L’an dernier, je postais dans la période pascale un article qui sembla attirer un peu l’attention mais dont on me reprocha parfois l’illustration représentant un homme nu qui aurait pu être le Ressuscité : un homme.

Mais la question de fond est : qui est l’homme qui ressuscite quand on ressucite ? Ce qui pourrait nous amener à plein d’autres questions et de longs développements. Par exemple : quel est l’homme, quelles parties de moi… Tout moi ? Probablement pas nos masques, apparences, vêtements de toute sorte qui servent à occulter qui nous sommes vraiment. Ce qui passe la mort et est re-sucité est probablement la partie la plus vivante de moi. Et je ne peux pas m’empêcher de penser que c’est alors aussi la partie la plus vraie de moi.

La plus vraie… “Qu’est-ce que la vérité ?” demande Pilate, étrangement, peu de temps avant la condamnation de Jésus (Jn 18,38). Jésus semble le savoir puisqu’à ceux qui veulent bien le suivre, il déclare : “Je suis le chemin, la vérité, la vie” (Jn 14,6). Les trois à la fois : chemin-vérité-vie. Laissons-nous quelques instants pour méditer sur cette question : dans l’esprit de Jésus, ces trois mots sont-ils synonymes, complémentaires, s’entraînant l’un à l’autre ? Question stérile à vrai dire puisqu’il y répond : “il est” le chemin , la vérité, la vie. C’est consubstantif de son être, on ne peut pas le lui enlever. Il l’est comme Dieu est, ainsi qu’il se désigne lui-même quand Moïse lui demande son nom: “Je suis” . Que puis-je te dire d’autre que cela : je suis celui qui est, je suis au delà de tout nom. Je suis la vie, je suis l’être, je suis la vérité. Je suis le souffle qui te traverse et te fait te préoccuper de justice et de liberté. Je l’étais hier et je le serai demain. Je le suis. Je suis.

Par Jésus, avec Jésus et en Jésus (par lui, avec lui, et en lui…), dans cette humanité-là, je suis. Cette humanité qui est la tienne aussi. Cette part de toi qui est divine et que j’aimerais bien retrouver et que je ne me lasserai pas de chercher et susciter et resuciter sans cesse. Oh, j’ai dit “divine” ? Je voulais dire vivante. Ne va pas te faire des illusions avec le mot “dieu” et ses caractéristiques “divines”. Si tu te souviens bien, quand tu t’es préoccupé d’avoir un accès direct à moi comme si je t’étais extérieur, Jésus t’a fait la seule réponse qui vaille : “Quoi? si longtemps que tu es avec moi et tu n’as toujours pas compris ? Qui me voit voit le Père.” (Jn 14, 9-12)

Encore l’humanité.
Encore la Vérité.

Encore ce besoin de message ou de preuve extérieurs
alors que moi, Jésus, dans mon humanité,
jusqu’à mon passage de la mort et le fait que je sois re-suscité,
je suis en train de te montrer ce qui te concerne
dans TON humanité.
Et je n’ai pas de meilleur moyen pour te le montrer
que de le vivre pour toi
dans MON humanité.

Regarde :
rien ne passe la mort
sauf ce que je suis vraiment :
le chemin, la vérité, la vie,
qui je suis vraiment.

Bas les masques,
bas les apparences,
bas les vêtements d’apparat.
Fumée, poussière, rien n’en restera.

De ton corps même,
tel que tu l’imagines,
amas de cellules à durée limitée
rien ne restera.

Mais ton être ?
Cette vie qui te traverse,
qui vient de plus loin que toi,
qui n’est pas toi
et qui pourtant est toi
quand tu communies à elle,
cette vie qui anime tes cellules,
qui te te fait aspirer à la paix, à l’amour,
à la vérité…

Ton être,
cette partie de toi
qui est de moi,
qui vient de moi
qui va à moi
– si tu le veux bien.
Mystère d’amour
que l’amour
veuille se trouver lui-même
et se remette en cause sans cesse
par amour
de l’amour.

Bien sûr,
que quand je suis re-suscité,
le don de ma vie
n’annihile pas
le déploiement de l’amour
dans l’ek-sistence
de ma vie terrestre.
Mon corps reste marqué
de ces coups reçus
par le manque d’amour
quand j’offrais
seulement
un chemin,
la vérité,
la vie.

Scandale pour les uns,
honte pour les autres,
le signe de la croix.
La vie
crucifiée,
outragée,
rejetée.
L’amour
abandonné,
banni
moqué
comme impossible.
Le chemin
refusé,
discuté,
perverti
par le discours trompeur
de ceux qui ont peur
et parlent
de ce dont ils ne connaissent rien.

Alors voilà :
même crucifié,
mort, enseveli,
je suis le chemin, la vérité, la vie.
Les marques sur mon corps,
les supplices de la croix,
ces trous dans mes mains et dans mes pieds
– tu vois, hein, de quoi je veux parler ? –
eh bien, ils sont bien là,
tu peux vérifier :
c’est bien moi.

Bas les masques,
bas les apparences,
bas les vêtements d’apparat.

Seule, la vérité compte.

Pourquoi, dès lors,
chercher le Vivant parmi les morts ?
Pourquoi vouloir le toucher, se l’accaparer
comme garantie d’être sauvé sans rien faire
alors que le chemin est clair :
choisir la vérité, choisir la vie,
laisser advenir en moi le Vivant
et refuser tout ce qui occulte qui je suis
et m’empêche de revenir à la maison
pour la fête des retrouvailles.

– Lui aussi, le fils prodigue, on le revêtira d’un vêtement,
ce ne sera pas pour recouvrir sa nudité,
mais pour restaurer sa dignité.
Vêtement blanc, resplendissant,
transparent peut-être,
vêtement de vérité.
Tu es plus beau que ce tu crois,
enfant de Dieu
qui passe ton temps à te salir tout seul
en oeuvrant contre toi-même.

Le vigneron est venu,
les ouvriers l’ont mis à mort.
Que fera le maître de la vigne ?

Cherchez le Seigneur tant qu’il se laisse trouver ;
invoquez-le tant qu’il est proche.
Que le méchant abandonne son chemin,
et l’homme perfide, ses pensées !
Qu’il revienne vers le Seigneur
qui lui montrera sa miséricorde,
vers notre Dieu
qui est riche en pardon.
(Isaïe 55)

La vérité :
je suis à la fois la vigne du Seigneur
et le vigneron.
La vie m’est donnée dans cette existence terrestre
avec un corps pour la porter et la faire fructifier.
Cette vie terrestre prendra fin,
pas l’élan vital,
la vérité de qui je suis.

Reste une question : la tradition chrétienne parle bien de résurrection des corps. Alors, que restera-t-il de moi, de mon apparence, de mes capacités physiques, etc. Il y a à ce propos un quiproquo qui tient aux mauvaises traductions de l’hébreu et du grec en latin puis en français. Le mot que l’on a traduit par corps est basar en hébreu ou sarx en grec qui désignent plutôt la chair, c’est-à dire la substance du corps vivant qui est irrigué par le sang.

C’est le mot “basar” que l’on trouve par exemple en Gn 2,24 : “l’homme quittera son père et sa mère, et s’attachera à sa femme, et ils deviendront une seule chair (basar)” pour expliquer la génération d’enfants, ou dans le Psaume 62 : “Mon âme a soir de toi, après toi languit ma chair(basar)” et non pas mon corps.

C’est le mot sarx que l’évangéliste Jean emploie quand il déclare que le Verbe s’est fait chair (Jn 1,14) ou quand il fait dire à Jésus qu’il est le pain vivant et “c’est ma chair (sarx), que je donnerai pour la vie du monde” (Jn 6,51), ainsi qu’à chaque fois qu’il dit que sa chair (et non son corps) est nourriture, ainsi également que dans son grand discours dans lequel on trouve : “selon que tu lui as donné pouvoir sur toute chair (sarx), afin qu’il accorde la vie éternelle à tous ceux que tu lui as donnés.” (Jn 17,2)
[voir un commentaire de ce dernier passage, ici]

Conclusion : ce corps que je cache parfois ou que j’utilise à d’autres fins que d’entendre l’appel intérieur s’arrêtera. Mais ma chair, la partie vivante en moi, la partie irriguée de vie en moi, perdurera. Cette partie de moi qui sait prendre forme
et animer tout mon organisme, elle vivra. Sous une forme ou sous une autre, celle-ci n’ayant plus grande importance si ce n’est pas pour une existence terrestre.

Le récit par Jean de la course au tombeau par les deux apôtres, Pierre et Jean, n’en est que plus touchant. Un récit plein d’humanité, plein de promesses aussi. Ils courent à la recherche d’une bonne nouvelle : la pierre est roulée, leur ont dit les femmes. Peut-être est-il encore vivant ? Alors ils courent, le vieux, le jeune. Le jeune arrive le premier, il attend son aîné respectueusement. Et ils voient, chacun à leur manière : Jean voit les linges posés à plat. Pierre voit aussi les lignes posés à plat, mais aussi, le linge qui entourait la tête de Jésus, roulé à la même place, à part des autres linges. Pour être clair : pas du tout comme si quelqu’un avait fait le ménage et plié et rassemblé les draps. Les linges sont simplement là sans le corps de Jésus : à plat sur l’étendue de son corps, en boule – la boule qui entourait sa tête) à l’emplacement de la tête.

Alors, ils comprennent. Il est bien vivant. Mais pas comme ils l’avaient imaginé.
Alors ils se souviennent. Il est vivant comme il le leur avait dit : tel qu’on est vivant après le passage de la mort et qu’on est re-suscité.

Ils couraient tous les deux ensemble,
mais l’autre disciple courut plus vite que Pierre
et arriva le premier au tombeau.
En se penchant, il s’aperçoit que les linges sont posés à plat ;
cependant il n’entre pas.
Simon-Pierre, qui le suivait, arrive à son tour.
Il entre dans le tombeau ;
il aperçoit les linges, posés à plat,
ainsi que le suaire qui avait entouré la tête de Jésus,
non pas posé avec les linges,
mais roulé à part à sa place.
C’est alors qu’entra l’autre disciple,
lui qui était arrivé le premier au tombeau.
Il vit, et il crut.
Jusque-là, en effet, les disciples n’avaient pas compris
que, selon l’Écriture,
il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts.

(Jean, 20,3-9)

La quête infinie de soi vers soi.
Une quête qui est un retour à soi.

Mais comment retrouver le Soi
quand il ne s’est pas encore confronté
à la diversité et la différence
comme hors de Soi ?

Alors le Soi s’expériencie
à la fois là comme partout,
partout étranger
et incomplet
à soi.

Être partout et être là.
Revenir à soi,
être ici.
Voilà le chemin.

Z – 20/05/2024

Sur la photo : Devin Moorman, modèle pour l’agence DTM

Aj Neu

En ce temps-là, les yeux levés au ciel, Jésus priait ainsi :
“Père saint, garde mes disciples unis dans ton nom
le nom que tu m’as donné,
pour qu’ils soient un,
comme nous-mêmes.”
(Jn 17,11b)

Ton nom, le nom que tu m’as sonné, que nous soyons unis en ce nom…
Quel autre nom que le seul, magistral, que Dieu veut bien nous donner dans la Bible:
Je suis.
J’étais, je suis, je serai.
J’étais celui que je suis.
J’étais celui que je serai.
Je suis celui que j’étais
Je suis celui que je serai
Je serai celui que je suis
Je serai celui que j’étais.
Je suis.

Impossible de me limiter
dans un nom ou un concept.
Je suis.

Ce nom imprononçable
que Dieu donne à Moïse
exprimé dans ce temps inaccompli
qui fait qu’on peut le traduire dans tous les sens.
Je suis, j’étais, je serai.
Permanence dans l’impermanence.
Souffle de vie qui ne s’éteint jamais.

Être de ton être,
et tu ne le sais pas.

Jésus le sait.
Il participe de ce nom,
Il se reçoit de ce nom qui est également action :
“Je suis”,
dépassant les frontières du temps et de la création,
dépassant aussi les limites de nos pauvres rationalisations.

Jésus,
premier d’entre nous à se revoir de “Je suis”,
à s’accueillir comme vivant dans ce nom, par ce nom.

Et nous,
pauvres humains qui courrons de-ci de-là
à la recherche du bonheur,
à la recherche d’une continuité, d’une assurance, d’une permanence…

Nous sommes simplement invités
à entrer dans ce mouvement de “Je suis”,
ce mouvement d’amour qui a commencé avant nous
– avant notre existence terrestre,
et qui se prolongera au-delà.

Juste,
accueillir le “Je suis”
et le laisser se déployer
en nous.

Sois,
bon sang !
Qu’attends-tu ?

Z. 12 mai 2024

Photo : Aj Neu, modèle chez Soul Artist Management

L’autre, dans le couple nous révèle à nous même…

L’autre ne nous blesse pas : il nous révèle simplement que nos plaies n’étaient pas guéries. Nous avons cru que la rencontre avec un autre nous avait guéri. C’était une illusion, car la guérison ne vient jamais de l’extérieur, toujours de l’intérieur.

La relation avec l’autre est donc pour nous un révélateur de nos manques et de nos souffrances cachées.

Croire qu’une relation, quelle qu’en soit la nature, peut nous faire oublier nos manques et nos souffrances est un leurre. Cela conduit inévitablement à la déception. En revanche, si nous envisageons nos relations avec les autres comme une opportunité de nous connaître, nous pourrons commencer à combler nos besoins et guérir nos blessures.

Tant que nous nous berçons de l’illusion que l’autre possède la clé de notre bonheur, nous restons dans un état de dépendance. L’autre représente une drogue dont le sevrage nous est intolérable. Le manque réveille notre souffrance, notre crainte et donc notre colère.

Thierry Janssen

Photo : Raul Borges et Zeh Moreira photographiés par Bruno Barreto pour Vanity Teen.

“Pour vous qui suis-je?”

Le frère franciscain Nicolas Morin vient de livrer sur facebook une très belle méditation sur ces paroles que Jésus adresse à ses disciples.
Allons plus loin.
Si Jésus, en son humanité, récapitule ce que Dieu fait en lui, c’est-à dire en toute humanité, c’est à-dire en chacun de nous, il nous reste à accepter d’être, chacun, celui qui vient déranger les autres par cette question : pour vous qui suis-je ?…
En étant différent, en étant autre, en étant d’une autre orientation sexuelle, pour toi/ vous qui suis-je ?
Et plus loin encore, en quoi mon humanité transcendée par l’acceptation de qui je suis vient-elle toucher ton humanité et favoriser son épanouissement?

Source photo : Film Jonas