?

D’abord, concédez-moi qu’il n’y en a pas tant que ça et que, quand une nudité est affichée, elle n’est en général pas érotisée. Donc, elle choque le regard. Mais est-elle choquante en soi ? Vraiment, en publiant des sujets masculins, je ne cherche pas à choquer, mais j’ai clairement l’intention de dédramatiser la nudité, de la dépudibonder parce que vouloir à tout prix jeter le voile sur une partie du corps humain revient, au fond, à ne pas vouloir l’accepter en entier.

Vu que mes textes sont largement introspectifs, ce n’est pas la nudité de l’autre que je vise – même si elle est agréable à contempler, mais la mienne. Je m’explique : pas de salut pour moi tant que je ne saurai pas accéder à l’ensemble de mon humanité, même dans ses recoins les plus cachés, les plus secrets, même ceux perçus par certains comme honteux. Qu’y a-t-il de honteux dans l’humanité ? Jésus passe son temps à rencontrer justement les gens qui font honte ,ceux qui ne sont pas socialement fréquentables, les pécheurs, les malades, les laissés pour compte. Tous ces gens-là représentent une part de mon humanité. Toute mon humanité doit être sauvée, je n’ai pas à en rougir, même si ce n’est pas facile.

Croyez-vous que je sois naturiste ? Non pas vraiment. J’ai encore beaucoup de pudeur qui m’empêche de me montrer en public même si, ma foi, je m’améliore peu à peu. Ce que j’ai compris, c’est que la question n’est pas vraiment de savoir qui me regarde et comment on me regarde, elle est bien plutôt : comment je me regarde moi puisque j’ai tellement honte de moi que je ne veux pas me montrer.

C’est à la fois concret et symbolique (le symbolique n’étant pas un fruit de l’imagination mais une représentation porteuse d’un sens plus grand encore que la réalisation matérielle). Je ne veux pas être vu, je veux pouvoir ne pas me cacher. Dans tous les aspects de ma vie, si possible. Tout exposer à la lumière salvatrice. Et je le veux pour moi mais aussi pour autrui, si cela lui convient. Être vrai, être authentique, être soi, autant que cela se peut.

Peut-être est-ce mon histoire qui me conduit à raisonner ainsi et prendre ce chemin ? Souvenons-nous d’où je viens : un milieu simple et catholique d’une petite ville de province, une famille dans laquelle je n’ai jamais entendu de réflexion homophobe mais dans laquelle, du fait de la culture ambiante, je n’ai jamais eu la liberté d’exposer et vivre tranquillement mon homosensibilité. Trop risqué. Les gens qui sont comme ça, ils sont malades. C’est que des ennuis pour eux et pour leurs familles. Je me suis caché, j’ai mis les habits de l’hétéronormalité, j’ai refusé l’idée que je pourrais être attiré par les garçons. Il fallait absolument que cela ne se voit pas. Donc, oui, je me suis caché.

Et tout mon travail, à travers ce blog, est de me dévoiler. De redécouvrir qui je suis vraiment, me le réapproprier et le déployer, l’offrir à ceux que cela pourrait aider aussi. Bref , voilà un sujet dérivé de la nudité qui est intéressant : Met-on des habits pour se cacher ou pour se protéger des intempéries ? Le froid, le vent, la pluie… Moi je me suis couverts des habits de l’hétéronormalité pour ne pas être moqué, rejeté, abandonné. Je n’ai pas osé être moi, je ne m’y suis pas senti autorisé. Pire : il fallait le cacher. Mais pour de mauvaises raisons.

Au delà de l’orientation sexuelle, n’est-il pas vrai que les habits sont souvent l’occasion d’un masque social ? Ou, parfois, l’occasion de se construire une identité sociale qu’on veut afficher pour mieux la vivre ? Voilà pourquoi j’aime beaucoup, par exemple, l’esprit de la famille Rainbow, dans laquelle vous pouvez côtoyer à la fois des personnes aux look improbables et des gens qui sont nus, l’essentiel étant la liberté de chacun. Liberté respectée par tous.

Pour moi, la nudité est de l’ordre d’un tabou qu’il faut interroger sinon lever comme beaucoup d’autres. Dans une entreprise de vérité sur soi-même, ne vous attendez pas à ce que j’arrête de publier des photos d’hommes dénudés s’il me semble que cette illustration sert ce que je veux dire dans le texte

Pour terminer sur ce sujet, j’ai remarqué que les réactions étaient encore plus fortes lorsque la nudité représentée ou évoquée dans les images se rapportait à l’homme Jésus (comme par exemple dans l’article intitulé Un homme). Cela n’enlève rien à ce que j’ai dit avant. Au contraire. Cet homme Jésus avait un corps, utilisait son corps. Son corps est mort et pourtant sa chair a été re-suscitée. Redécouvrir la belle chanson de Raymond Fau : J’ai vu tout nu le roi.

J’ai vu tout nu le roi
Il ne faut pas le dire
Pourtant je l’ai bien vu
J’ai vu le roi tout nu
Il me ressemble fort
Il est fait comme moi
Il est fait comme moi mais…
Ne le répétez pas.

(P :Jean Debruynne / M :Raymond Fau)

 

Pourquoi une iconographie exclusivement masculine ?

Figurez-vous que, en société, je suis plutôt du genre à fuir les ambiances exclusivement masculines. C’est très personnel, je ne m’y retrouve pas. J’ai besoin que l’ensemble de l’humanité soit présente autour de moi.

Mais s’agissant de ce blog, c’est un peu différent. C’est sa “marque de fabrique” en quelque sorte. Je tiens à garder pour mon blog une iconographie masculine en rapport avec les textes que je publie. C’est ma contribution (modeste) à la “déshétérotisation” de toute la belle littérature mystique, spirituelle et amoureuse.

Comme je l’ai déjà dit, ça a été un choc positif pour moi de découvrir le blog de Loquito (aujourd’hui fermé) qui mettait en rapport de beaux textes et citations avec de belles images homosensibles. Certaines étaient plus osées que d’autres, presqu’érotiques, mais peut-être est-ce ma naïveté et ma pudeur de l’époque qui me les faisait voir ainsi.

Cela m’a fait du bien pour accepter et assumer mon homosensibilité, je pense que cela peut faire du bien à d’autres aussi.

 

Pourquoi cette fascination pour les jeunes gens ?

Très intéressante question. Cela fait quelque temps que je voulais la traiter et n’en ai pas eu le temps. Mais avant de répondre, j’aimerais préciser quelque chose : il y a ce que je publie et il y a qui je suis. Les textes et les images publiées ici ne dévoilent pas exactement qui je suis. Ou, s’ils le font, ce n’est que de manière incomplète. Alors, projeter qui je suis et quelle serait ma vie affective et sexuelle à partir des seules images publiées, cela va être forcément très réducteur.

Cela donne parfois des scènes un peu cocasses. Récemment un internaute me contactait pour, disait-il, me parler. Et en fait de parler, il n’avait que des questions intrusives à me poser agrémentées de réflexions à deux balles comme celle-ci : “Oui, de toute façon, on voit bien que vous n’êtes attiré que par les jeunes gens. Je juge pas, hein, mais quand on voit les photos sur votre site, on se pose pas de questions…” Ah oui ? Ben quand même… Je ne sais pas quel est le nom du biais cognitif employé pour en arriver à de telles conclusions mais toujours est-il que le dialogue s’est assez vite terminé.

— Il arrive parfois que certains s’égarent à chercher un contact avec moi qui d’emblée se révèle une relation possiblement toxique. Toxique parce que jugeante. Je coupe court et me félicite intérieurement de garder cet anonymat qui me permet de m’exprimer en toute liberté. Que ça plaise ou non. —

Bref, revenons à nos moutons. La première réponse à la question est très simple. Oui, ce sont souvent des sujets jeunes qui sont représentés, d’abord parce que c’est ainsi que fonctionne la société humaine. La plupart des modèles, masculins comme féminins, ont entre 18 et 30 ans. Pourquoi ? Parce qu’ils sont beaux, frais et inachevés. C’est le moment de la vie où tout est encore possible, celui auquel on se réfère spontanément quand on veut revenir à ses choix premiers, les réengager, les rediscuter.

Oui, la jeunesse fascine. Elle me fascine, comme d’autres. Parce qu’elle vient m’interroger sur le champ des possibles, sur les choix ou non choix que j’ai faits et que je dois revisiter. Que ferait le Zabulon de ses 20 ans s’il avait toute la liberté que j’ai un peu acquise depuis et que les jeunes de cette génération, pour beaucoup,  ont acquise ? Comprenons-nous bien : je n’ai aucune nostalgie et ne veux pas redevenir jeune, je veux puiser dans l’intuition et l’innocence de ma jeunesse la force de déployer qui je suis, ma conviction étant que je l’étais déjà et que j’en ai été détourné.

Les photos de jeunes gens nous renvoient à des moments de l’existence où tout peut encore basculer. On peut regarder ces photos avec le désir d’avoir un compagnon qui aurait la même esthétique (mais ça garantit quoi de son état d’esprit, de ses qualités d’âme et de coeur ?) ou juste se laisser inviter au voyage des possibles sans le filtre du désir. Ce modèle qui est représenté en illustration d’un texte que je cite ou que j’écris, c’est toi, c’est moi, sublimés, en train de se poser les questions que je me pose, en train de refaire les choix de sa vie. Voilà tout.

La jeunesse, je le disais tout à l’heure, a un goût d’inachevé. C’est là que reprend ou peut reprendre l’histoire. Dans un long article de son blog, le photographe Matt Kulisch répond à cette même question : pourquoi ne photographie-t-il quasiment  que des jeunes gens ? Sa réponse m’a beaucoup aidé à comprendre ce qui se passait aussi pour moi et probablement pour nombre de lecteurs :

“Quand on me demande pourquoi je travaille avec des jeunes hommes, parfois avec une pointe de méfiance ou d’hostilité, je pense à un dimanche matin de fin mai 2013. Ce matin-là, je devais travailler avec un tout nouveau modèle et dans un tout nouveau lieu. (…)

Drew et moi avions discuté d’un lieu lors d’une réunion préalable à la séance photo. Drew avait décrit l’endroit comme « déjanté », « urbain » et « unique », alors qu’il n’en avait entendu parler que par un ami photographe. En fait, il ne savait même pas exactement où il se trouvait, seulement que c’était près du terminus du tramway, au milieu du chaos rouillé et austère du quartier industriel du Central Eastside de Portland. Ce qu’il décrivait collait parfaitement à la personnalité de Drew : le genre d’alliance entre sujet et lieu que j’espère toujours photographier. Lorsque Drew et moi avons aperçu pour la première fois cette beauté clôturée par des chaînes (en remontant SE Clay), nous nous sommes simplement regardés, avec cette complicité commune aux artistes et aux délinquants : « C’est l’endroit idéal ».

Drew portait un débardeur, un slip et des baskets : il bondissait dans et par-dessus des flaques d'eau, elles-mêmes brillantes sur la surface dure, presque vitreuse.

Drew photographié par Matt Kulisch

(…) Il y eut un moment, peut-être en milieu de matinée, où le sol en asphalte, rouge mortier par endroits, parfois gris cendré, était presque entièrement vitrifié par l’eau de pluie. (Comme dans un poème de William Carlos Williams…) Drew portait un débardeur, un slip et des baskets : il bondissait dans et par-dessus des flaques d’eau, elles-mêmes brillantes sur la surface dure, presque vitreuse. Il enfilait des pneus de voiture usagés, trois d’entre eux sur le côté, disposés en triangle, ces quatre objets interrompant ce qui aurait été un miroir parfaitement blanc.

En tant que photographe, et peut-être en tant qu’être humain, je vis pour ces moments où mon sujet devient partie intégrante de l’arrière-plan – ni accessoire ni vraiment principale – mais une autre partie, composée de ses formes et lignes individuelles, ce que Sontag appelle « participation ». Ce sont des scènes intégrées. Elles ont quelque chose de tangible, de musculeux dans leur qualité, et aussi sujettes à la perte et au changement que le temps ou la masse brûlée dans laquelle elles ont été créées.

Ce sont des moments comme ceux-ci qui m’amènent à travailler avec la jeunesse radieuse. Je recherche des moments comme ceux-ci : où l’intimité est aussi fragile, enracinée, menaçante et à jamais perdue que le sera le souvenir de cette expérience. Je souhaite réaliser des photographies qui s’intéressent à cette vulnérabilité et à cette perte mêlées à cet instant singulier. La beauté, la jeunesse, et en particulier l’énergie incertaine et inachevée des récits alternatifs de la masculinité, semblent précisément être le lieu où ces moments vivent pour moi.”

 

La saveur et la promesse de l’inachevé… Se replonger dans ce qui a été pour refaire ses choix ou bien en faire d’autres. Se resourcer pour mieux repartir.

Je peux comprendre que tous n’ont pas ce chemin à faire et que certains se trouvent dépités face à des images représentant la jeunesse alors qu’ils cherchent l’âme soeur dans les mêmes âges qu’eux.  Il se trouve que je ne cherche pas l’âme soeur  dans la jeunesse  (ce n’est d’ailleurs pas l’objet de ce blog)  mais que j’ai encore besoin de replonger dans ma jeunesse – pas celle des autres – pour retrouver qui je suis. Ca ne durera peut-être pas toute la vie mais c’est l’étape où j’en suis. Bref, les illustrations publiées ne viennent que soutenir mon mouvement intérieur, elles ne sont pas l’indice d’une préférence sexuelle et encore moins une invitation !

Il me reste encore un point à aborder concernant la fascination envers la jeunesse. Tel ou tel de mes lecteurs m’a confié n’avoir eu dans sa vie que des relations avec des hommes plus jeunes que lui et de là s’interroger sur sa capacité à vivre une relation affective stable alors que les années ont passé et que le corps est vieillissant. Je n’ai pas de réponse toute faite, ou plus exactement je pense que tout est possible. Mais, si c’est ton cas, ami lecteur, peut-être y a-t-il à s’interroger sur ce que tu cherches ou cherchais lorsque tu ne t’attaches qu’à des hommes plus jeunes que toi. Au-delà de leur beauté, est-ce que ce n’est pas toi-même que tu cherches, toi-même de quand tu étais jeune ? Si c’est le cas, la question serait : que t’a-t-il manqué quand tu étais jeune que tu cherches à combler à travers la rencontre à travers d’autres jeunes ?

Il me semble qu’aucune histoire d’amour véritable, en tant que rencontre égalitaire de deux êtres qui se donnent l’un à l’autre, ne peut résoudre les blessures de l’histoire spécifique de l’un des deux. Ce serait faire porter à l’autre un poids sévère et injuste.

Pour ma part,  je ne cherche pas à “draguer” à travers ce blog ni même à exprimer de préférence. Comment pourrait-on être ouvert à la rencontre et décider d’avance de la forme qu’elle doit prendre ?  La présence des jeunes modèles ne fait que me replonger dans mon être inachevé, là où je peux reprendre tranquillement le cours de ce que j’avais laissé.

Z – 29 juillet 2025

 

Source photo : Café Littéraire @C_litteraire – « Trois nobles sœurs de Bohême à la cour » par Cerboni, contemporain. Réalisation inspirée de la collection, XVIe siècle, de Rodolphe II Roi de Bohême. – Elles sont suffisamment stylées pour représenter les trois questions qui me sont adressées, non ? 🙂

Je te lis,
et je sens tes mots
comme s’ils étaient des battements brisés
qui frappent doucement contre ma poitrine.

Quel courage de dire : « Je suis fatigué »,
alors que le monde attend que tu restes debout,
le dos droit et l’âme silencieuse.

Quel courage d’avouer que tu souffres,
que feindre la force t’use
la peau et le cœur.

Je ne sais pas comment guérir ce que tu portes en toi,
mais je peux rester à tes côtés,
dans ce coin où les larmes
n’ont pas besoin d’autorisation,
où il n’est pas nécessaire d’expliquer
pourquoi ça fait mal.

Parfois, être fort, ce n’est pas résister,
c’est s’autoriser à tomber un instant,
fermer les yeux et dire :
« Je n’en peux plus »,
sans culpabilité.
Sans peur.
Sans se cacher.

Tu n’es pas moins important parce que tu es brisé.
Tu n’es pas moins important parce que tu te sens vide.

Tu es humain…
et cela est aussi immense
que la mer qui t’étouffe en ce moment.

Laisse-toi embrasser par le silence.
Par ce poème.
Par ceux qui, sans le savoir, ont également
ressenti ce même poids.

Tu n’es pas seul, même si le monde semble si loin.

Respire.
Je suis là.

Et si tes mots s’éteignent,
je te prête les miens jusqu’à ce que
les tiens décident de revenir.

Manuel Ignacio

Source texte : Manuel Ignacio

Source image : Vigil (2022) par Justin Liam O’Brien (américain, né en 1991)

Où es-tu, mon grand amour ?
Mon cœur te cherche, plein de désir.
Dans mes rêves, je te trouve, tout près,
mais le matin, je me réveille seul.
Le monde est vide sans ton rire,
Quand le destin nous réunira-t-il ?
Je t’attends, plein d’espoir,
en attendant, je rêve de notre bonheur.

Florian Teurer – 12 juillet 2025

Source texte et image : Florian Teurer

Des fois, chez soi ce n’est pas quatre murs.
Des fois, c’est juste deux yeux et un battement de coeur.

Ash – 2 mars 2017

Source photo : Julien, Strasbourg, septembre 2007 – portrait digital proposée par Male Muse sur sa page facebook

À propos des textes du jour
(Gn 18,1-10 ; Col 1, 24-28 ; Lc 10, 38-42)…

Ce mystère enfin connu,
caché jusqu’ici aux générations précédentes
(c’est saint Paul qui le dit) :
“Christ est parmi vous”.

Rien que ça.
Christ est parmi vous !

Après 2000 ans de christianisme,
ça paraît banal de dire ça.
Ben oui, on le sait, réveille-toi :
ça fait 2000 ans qu’on nous le dit !

Justement : ça fait 2000 ans
et l’humanité n’a toujours pas encore pris la mesure
de cette nouvelle : Christ est parmi nous.

Dans le récit des évangiles,
Marie (de Béthanie) l’a pressenti au point d’arrêter toute activité
pour profiter de cette présence – qui sera réalité qui dure –
là où Marthe s’affaire encore dans un objectif généreux de bien faire,
d’être une femme impeccable, serviable et hospitalière.
– Manquerait plus qu’on dise qu’elle a mal reçu le Seigneur ! –
ꟷ Mais bouge-toi donc, Marie! Pourquoi tu me laisses seule au service alors qu’il y a tant à faire !

Rien. Il n’y a rien à faire pour recevoir ce don gratuit
que le Christ est parmi nous.
Pas seulement la réalité tangible d’un homme qu’on reçoit,
fût-ce Jésus.
Mais la réalité que la Vie-même,
l’origine de tout élan vital dans l’univers
se manifeste dans cette humanité-là,
celle de Jésus.
Et le don, le voici :
si cela est vrai pour l’homme Jésus,
c’est vrai pour toute humanité, homme et femme,
qui veut bien s’y rendre disponible,
l’accueillir
enfin y croire.

Car Dieu a toujours été là,
ce sont nos yeux, nos cœurs, mal décillés
qui sans cesse cherchent à l’extérieur
une vérité profonde qui est déjà là, disponible en chacun.

C’était déjà l’intuition d’Abraham
qui perçoit recevoir le Seigneur en ces trois étrangers
qui apparaissent à lui au chêne de Mambré.
Innocence et confiance incarnées,
il n’est qu’accueil et hospitalité
au mystère de Celui qui vient, qui est.

L’étranger, cet autre, est son Seigneur.
En lui, il reconnaît la visitation, la communication qui lui est faite
qu’il est digne d’intérêt pour le Tout Autre.
Il n’a pas encore compris, peut-être, que ce tout Autre est aussi en lui,
alors même pourtant qu’il va donner la vie, créer une formidable descendance.
Il faudra que son hôte, cet étranger, revienne à la naissance de son enfant pour le lui confirmer.
Ce tout autre qu’il appelle Le Seigneur
et qui pourtant sont trois.

Texte tellement étrange
qu’il semble y avoir un élément de compréhension qui nous échappe,
un décodeur, quelque chose qui ferait que le sens est évident.
La tradition chrétienne, magnifiée par l’œuvre de Roublev,
y relit la présence du Dieu trinitaire,
complètement un, complètement trois,
ce qui, bien sûr est une relecture théologique tardive, a posteriori.
Tant mieux si elle aide à comprendre que Dieu est amour
quoi qu’il en soit de la manière dont on le regarde,
et jamais peur, guerre et méchanceté !

Abraham voit trois hommes,
ils sont l’Etranger par excellence,
quoiqu’il en soit de leurs spécificités personnelles.
Ils sont le Tout Autre,
ils sont le Seigneur.
Ils le sont
et lui ne sait pas encore
que, dans cette logique il est lui aussi le Seigneur.
Le Seigneur qui se reçoit lui-même.
« Le seigneur dit à mon Seigneur :
siège à ma droite » dit un des psaumes.

Revenons à saint Paul.
Son cri du cœur est :
le mystère qui était caché depuis des générations est enfin révélé,
Christ est parmi vous !

Christ est parmi nous.
Christ est parmi moi.

Certains dira-t-il ailleurs ont reçu des anges sans le savoir.
Les anges, ces messagers de Dieu.
Autre interprétation projetée parfois
sur les trois hommes qu’Abraham reçoit à Mambré.

Des anges reçus sans le savoir.

Combien en ai-je reçu dans ma vie sans le savoir ?
Tiens, et là, aujourd’hui,
toi qui croises ma vie, es-tu un ange pour moi,
un messager du ciel, un ange
que je n’aurais pas encore reconnu ?

Allons plus loin, toi que je croise aujourd’hui,
en quoi es-tu ange qui me parle de mon Seigneur,
qui me renvoie à ma propre humanité, à la tienne,
et réalise en nous ce doux mystère
que Christ est parmi nous ?

Bien sûr que moi aussi je suis un ange,
ou que je devrais être un ange pour toi,
et que de me rencontrer t’aide à réaliser
que le Seigneur est avec toi.

Mais chhhhut ! Mets une garde à ta bouche,
ne t’occupe pas de ça
pour ne pas tomber dans l’orgueil
et te couper de Celui qui te donne tout
et dont tu ne peux que te recevoir.

Il suffit bien que tu réalises qu’en chaque rencontre,
aussi dure, aussi compliquée, aussi perturbante soit-elle,
c’est le Seigneur, en cet homme-là, en cette femme-là, qui te rejoint.
Le seigneur invite le Seigneur à l’accueillir.

Au-delà des formes, au-delà des apparences,
savoir comme Abraham reconnaître la bonne nouvelle
qui se manifeste par la rencontre de l’autre,
l’insigne honneur qu’il me fait
d’être entré dans ma vie.

Voilà donc Jésus qui entre dans ma maison.
Immédiatement, viennent s’animer en moi
ces deux forces qui semblent s’opposer :
vite s’affairer, faire quelque chose
pour être à la hauteur de la venue de celui que j’aime
et que surtout il ne lui vienne pas à l’idée de me quitter ou de m’abandonner;
suspendre toute activité pour gouter la Présence de celui qui me révèle à moi-même,
là, maintenant et toujours.

Viens, Seigneur, visite-moi encore et encore
jusqu’à temps que j’arrête de courir
pour enfin te recevoir.

Z – 20 juillet 2025

Photo : Une photographie de Thomas Synnamon