Le sens de notre vie est finalement simplement d’être qui nous sommes, et cela tant qu’un souffle nous est encore prêté.

C’est très simple à dire mais, en vérité, avec l’âge, on découvre qu’être qui nous sommes est un cheminement : être capable de revenir à l’état d’enfance, où l’on se reçoit avec émerveillement sans penser, sans réaction de survie, sans conditionnement. Etre capable de revenir à cet espace caché au fond de nous, qui veut être et qui n’attend que nous pour s’épanouir. Des années durant, nous nous sommes protégés. C’était normal et nécessaire : pur instinct de survie. Nous avons acquis des automatismes, forgé des croyances, bâti une personnalité pour nous protéger. Et, souvent, nous nous sommes identifiés à ces masques qui finissent pourtant par ne plus nous convenir. Ils ne nous conviennent plus d’abord parce qu’ils sont faux, et parce que notre être profond n’y trouve pas ou plus son compte. Et puis surtout, cet être profond veut advenir. Nous sommes sur terre pour cela. Nous sommes vivants pour cela.

Pour que l’expérience de vie soit complète, il nous faut nous retrouver. Cela peut sembler douloureux au départ car il nous faut enlever ces masques auxquels nous nous sommes identifiés et qui nous collent parfois à la peau ou à la mémoire. La peur nous retient : peur de l’inconnu, peur de la vulnérabilité, peur de la nudité. Et paradoxe des paradoxes : la peur d’être, alors que nous sommes ici pour Être. Il y a donc comme une réconciliation avec nous-mêmes à opérer, avec beaucoup d’humilité : peu importe ce que je serai, je serai qui je suis déjà et aspire à être depuis mon origine. La forme ne compte pas. Une fois que l’appel intérieur a été entendu, il faut avancer: c’est le temps des retrouvailles annoncées, le temps de l’espoir, le temps de la joie. Rien, plus rien, ne peut détourner de ce chemin intérieur.

Un deuxième obstacle peut être ressenti au niveau des émotions, et notamment de la tristesse. Celle d’avoir été abandonné, laissé seul, pas reconnu, pas aimé ou pas suffisamment aimé. Cela aussi est un leurre. Dans son développement humain, l’être que nous sommes n’avait peut-être pas les moyens de sentir qu’il était voulu, aimé et éminemment digne et respectable. il a pu développer des stratégies qui sont venues renforcer ou colorer d’une teinte particulière, ici ou là, ses masques. Mais au fond, il est. Et s’il est, c’est qu’il est sans besoin de le mériter, sans besoin de reconnaissance extérieure. Le simple fait d’être dit l’amour de Dieu – certains diront “de l’univers” – à notre endroit. Aussi, un jour, vient également cette révélation intérieure : je suis infiniment aimable par le seul fait que je suis. Je ne suis pas abandonné, je suis invité à me retrouver. Je croyais être perdu, lâché par l’univers. Je suis invité à me retrouver, en moi, en cet espace où tout est stable et sécurisé, cet endroit où l’être que je suis peut s’épanouir.

Un troisième obstacle peut survenir sous la forme de colère. Colère d’être obligé de se battre, colère de devoir se défendre, colère de devoir mener un combat pour survivre. Qu’on l’appelle combat pour la justice, pour la dignité, pour la liberté ou la solidarité, cette colère a les mêmes fondements : il a fallu se battre pour survivre et c’était dur et cela a façonné notre personnalité. Cette colère est parfois encore très présente et fait réagir instinctivement pour des causes que l’on croit justes alors que, quelques justes qu’elles soient, c’est notre réaction qui prédomine comme une réponse, devenue conditionnée, au danger de paraître tel qu’on est : faible, vulnérable, fragile, et si beau ! Parfois la colère est niée et anesthésiée et, au contraire d’être assumée, elle est fuie comme un cataclysme violent qui monterait et n’arrangerait rien. Parfois, elle est à peine perceptible et va se nicher dans des détails imperceptibles pour autrui, une sorte d’exigence faite d’amertume et de regret, le désir d’être parfait par soi-même puisque la vie ne nous donne pas cette perfection. Cette colère, quelque soit sa forme est signe du désir de vivre en nous, fût-ce par le combat. Vient un temps où l’on peut saisir qu’il n’y a rien, ou plus rien, à combattre, mais seulement à être.

Zabulon – 9 juillet 2017

PS – Ce texte m’a été inspiré en réponse au questionnement d’un lecteur internaute assidu. Qu’ils en soit remercié !

Source photo : Gus Kenworthy, champion olympique de ski (médaille d’argent aux Jeux olympiques d’hiver, 2014)

Lorsque (les fils de Jessé) arrivèrent et que Samuel aperçut Eliab, il se dit : “Sûrement, c’est lui le messie, lui qui recevra l’onction du Seigneur!” Mais le Seigneur dit à Samuel : “Ne considère pas son apparence ni sa haute taille, car je l’ai écarté. Dieu ne regarde pas comme les hommes : les hommes regardent l’apparence, mais le Seigneur regarde le coeur.” (1 Sam 16, 6-7)

Le regard divin est libre de tous les déterminismes, pensées toutes faites ou habitudes solidement établies. La leçon vaut pour tous les temps et tous les hommes désireux de le suivre.(…) Le critère du choix de l’élu ne se fondera jamais sur “l’apparence” – fût-elle séduisante – mais bien sur la qualité du coeur.

Encore faut-il ne pas se méprendre sur ce que représente l’organe cordial dans la pensée biblique. Plus que la vie affective, le coeur est le centre de l’être, le lieu où l’homme dialogue avec lui-même et avec Dieu. C’est là et en cette présence que s’opèrent ses choix décisifs. En quelque sorte, Dieu regarde avant tout le lieu dans lequel Il célèbrera ses noces avec l’homme ! une chambre nuptiale qui doit être large et ouverte, dénuée d’a-priori, de raisonnements et de mentalisations en tout genre – fussent-elles les plus saintes.

Frère Irénée, moine à Chevretogne
La Vie, 23 mars 2017

Source photo: Photo prise par Thomas Knight