Etonnante coïncidence. Avoir enterré le pape François hier, samedi, et recevoir ce jour, dimanche du temps pascal, ce texte des Actes des Apôtres :

Tous les croyants, d’un même cœur,
se tenaient sous le portique de Salomon.
Personne d’autre n’osait se joindre à eux ;
cependant tout le peuple faisait leur éloge ;
de plus en plus, des foules d’hommes et de femmes,
en devenant croyants, s’attachaient au Seigneur.
On allait jusqu’à sortir les malades sur les places,
en les mettant sur des civières et des brancards :
ainsi, au passage de Pierre,
son ombre couvrirait l’un ou l’autre.

(Act,5,12b-15)

L’ombre bienfaisante de saint Pierre…. Il ne faudrait pas y interpréter une volonté de légitimer l’institution qui serait bonne quoi qu’elle fasse. L’actualité récente qui met au jour nombre d’abus réalisés au sein de l’institution suffit à en témoigner.

Pauvre Pierre. Si lent à croire, si résistant parfois, si têtu et si attachant en même temps quand il est acculé à choisir entre celui qui bouleverse sa vie et toutes ses objections, assez sages finalement, fruits de son expérience et du principe de réalité. Oui mais… Si, ultimement, il faut choisir entre le bien et ta peur que ça t’attire des ennuis, que ce soit difficile, que tu sois critiqué, malmené, tu fais quoi ? Tu me choisis toujours, brave Pierre, dis ?

Ben oui !

Comment faire autrement ? Tu es le bien absolu, tu as bouleversé ma vie. Tu es passé le long du lac, tu m’as appelé, je t’ai reconnu. Je me suis attaché à toi. Oh oui, comme je suis attaché à toi ! Je ne puis plus me passer de toi. Tu es le bien. Tu es la vie. Tu es l’avenir. Ne pas te choisir, c’est mourir.

Te choisir. Encore et encore. Et maintenant que tu es parti, me laisser envahir par ton Esprit, l’Esprit qui te fait vivre et qui est le bien absolu.

Et voilà qu’avec tes amis, nous ne formons plus qu’uns au point que les autres hésitent à nous approcher. Et voilà que tu produis en nous ce que tu réalisais devant nous durant ton existence terrestre.

Le bien est contagieux. Une fois que nous l’avons accueilli sans réserves, il se déploie sans encombres.

Le bien est guérisseur.

Le bien est restaurateur d’humanité.

Le bien est contagieux.

Quand bien même il ne serait qu’un ombre sur notre vie,
il est puissance de vie
qui aide à se relever.

Une ombre, certes.
Skia, en grec.
Une ombre, un reflet, une esquisse.
Pas vraiment complètement le Bien absolu
Mais déjà sa lumière bienfaisante projetée sur nous,
la préfiguration d’un plus grand bien encore à venir (col 2,17).
Ce n’est plus l’ombre de la mort (Lc 1, 79),
C’est l’ombre sous laquelle on peut se réfugier et profiter de la fraîcheur (Mc 4,32).

Alors je me demande : m’est-il arrivé d’expérimenter que le bien est contagieux ?

M’est-il arrivé d’expérimenter que malgré moi, sans y penser, ma présence, mes paroles, mes actes fassent du bien à autrui ? Il me semble bien connaître un peu cette expérience, en avoir eu des échos, des témoignages parfois. Comme un peu tout le monde, non ? Mystère insondable de l’amour qui se déploie sans bruit et force à l’humilité puisqu’il s’est fait comme sans moi volontaire mais à travers moi.

Si j’explore plus loin encore ce fil, je vois que c’est à chaque fois que j’approche l’authenticité que cela provoque des changements dans l’autre. Quand il n’y a pas de masques, pas de rôles. Juste quand j’arrive, un peu, à être moi et que ce moi, humain, ayant baissé les armes de la séduction ou de la justification, accepte juste d’être ce qu’il est. Alors, un autre humain, parfois, se sent touché, se sent rejoint et cela lui fait du bien. Il est comme invité lui aussi à se déployer, libéré des regards, oppressions ou conditionnements qui l’entravaient. Invité à son tour à être lui-même. Et c’est bien.

L’ombre du bien…

Me viennent, de manière un peu incongrue, les accents nostalgiques de la chanson de Bourvil dans son interprétation du bal perdu et cette envolée, subtile, discrète, lumineuse du dernier refrain, malheureusement si triste parce que dite au passé : « et c’était bien… »

Le bien, ce qui fait du bien, se reconnaît instantanément. Comment ne pas le choisir ? Et s’il vient à disparaître, il peut provoquer cette nostalgie émouvante qui dévoile des sentiments authentiques. Nostalgie de l’amour perdu, ou bien de la sécurité, de l’assurance ou de toute autre composante essentielle au déploiement humain. Bref, nostalgie du bien perdu, nostalgie si souvent évoquée dans la Bible, de l’alliance perdue, de la terre et de l’unité du peuple. Désir de revenir, encore et encore à ce qui était bien. Sauf que la foi chrétienne nous invite à ne considérer le passé que comme promesse continue du temps de Dieu, elle nous invite à nous porter vers le présent et l’avenir. Eternel présent de Dieu.

Alors quittons justement la nostalgie et passons au présent. Bien que ma réflexion ici soit générale, je voudrais m’adresser spécifiquement aux personnes homosensibles qui sont encore en lutte avec cette dimension de leur être comme si ce n’était pas sûr…que ce soit bien. Il n’y a pas d’autre moyen d’accéder à soi-même que de s’accueillir tel qu’on est. Il est un moment où il faut découvrir que ce ne sont pas aux autres de dire qui nous sommes, quels que soient ces autres : famille, amis, clans, société et quelles que soient leurs références à un passé qui aurait été mieux qu’aujourd’hui. Je ne peux pas être en lutte avec moi-même, avec une partie constitutive de moi-même, et pouvoir me déployer de manière unifiée. Et ça, ça se passe aujourd’hui.

Cette découverte se fait parfois, pour certains, dans la rébellion, la revendication, la provocation. Pourquoi pas ? Mais alors le combat intérieur n’est pas terminé. Elle peut aussi se faire aussi dans la discrétion d’une acceptation interne, dans une conscience intègre qui, affranchie des obligations de rendre compte, n’a pas besoin de se justifier.

Toute parole juste de Jésus alors même qu’il ne rencontre pas les personnes concernées (le fils de la veuve, le serviteur aimé du centurion), le bout du manteau de Jésus, l’ombre de Pierre… tout est performatif du moment que c’est habité d’une intention droite et juste portée par un bien authentique.

Toi qui es gay et te crois éloigné de Dieu ou condamné par lui pour cette raison, s’il te plaît, passe sous l’ombre de Pierre et de ses amis, cette ombre éclatante de lumière qui configure ton humanité sans aucun jugement.

Tu es tel que tu es, tu es un humain. Il n’y a rien en toi qui puisses repousser Dieu. Il y a juste d’autres humains qui sont loin d’avoir compris à quel point le Christ assume toute humanité et qui voudraient te configurer comme ci ou comme ça. Sous l’ombre de Pierre, qui est je le redis la projection du bien – lumière éclatante reçue du Christ, il n’y a pas de jugement. Tu fais partie de l’humanité intégralement.

L’ombre de Pierre…

Merveilleuse ombre qui vient annihiler l’ombre de la mort.

Le bien qui guérit de toute maladie.

Le bien en action.

Z – 27/4/2025

source photo : everydayhealth.com

pecheurs-grau

“Quand Simon-Pierre entendit que c’était le Seigneur,
il passa un vêtement,
car il n’avait rien sur lui,
et il se jeta à l’eau.”

(Jn 21, 7)

Simon-Pierre, c’est le patron des naturistes, en quelque sorte. Cool ! Il a repris ses activités de pêcheur, et ça le dérange pas d’être nu  au milieu de ses compères, et d’une manière très naturelle puisqu’il est en train de travailler.

Mais voilà, sur le rivage, y’a un homme qui les interpelle. Et quelqu’un dit “C’est le Seigneur!”

Et tout à coup, voilà une scène curieuse : il passe un vêtement  et se jette à l’eau. Est-ce que d’habitude on ne fait pas le contraire? On enlève ses vêtements pour se jeter à l’eau?

Bon, on peut imaginer qu’il a anticipé qu’il allait sortir de l’eau et paraître devant le Seigneur, et donc il y va avec ses vêtements. Cette explication tient la route mais nous avons appris à nous méfier des explications trop faciles, qui apparaissent comme des voiles d’interprétation culturelle. N’allons donc pas trop vite.

Prenons le temps de la scène initiale. Pierre est sans vêtements en train de travailler, scène apparemment banale et quotidienne.  Ca ne choque visiblement personne autour de lui et  on ne sait d’ailleurs rien de l’habillement des autres. Plusieurs autres. Pierre est-il seul à être nu?  D’autres le sont-ils ? ou à moitié dénudés?  certains se rhabillent-ils ensuite pendant le temps où la barque revient ? Certains reviennent-ils nus? On n’en sait rien tant le focus est posé sur Pierre. Mais se poser ces questions permet de ne pas rétrécir trop vite le champ des possibles.

Une question m’est posée concernant la nudité des pêcheurs de Tibériade. Doit-on imaginer une nudité totale ou portaient-ils des pièces de tissu comme caleçon ou cache-sexe?

Notons tout d’abord que cela ne change rien au fond de mon commentaire. La réception de cette péricope parle clairement de nudité et est souvent interprétée dans le sens d’une condamnation morale. Or, que ce soit une nudité totale ou partielle, rien ne permet de soutenir cette condamnation.

Nudité totale ou pas ? Certains prétendent que les hommes juifs auraient eu des sortes de pagne pour cacher leur sexe. Pourquoi pas ? Mais ce n’est écrit nulle part. Alors, n’est-ce pas une interprétation rigoriste et moralisante postérieure qui veut absolument affubler les hommes de cache-sexe? Bref, il ne suffit pas d’affirmer, il faut prouver.

Si on s’en tient au texte grec de ce passage d’Evangile, littéralement il dit : Et Simon Pierre, dès qu’il eut entendu que c’était le Seigneur, mit son vêtement et sa ceinture, car il était nu (gymnos). Il n’y a pas d’équivoque possible, le mot gymnos parle de nudité. Qu’il y ait un morceau de tissu ou pas, Pierre est décrit comme étant nu. Quant au mot vêtement, ependutes, il s’agit de la seule occurrence biblique, ce qui fait que les spécialistes interprètent ce mot comme désignant un vêtement de travail qui serait spécifique aux pêcheurs pour se couvrir. Ependutes vient en effet du verbe ependuomai (mettre dessus) qu’on trouve aussi en 2 Co 5,2 : Aussi nous gémissons dans cette tente, désirant revêtir (ependuomai) notre domicile céleste. Le passage 2 Co 5, 1-4 est assez complexe mais il n’y a pas de doute sur le fait que l’idée est de revêtir une nudité.

Du point de vue de la rive, c’est-à dire de cet inconnu qui hèle les passagers de la barque, cela ne semble pas poser problème puisqu’il leur adresse la parole sans  se formaliser un instant qu’un des pêcheurs, au moins, soit nu. La pointe de ce cette péricope n’est donc pas sur la nudité.

Mais alors pourquoi Pierre semble-t-il se rhabiller en toute hâte quand il entend “c’est le Seigneur“?

Oui… quand il entend “c’est le Seigneur!

Il y a un après  et un avant. Et le déclencheur, c’est cette parole “c’est le Seigneur“.

Or, nous sommes maintenant après la Résurrection.  A la parole “c’est le Seigneur“, Pierre répond  avec une sorte d’immédiateté : il revêt son vêtement et se jette à l’eau.  Personnellement, ça me rappelle les premiers temps de la saga Jésus quand il parcourt les bords du lac de Tibériade  et qu’il appelle ses premiers disciples. Sauf que, là, il s’en est passé des choses depuis. Et, en plus, il est mort et Ressuscité, celui qui les appelait et qu’ils ont suivi. Alors, il n’est plus besoin d’un appel direct : “toi, suis -moi”.  La seule parole “c’est le Seigneur” et Pierre sait ce qu’il a à faire. Il répond. C’est là qu’il doit aller.

Dans l’intention de l’évangéliste, il se pourrait bien que la mention de sa nudité et du vêtement soit au service du même sens. Vérifions.

Nous sommes après la Résurrection. L ‘Apôtre Paul nous dira dans ses épîtres combien cette expérience de la mort et la Résurrection du Seigneur est fondatrice d’un monde nouveau dans lequel ceux qui y sont appelés, et répondent à cet appel, passent du statut de vieil homme à homme nouveau, avec les habits qui vont avec.

Il me semble que l’accent du texte n’est donc pas de fustiger ou condamner la nudité de Pierre qui serait honteuse. L’inconnu du rivage ne dit rien à ce propos, ni au moment où il interpelle les ouvriers dans la barque ni au moment où il prend le repas et discourt avec Pierre. Par contre, il y a une sorte d’insistance sur le fait de revêtir le vêtement au moment où l’on va rejoindre le Seigneur qui, un jour du temps, nous avait appelé et à qui on avait répondu. Tenue de service obligée, en quelque sorte. Et encore plus maintenant qu’il est Ressuscité.  Le vieil homme est mort, l’homme nouveau est né. C’est au service du Ressuscité que Pierre accourt.

Pas inintéressant de remarquer que quelques versets plus tard, sous couvert d’une histoire de ceinture que d’autres vont serrer à la place de l’intéressé pour le mener où il ne voudrait peut-être pas aller, on a comme une suite de cette affaire de vêtement.

Suivre le Christ Ressuscité, ce n’est pas compter sur ses propres forces, c’est s’en remettre à Lui. C’est revêtir les habits lumineux de la Résurrection, déjà entrevus lors de la Transfiguration. Cela est cohérent avec la promesse de la paix du Christ à l’humanité. Avant la Résurrection, Jésus parle d’une paix qu’il va donner à ses disciples et qui n’est pas celle du monde (Jn 14,27), c’est-à-dire qui n’est pas celle qui est connue des hommes en s’appuyant sur leurs propres forces. Après la Résurrection, il apparaît aux douze avec ces premiers mots “La Paix soit avec vous!” (Jn 20, 19.21)

Bref, il y a un avant et un après. Un avant et un après la mort et la résurrection du Christ. Et désormais, un avant et après la rencontre du Christ pour chaque homme et femme de l’histoire.

La nudité de Pierre n’est donc pas laide ni malsaine. Il est en travail quand même, ce brave homme ! Il essaie de gagner sa vie. Mais ses propres forces ne suffiront plus désormais, s’il veut suivre la Voie du Ressuscité. Alors revêtir ce vêtement qui sera bientôt serré d’une ceinture qu’il ne maîtrise pas, c’est une manière de dire au Seigneur qu’il est prêt.

N’est ce pas l’esprit de tout ce passage? La précipitation de Pierre quand il entend “c’est le Seigneur” , comme si revenu à ses tâches quotidiennes il était en attente du jour du Seigneur pour lui.  La réaction immédiate de Pierre, au service, quand le Seigneur demande d’apporter des poissons. Et finalement toute la teneur de ce dialogue intime entre Pierre et son Seigneur.  Il est prêt, il se croit prêt. Il est, en tout cas, animé d’un grand désir de servir le Seigneur. Alors oui, il peut être peiné, et même désemparé, quand le Seigneur peut lui demander avec insistance s’il est vraiment prêt,  s’il l’aime vraiment, totalement et sans conditions.

Alors, Pierre peut faire la réponse qui compte :

« Seigneur, toi, tu sais tout :
tu sais bien que je t’aime. » (Jn 21,17)

Tu connais tout de moi. Tu connais ma nudité, tu connais ma fragilité, tu connais mes limites. Sans toi, rien n’est possible Seigneur. Mais mon désir, mon attente de toi, si forts, si immenses, dans ce pauvre corps que tu connais, ça aussi Seigneur tu le sais. Tu sais bien que je t’aime.

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Post Scriptum pour ne pas oublier la question qui m’a été un jour posée : la nudité est-elle une bonne nouvelle?

Ce beau texte ne permet pas de condamner la nudité comme, parfois, on a voulu le faire.  Encore une fois, la nudité de Pierre n’est ici pas honteuse, elle est naturelle et même socialement admise. Y compris, semble-t-il par le Seigneur.

D’un point de vue symbolique, cette nudité semble même nécessaire. Il faut se dévêtir des vieux habits du monde passé pour revêtir les habits resplendissants du Ressuscité ou, à tout le moins, ceux du service du Ressuscité. Cela passe par le fait de se dévêtir et apparaître en vérité et en simplicité. Pas de tricherie possible, pas de honte non plus.

Cela semble bien être le sens que l’on retrouve  dans certaines pratiques baptismales qui ont perduré jusqu’au Moyen Âge, par lesquelles on perdait ses habits au moment de descendre dans la cuve baptismale que l’on traversait, nu, avant d’être revêtu d’un nouvel habit, blanc, au sortir de la cuve.

Ce texte ne permet ni de condamner ni de magnifier la nudité. Elle est juste notre condition naturelle, première réappropriation de soi à faire, peut-être, pour pouvoir réellement se désapproprier.

Z. 9/4/2016

 

 

Source photo : pêcheur du Grau-du-Roi