Les évènements actuels, et spécialement la possibilité du déconfinement ont remis à l’honneur un phénomène assez connu appelé syndrome de la cabane ou parfois de l’escargot.

En gros, cela consiste à avoir peur de sortir de son déconfinement après avoir été contraint de s’enfermer pour des mesures de sécurité. Certaines personnes ont tellement intériorisé ce besoin de protection – peut-être parce qu’elles y étaient déjà psychiquement prédisposées – qu’elles peinent à sortir de leur coquille. Il s’agit d’un état émotionnel transitoire, et non d’une pathologie, mais qui peut se révéler parfois assez handicapant s’il n’est pas accompagné intelligemment par une prise de parole raisonnée sur ce qui se passe et un encouragement à passer à autre chose.

Ce “syndrome” n’est pas nouveau, il a été formalisé pour la première fois dans les années 1900 pour décrire la situation des chercheurs d’or aux Etats Unis, isolés dans des cabanes, tous les sens aux aguets par peur de se faire détrousser ou tuer. Il fait clairement appel à un réflexe de survie archaïque qui consiste à se protéger lorsqu’un danger extérieur inconnu et insaisissable nous entoure.

Très bien. J’arrête là l’explication. Je me disais juste en lisant différentes choses sur le sujet et étant confronté à des personnes qui exprimaient leur peur du déconfinement, de sortir dans la rue, prendre à nouveau le métro ou un train pour aller voir leurs familles, etc. que probablement beaucoup de personnes homosensibles vivent ce syndrome de la cabane depuis des années, parfois depuis l’adolescence ou l’enfance.

Quelle différence y-a-t-il en effet entre la mise de soi-même au placard, comme instinct de survie permettant de continuer à se faire accepter de sa famille, sa paroisse, son quartier, la société, et cette peur de sortir de chez soi au cas où le danger, imaginé très grand, serait encore là ?

Continuons la comparaison qui n’est pas qu’une métaphore.

Les observateurs de la psychologie nous disent que le syndrome de la cabane est transitoire et n’est pas pathologique. Tant mieux ! Non plus le faire d’être homosexuel et d’être obligé de le taire, le nier, se cacher quand c’est un instinct de survie. Sauf que l’état transitoire a duré parfois bien longtemps. Il sera facile de s’en libérer une fois pour toutes une fois le coming out* fait (un peu comme ce lieu commun qui dit que quand on sait faire du vélo, c’est pour la vie : quand on sait faire du vélo, on ne peut pas oublier qu’on sait en faire). Mais parfois les séquelles sont lourdes en termes d’image et d’estime de soi, de capacité relationnelle, et d’ouverture à un amour réel et désintéressé.

La bonne nouvelle est qu’il est possible de sortir de cet état de stupeur qui empêche d’avancer et de se dévoiler tel qu’on est. Faire les choses petit à petit, prendre le temps, aller vers soi pas à pas, sans précipiter les choses, et se faire accompagner par une personne qui pratiquant l’accueil inconditionnel, saura nous faire sentir, pour la première fois peut-être, que non seulement ce n’est pas grave d’être homosexuel mais au fond c’est même plutôt bien. Oui, vraiment, c’est très bien, puisque ça nous est adapté. Et même plus, pas seulement adapté. C’est juste que c’est nous, que c’est soi.

Se rencontrer soi et se considérer avec bienveillance. Parfois avec la présence d’un témoin amical qui confirme que ce chemin est possible, voilà la clé.

– – –

(*): Je rappelle qu’il y a trois phases possibles dans le coming out : 1/ celui qu’on se fait à soi-même (sortir du déni, assumer qui on est pour soi), 2/ L’exprimer, le partager avec des gens de confiance (amis, famille, proches) 3/ le vivre socialement et publiquement.

Le plus important des coming out et le seul nécessaire à son intégrité psychique est le premier, les deux autres sont à décider au cas par cas si cela est opportun.

– – –

Photo : © Guy Moigne

“Désormais, je ne suis plus dans le monde ;
eux, ils sont dans le monde,
et moi, je viens vers toi.”
Jn17, 11

Waouh, faut oser quand même !

Je suis absolument certain que les croyants ne se rendent pas compte de l’immensité de cette parole. Le mot “monde”, on a tellement l’habitude de l’entendre qu’on n’y prête plus attention. On l’a affadi, on le comprend souvent comme “mondanités”, petites choses, là où on est, avec nos contingences.

C’est pas faux, mais c’est très réducteur.

Car le mot qu’emploie l’évangéliste et qu’on a traduit par monde est ni plus ni moins que le cosmos. pas notre petit monde quotidien, non, mais l’ensemble du monde, l’ensemble du monde ! L’univers ! Le COSMOS (kosmos, en grec).

L’évangéliste Jean l’utilise pour la première fois dès le premier chapitre, au verset 9, parlant du Verbe qui était au commencement (v1) avec Dieu (v2), qui était la vie (v4), et lumière des hommes (v4 aussi) et : “Cette lumière était la véritable lumière, qui, en venant dans le monde (kosmos), éclaire tout homme” (V9)

Waouh !

Il est question de cosmos, là. Pas de petites choses matérielles et d’embrouilles de tous les jours. De l’univers entier !

Cette lumière, là.. oui, l’évangéliste dit aussi qu’ “elle était dans le monde (kosmos), et le monde (kosmos) a été fait par elle, et le monde (kosmos) ne l’a point connue.” (Jn 1, 10)

Vous en voulez d’autres ?

En Jn 1,29 alors que Jésus vient à Jean le Baptiste, celui-ci dit : “Voici l’Agneau de Dieu, qui ôte le péché du monde (kosmos)”. En clair: voici celui qui empêche le monde d’aller dans sa mauvaise direction, d’aller à sa perte. (sur le péché comme mauvaise direction, voir ici)

En Jn 3,16 il est est question de savoir pourquoi Dieu s’intéresserait au monde et en quoi ça concerne ce Jésus-là qui est venu parmi nous : ” Car Dieu a tant aimé le monde (kosmos) qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle.”

Etc. Je ne peux quand même pas tous les citer. Mais dites donc, est-ce que vous vous rendez compte de ce que ça signifie ? Quand Jésus dit qu’il est le pain de Dieu celui “qui donne la vie au monde (kosmos)” par exemple, que le pain de Dieu, c’est celui qui descend du ciel et qui donne la vie au monde (kosmos), quand il dit qu’il est venu dans le monde pour l’éclairer, pour lui apporter une paix qui n’est pas de ce monde [Jn 14, 27: “Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. Je ne vous donne pas comme le monde (kosmos) donne.”] c’est qu’enfin la pacification de nos êtres est commencée, et pas seulement de nos êtres du coup mais aussi de toute la création. Interrogeons-nous si nous ne la ressentons pas encore, peut-être sommes encore trop dans le cosmos (le monde), pas encore traversés par la lumière?

Waouh…

“Désormais je ne suis plus dans le cosmos, eux (nous !) sont dans le cosmos et je viens vers toi.”

En fait, ça pourrait être assez désespérant. Genre, je les quitte,je les abandonne, je retourne au Père, au dessus de la ligne qui sépare le Royaume des cieux et le Royaume du monde, du cosmos. Sauf que 1/ le Royaume des Cieux est déjà là 2/que la lumière est venue dans le cosmos 3/ que l’Esprit nous est envoyé pour continuer à être cette lumière.

Ce pourrait être désespérant, oui, sauf que justement l’Evangile de Jean est celui qui insiste le plus sur le fait que le Verbe s’est fait chair justement parce que le monde (le cosmos) n’a pas reconnu la lumière qui l’a créé. Plus exactement, les hommes n’ont pas reconnue la lumière et ont perdu cet esprit de vie pour se laisser “fasciner par l’esprit du monde” – un faux esprit – qui loin de leur donner l’autonomie rêvée les entraîne vers leur destruction. La mort, la vie : il faut choisir. Pour choisir, discerner. Pour discerner, savoir que les deux existent (Jn 12, 25 : Jn 12, 46; Jn 12, 47).

Ce brave Jean, est celui qui insiste le plus sur sur ce sujet, il faut croire que cela le travaille. On trouve le mot cosmos dans 152 versets du second testament, dont 55 dans l’évangile de Jean (Et pour ne parler que des versets car si on compte le nombre de fois où le mot est utilisé plusieurs fois dans le même verset – spécialité de cet évangéliste 😉 – c’est bien plus d’occurences encore.) Si on s’en tient aux quatre évangiles, le mot cosmos n’y apparaît que dans 69 versets, ce qui fait de l’évangile de Jean le grand champion : ramené aux quatre évangiles, 80% des versets employant le mot cosmos sont dans celui de Jean. C’est dire si c’est important pour l’auteur de cet évangile.

Mais alors pourquoi tout ça ?

Ce serait un peu long à expliquer, mais en gros c’est un peu comme si Jésus le Christ avait restauré l’échelle de Jacob. A nouveau, la communication terre-ciel est rétablie. A nouveau l’esprit peut innerver la terre. A nouveau la vérité de notre condition et de notre destinée peut se déployer. A Pilate qui l’interroge sur sa royauté, Jésus répond : “Tu le dis, je suis roi. Je suis né et je suis venu dans le monde (kosmos) pour rendre témoignage à la vérité.” (Jn 18, 37)

Même son de cloche un peu auparavant quand il répond à Jude, à ne pas confondre avec Judas l’Iscariote, qui l’interroge clairement sur cette apparente opposition entre ciel et terre, Monde et Royaume du Père, et finalement sur le comment et le pourquoi il se ferait que lui et ses copains disciples ils recevraient quelque chose que le reste du monde aurait plus de mal à recevoir : “Seigneur, d’où vient que tu te feras connaître à nous, et non au monde (kosmos) ?”(Jn 14,22)

La réponse de Jésus est claire : “Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera; nous viendrons à lui, et nous ferons notre demeure chez lui.” (Jn 14, 23) où parole, n’est-ce pas, est logos ( Au commencement était le logos), et aimer est agapeo, un verbe très intéressant puisqu’il suggère plus que le fait d’aimer (phileo) mais aussi d’accueillir, d’agréer.

Bref, le courant est rétabli.

Jésus, comme envoyé du Père (messie, christ), apporte au monde (kosmos) la lumière que les hommes ont rejeté ou n’ont pas su reconnaître. Cette lumière qui est vie… et vie éternelle. Ceux à qui il a pu la partager, ils les a gardés, et désormais la lumière est à nouveau dans le monde (kosmos). Il sont reliés, unis, uns avec lui et avec le Père. Et désormais, la lumière ne peut que grandir à nouveau dans le coeur des hommes.

Nous assistons à une cosmologie divine. Non, je m’exprime mal. Nous n’assistons pas, nous sommes propulsés dans une cosmologie divine dont nous devenons les acteurs par le simple fait que nous ayons rencontré Jésus le Christ et que sa lumière nous a touchés.

Désormais le monde ne peut plus fonctionner comme avant, il est sanctifié par la vie, la mort et la résurrection de Jésus le Christ. Et cette puissance de vie qui le traverse est plus forte, quoiqu’il en soit des apparences, que les forces de mort du monde (“cosmos”) qui entraînent les hommes quand ils ne sont plus réceptacles de lumière.

Affreux anthropomorphisme, à vrai dire. Car la nature a ses lois d’équilibre et d’harmonie bien plus sûres que celles des hommes. Et justement, peut-être parce que dans son instinct de survie vital, si je puis dire, elle n’a pas loisir de refuser la lumière pour laquelle les humains, quant à eux, ont reçu liberté d’accueil et d’accomplir.

Il me vient à penser qu’une certaine tradition juive, amoureuse de la création au point d’encourager la créativité dans toutes ses formes artistiques, ainsi que la cosmologie célébrée dans la liturgie céleste orthodoxe, ont peut-être sauvegardé cette célébration de la lumière bien plus que n’ont su le faire les traditions chrétiennes occidentales.

Toujours est-il que la lumière est venue dans le cosmos, et que Jésus, lumière des hommes venu dans le cosmos s’en retournant au Père, la question est bien : qu’allons-nous faire de cette lumière qu’il nous a transmise, qu’il a restauré dans le cosmos? L’univers entier devrait en profiter, devrait la célébrer. Quand je dis l’univers, je vise bien notre maison commune, comme l’appelle le pape François, mais aussi la qualité de nos relations sociales entre humains et avec les autres vivants.

Waouh, ça aussi… Jésus nous laisse dans le cosmos. Ca y est, sa mission est remplie (ou presque, on recevra l’esprit-saint à la Pentecôte!), mais bon sang, on va en faire quoi alors de ce cosmos?


Photo : The Golden Hair, cliché de Maxence Brierre sur flickr

“Seigneur, est-ce maintenant le temps
où tu vas rétablir le royaume pour Israël ?”
Act 1,6

L’histoire des représentations et notre imaginaire aiment bien se représenter Jésus, sur une colline, qui s’élève dans les airs.

Le texte des Actes des Apôtres ne dit pas ça.

Il parle d’un repas – un de plus ! – durant lequel s’établit une conversation entre Jésus et les désormais onze apôtres et pas encore à nouveau douze.

Et sans transition, voilà qu’il s’élève dans le ciel et que ses amis continuent de fixer le ciel jusqu’à ce que des envoyés de Dieu lui-même – des anges ! – leur demande d’arrêter de fixer le ciel et de retourner à leurs affaires, non sans avoir préciser que ce Jésus reviendrait de la même manière qu’il est parti. Du ciel, donc.

A propos de ce ciel, je renvoie donc à ce que j’en disais récemment (ici), qui peut être utile à ne pas interpréter n’importe comment. Il y aurait le ciel où est Jésus, d’où il reviendra. Et il y aurait la terre de Galilée (très à propos, le texte rappelle aux amis de Jésus qu’ils sont galiléens, donc pas judéens, pas vraiment attachés au culte du Temple et d’Israël…). En fait, comme Jésus a brisé cette séparation fictive entre ciel et terre, cela interroge à nouveau. De quel ciel parlons-nous, où est-il parti et d’où va-t-il revenir ?

Et c’est là que la question « Est-ce maintenant ? » et du contexte du repas prennent tout leur sens.

Repas… Avec nos deux mille ans d’histoire, on pense tout de suite au repas eucharistique. Forcément. Un repas, en présence du Ressuscité, qu’est-ce que cela pourrait être d’autre ? Cela étant, c’est un repas entre amis, entre vrais amoureux de Jésus. Les onze, encore un peu froussards ne sont pas là juste par convention sociale ou représentation de leur identité culturelle catholique.

« Galiléens », « vous recevrez une force », « pourquoi restez-vous là à regarder le ciel », « ne pas quitter Jérusalem », « y attendre que s’accomplisse la promesse du Père »… Autant d’éléments qui incitent à se rapprocher du concret et à ne pas chercher à s’évader des circonstances historiques et matérielles dans lesquelles nous sommes invités à vivre.

Au passage, le rappel qu’ils sont Galiléens renseigne sur la réponse concernant un royaume qui ne viendrait que pour Israël. Assumez donc d’être galiléens, d’être au carrefour des nations. Assumez votre ici et maintenant, au lieu de vous chercher des missions prestigieuses et rêvées.

Et maintenant alors, qu’est-ce qu’on fait ?

La réponse de Jésus, telle que rapportée dans ce texte est tellement d’actualité ! En gros – interprétation libre, bien sûr : ne vous préoccupez pas des changements socio-politiques, ça n’est pas votre affaire, mais témoignez de ce que vous avez compris de mon évangile. Vous allez recevoir une force pour cela, une force intérieure.

Pourquoi je dis intérieure ? Parce que Jésus passe quarante jours à leur parler en privé du Royaume des cieux, nous dit le texte – et que s’il est cohérent il est encore en train de leur dire qu’il est déjà là. Mais si on regarde bien, la force, ce n’est pas lui qui va leur donner, il s’en va, il reviendra, mais la force viendra du Père ( ?) (c’est pas précisé), en tout cas cette force semble s’appeler l’Esprit Saint. Et pourquoi ce n’est pas Jésus qui envoie sinon parce qu’il ne s’agit pas de l’idolâtrer comme celui sans qui rien n’est possible mais de recevoir REELLEMENT et TOTALEMENT cet esprit pour soi, en soi. C’est le même Esprit que celui de Jésus, mais il est promis à tous. Donc il faut authentiquement le recevoir et l’accueillir en soi, en sa propre humanité.

Bon, ben alors, est-ce maintenant ? Euh, oui, il se pourrait bien que ce soit maintenant que tu reçoives l’esprit qui animait Jésus et que tu sois chargé et envoyé pour continuer de le répandre sur cette pauvre terre! Souviens-toi : le ciel s’est abaissé, Jésus comme Christ en a franchi les limites, et cette force du ciel déjà en action (le Royaume des Cieux est déjà là) n’attend plus que toi. Cette fameuse distinction entre Royaume et Règne… Le Royaume est déjà là, mais est-ce qu’il règne déjà en toi ?

Il se pourrait bien en effet que le ciel soit descendu jusqu’à toi, mais toi es-tu là?

Si oui, qu’attends-tu pour aller ? Si non, qu’attends-tu pour le recevoir ? Tu ne vas pas encore nous faire le coup des scribes et pharisiens qui jugent de l’extérieur, font des commentaires sur tout et n’importe quoi sans savoir de quoi ils parlent, non ?

Est-ce maintenant ? Ca dépend de toi… tu es où, là, maintenant ? Tu fais quoi pour que le Royaume des Cieux soit dans ta vie et que cela irradie au-delà de toi ?

Attention, je ne parle pas de grandes dévotions sur le Christ Roi, le Règne céleste, la suprématie du Christ, etc. telles qu’elles ont été dévoyées dans une fantasmagorie avide de merveilleux et de soumission – tellement pas le message de Jésus tel que nous le transmettent les Evangiles ! Je parle de cette cohérence de vie, de cœur et d’action qui fait qu’en te voyant, en te touchant en te côtoyant, on puisse se dire : le Royaume des Cieux est venu jusqu’à nous, Dieu nous aime et nous ne le savions pas, Dieu accepte notre humanité et ne la juge pas. Dieu nous aime, quoi ! Tels que nous sommes !

Moi, je ne fais pas plus ni mieux que les autres, j’essaie d’être cohérent et par ce modeste blog de témoigner de l’amour de Dieu envers chacun. Et toi que fais-tu ? Parce que, c’est maintenant.

– – – – – – – – –

Photo : Tobias Worth photographié par © Michael Laurien pour Adon Magazine

“Seigneur, est-ce maintenant le temps
où tu vas rétablir le royaume pour Israël ?”
Act 1,6

L’histoire des représentations et notre imaginaire aiment bien se représenter Jésus, sur une colline, qui s’élève dans les airs.

Le texte des Actes des Apôtres ne dit pas ça.

Il parle d’un repas – un de plus ! – durant lequel s’établit une conversation entre Jésus et les désormais onze apôtres et pas encore à nouveau douze.

Et sans transition, voilà qu’il s’élève dans le ciel et que ses amis continuent de fixer le ciel jusqu’à ce que des envoyés de Dieu lui-même – des anges ! – leur demande d’arrêter de fixer le ciel et de retourner à leurs affaires, non sans avoir préciser que ce Jésus reviendrait de la même manière qu’il est parti. Du ciel, donc.

A propos de ce ciel, je renvoie donc à ce que j’en disais récemment (ici), qui peut être utile à ne pas interpréter n’importe comment. Il y aurait le ciel où est Jésus, d’où il reviendra. Et il y aurait la terre de Galilée (très à propos, le texte rappelle aux amis de Jésus qu’ils sont galiléens, donc pas judéens, pas vraiment attachés au culte du Temple et d’Israël…). En fait, comme Jésus a brisé cette séparation fictive entre ciel et terre, cela interroge à nouveau. De quel ciel parlons-nous, où est-il parti et d’où va-t-il revenir ?

Et c’est là que la question « Est-ce maintenant ? » et du contexte du repas prennent tout leur sens.

Repas… Avec nos deux mille ans d’histoire, on pense tout de suite au repas eucharistique. Forcément. Un repas, en présence du Ressuscité, qu’est-ce que cela pourrait être d’autre ? Cela étant, c’est un repas entre amis, entre vrais amoureux de Jésus. Les onze, encore un peu froussards ne sont pas là juste par convention sociale ou représentation de leur identité culturelle catholique.

« Galiléens », « vous recevrez une force », « pourquoi restez-vous là à regarder le ciel », « ne pas quitter Jérusalem », « y attendre que s’accomplisse la promesse du Père »… Autant d’éléments qui incitent à se rapprocher du concret et à ne pas chercher à s’évader des circonstances historiques et matérielles dans lesquelles nous sommes invités à vivre.

Au passage, le rappel qu’ils sont Galiléens renseigne sur la réponse concernant un royaume qui ne viendrait que pour Israël. Assumez donc d’être galiléens, d’être au carrefour des nations. Assumez votre ici et maintenant, au lieu de vous chercher des missions prestigieuses et rêvées.

Et maintenant alors, qu’est-ce qu’on fait ?

La réponse de Jésus, telle que rapportée dans ce texte est tellement d’actualité ! En gros – interprétation libre, bien sûr : ne vous préoccupez pas des changements socio-politiques, ça n’est pas votre affaire, mais témoignez de ce que vous avez compris de mon évangile. Vous allez recevoir une force pour cela, une force intérieure.

Pourquoi je dis intérieure ? Parce que Jésus passe quarante jours à leur parler en privé du Royaume des cieux, nous dit le texte – et que s’il est cohérent il est encore en train de leur dire qu’il est déjà là. Mais si on regarde bien, la force, ce n’est pas lui qui va leur donner, il s’en va, il reviendra, mais la force viendra du Père ( ?) (c’est pas précisé), en tout cas cette force semble s’appeler l’Esprit Saint. Et pourquoi ce n’est pas Jésus qui envoie sinon parce qu’il ne s’agit pas de l’idolâtrer comme celui sans qui rien n’est possible mais de recevoir REELLEMENT et TOTALEMENT cet esprit pour soi, en soi. C’est le même Esprit que celui de Jésus, mais il est promis à tous. Donc il faut authentiquement le recevoir et l’accueillir en soi, en sa propre humanité.

Bon, ben alors, est-ce maintenant ? Euh, oui, il se pourrait bien que ce soit maintenant que tu reçoives l’esprit qui animait Jésus et que tu sois chargé et envoyé pour continuer de le répandre sur cette pauvre terre! Souviens-toi : le ciel s’est abaissé, Jésus comme Christ en a franchi les limites, et cette force du ciel déjà en action (le Royaume des Cieux est déjà là) n’attend plus que toi. Cette fameuse distinction entre Royaume et Règne… Le Royaume est déjà là, mais est-ce qu’il règne déjà en toi ?

Il se pourrait bien en effet que le ciel soit descendu jusqu’à toi, mais toi es-tu là?

Si oui, qu’attends-tu pour aller ? Si non, qu’attends-tu pour le recevoir ? Tu ne vas pas encore nous faire le coup des scribes et pharisiens qui jugent de l’extérieur, font des commentaires sur tout et n’importe quoi sans savoir de quoi ils parlent, non ?

Est-ce maintenant ? Ca dépend de toi… tu es où, là, maintenant ? Tu fais quoi pour que le Royaume des Cieux soit dans ta vie et que cela irradie au-delà de toi ?

Attention, je ne parle pas de grandes dévotions sur le Christ Roi, le Règne céleste, la suprématie du Christ, etc. telles qu’elles ont été dévoyées dans une fantasmagorie avide de merveilleux et de soumission – tellement pas le message de Jésus tel que nous le transmettent les Evangiles ! Je parle de cette cohérence de vie, de cœur et d’action qui fait qu’en te voyant, en te touchant en te côtoyant, on puisse se dire : le Royaume des Cieux est venu jusqu’à nous, Dieu nous aime et nous ne le savions pas, Dieu accepte notre humanité et ne la juge pas. Dieu nous aime, quoi ! Tels que nous sommes !

Moi, je ne fais pas plus ni mieux que les autres, j’essaie d’être cohérent et par ce modeste blog de témoigner de l’amour de Dieu envers chacun. Et toi que fais-tu ? Parce que, c’est maintenant.

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Photo : Tobias Worth photographié par © Michael Laurien pour Adon Magazine

En ce temps-là,
Jésus disait à ses disciples :
“Si vous m’aimez,
vous garderez mes commandements.”
Jn 14,15

Silence

Hormis quelques récentes publications pendant le confinement, j’ai été peu présent sur ce blog depuis plusieurs mois. Et certains lecteurs, gentiment se rappellent à mon bon souvenir et m’enjoignent de publier à nouveau.

Je suis touché d’avoir des amis qui me lisent et m’attendent dans le monde entier. Ce n’est pas une question de nombre puisque ce blog, étant donné son sujet, est et restera d’audience limitée. Mais, bien sûr, cela me touche et je me retrouve face à moi-même me demandant ce que je dois faire.

Qu’ai-je de particulier sinon d’écrire sur des sujets qui me tiennent à coeur, … – j’ai écrit « des » sujets » , en fait un seul et unique sujet : être gay et chrétien. J’utilise clairement ce blog pour sortir, sous couvert d’anonymat, l’être que je suis, devenu conscient par je ne sais quel mystère que seule l’authenticité me sauvera et de la tristesse et de l’angoisse et de la torpeur et encore plein d’autres sentiments compensatoires. Ce faisant, l’écriture est thérapeutique et aujourd’hui je ne sais plus très bien quoi exprimer à ce propos tant il est devenu clair pour moi qu’être gay et chrétien n’est pas un problème.

Cependant, cela le reste pour nombre de chrétiens, qu’ils soient des « hétéros » qui ne comprennent pas ou des « homos » handicapés dans une conception étriquée de la vie chrétienne. Cela je l’entends, je le vois, je le mesure. Je suis touché de la confiance qui m’est manifestée pour aider d’autres personnes à avancer sur ce chemin et, en même temps, je me sens si petit, si impuissant, si désemparé. Je n’ai, je l’ai déjà dit, que la recherche de mon authenticité à offrir. Forcément subjective, forcément incomplète, forcément en chemin.

Je ne comprends pas bien ce qui se passe mais si les mots que je mets sur ce que je peux ressentir et exprimer peuvent aider d’autres personnes, je n’ai pas envie de me défiler.

Sidération

Parmi les autres raisons à mon silence depuis ces longs mois, il y a cependant une autre raison que j’aimerais signaler. C’est la sidération dans laquelle je suis devant toutes les affaires d’abus sexuels, et en premier lieu de pédophilie, d’une part, et les révélations – en fait les confirmations de ce que je savais déjà – du livre de Frédéric Martel, Sodoma, d’autre part.

Je n’entrerai pas dans le débat « comment en est-on arrivé là ? » car ce n’est pas le propos de ce blog. Non, ce qui me sidère et m’interroge, c’est ma propre torpeur, mon silence, mon manque d’activisme à agir comme bon je l’entends puisque ma conscience me fait percevoir des choses que l’Eglise ne m’enseigne pas.

A l’instar de ce qu’exprime très bien Frédéric Martel dans son livre, je me fiche éperdument d’apprendre ou de savoir que tel ou tel membre du clergé ait une orientation homosexuelle et même qu’il ait un ami ou un amant. Au contraire, je le respecte, et j’imagine à quel point cela est difficile à vivre de se découvrir/s’accepter sur le tard homosexuel alors qu’on pensait parfois pouvoir être chaste et continent, et peut-être pouvoir être libéré de ses pulsions sexuelles. Las, la chair (au sens noble, basar) reprend ses droits, et cette chair, c’est aussi là que s’incarne notre être : impossible de fuir ! Chacun est face à lui-même dans cette découverte de sa sexualité, et, au-delà, de son besoin de tendresse reçue et donnée, de tendresse partagée.

Pour des raisons qui me sont encore un peu mystérieuses, il semble que pour les hommes homosexuels, la tendresse et la sexualité soient très liées et que le besoin de sexualité soit difficile à refréner, et vient assez vite la question : au fait, au fond, pourquoi le refréner ?

Chacun est donc seul face à cette découverte de lui-même et les responsabilités qui en découlent. Et c’est là que le bât blesse. Je suis sidéré, pour ne pas dire indigné, par ces ecclésiastiques, mais on pourrait l’étendre à l’ensemble des laïcs chrétiens parfois pères de famille, qui d’un côté se vautrent dans l’homophobie, l’enseignent, la propagent, et dans une double vie honteuse vont chercher du plaisir dans les bras d’autres hommes, parfois avec de l’argent, parfois avec des relations sado-maso, et comme dans le cas de ce désormais célèbre cardinal colombien, tête de pont des combats de Jean-Paul II en Amérique Latine contre le communisme et l’homosexualité, à coût de violences après l’acte sexuel comme si cette violence tarifée pouvait expurger la jouissance ressentie et l’acte pulsionnel qu’ils n’ont pas pu s’empêcher de commettre.

J’ai qualifié de « honteuses » ces double-vies là. Pas la double vie en général tant il est vrai qu’elle peut être aussi une solution selon le contexte dans lequel on se trouve. Mais ce qui est honteuse, c’est cette opposition de valeurs dans l’extrême qui pousse à condamner d’un côté et à en faire fi de l’autre côté. Combien d’ados en recherche de leur identité se sont trouvés mal, ont eu peut-être des tendances suicidaires – voire sont passés à l’acte, à cause de propos homophobes tenus par des prêtres ou des laïcs bien-pensants et irresponsables qui allaient tranquillement baiser ensuite dans un sauna ou je ne sais où ailleurs ? Je ne comprends pas cette dichotomie. Chaque fois que j’y pense me revient la parole de Jésus à propos des hypocrites pharisiens :

« Ils attachent de pesants fardeaux, difficiles à porter, et ils en chargent les épaules des gens ; mais eux-mêmes ne veulent pas les remuer du doigt. » (Mt 23,4)

Pareil pour la pédophilie, sujet tellement terrible que je ne sais même pas quoi en dire sinon qu’on a fait rentrer les loups dans la bergerie, pas seulement parce que la bergerie était mal gardée, mais aussi parce qu’on a cru indûment que c’était une bergerie, parce qu’on nous a fait croire que c’était une bergerie où nous étions en sécurité, où nous vivions en frères et sœurs, soucieux du bien les uns des autres. Et depuis combien de temps l’Eglise n’est-elle plus cette bergerie ? Et est-il vrai que nous y prenions soin du bien les uns des autres ? Tant de quant-à soi, de cancanements, de rumeurs, de jugements péremptoires, de désirs parfois très subtils de puissance… Certains pointent la culture de l’abus qui s’est instaurée du fait de cette prééminence du rôle ecclésiastique, du fait du cléricalisme, du fait que l’autorité du prêtre a pris le dessus sur l’autorité de l’évangile comme le déclarait récemment Laurent Stalla-Bourdillon.

Il y a un autre scandale dont on ne parle pas encore et dans lequel l’Eglise a aussi une lourde responsabilité. Celui des hommes qui, dans ce contexte d’homophobie latente, ne se sentant pas attirés par la vocation religieuse, ont crû légitimement bon de se marier, d’avoir une vie de famille, d’amputer leurs désirs profonds pendant des années et qui, au hasard de leur histoire, de leur insatisfactions ou de leurs expériences, se découvrent homosexuels ou s’assument enfin comme tels. Embarqués dans une vie où d’autres sont concernés : une épouse, des enfants, et devant résoudre cette terrible équation de ne pas faire de peine à ceux qui les aiment tout en découvrant et assumant qui ils sont. Si l’Eglise – et la société dans son ensemble – avaient été plus tolérantes, on n’en arriverait pas à de tels drames humains.

Sidération, oui.

Sidération d’avoir été si mouton, si bête, si naïf, face à des hommes qui disent et ne font pas, qui condamnent d’un côté ce qu’ils se permettent de l’autre, et, même quand ce n’est pas le cas, qui se permettent – mais au nom de quoi, mon Dieu ! – d’amputer l’humanité de leurs semblables !

Alors oui, ces derniers mois, je n’avais pas envie d’écrire, partagé que j’étais entre tristesse et colère. Et d’abord une colère contre moi-même parce que comme beaucoup, je connaissais ce système de l’intérieur, et je m’en veux de cette fidélité débile qui conduit à un aveuglement et un abêtissement sur les petits pouvoirs de ces messieurs et leur manque de considération de l’humanité du frère.

Voilà, comme ça, c’est dit.

Peut-être cet article ne plaira pas, et ça n’est pas grave. Je veux être libre. Ce n’est pas une déclaration, c’est un besoin. Seul, je peux savoir qui je suis. Seul, je peux laisser se déployer en moi l’être que je suis. Et pour cela, il me faut être libre.

Et je ne peux pas compter sur ces gens qui disent et ne font pas, qui condamnent et qui ne réconcilient pas, qui séparent mais ne rassemblent pas. Je ne fais pas, en tout cas je ne veux pas faire partie, de cette clique-là.

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… Mais, à toutes fins utiles, au cas où subrepticement certains lecteurs seraient concernés – sait-on jamais ? – je veux quand même préciser qu’il n’est jamais trop tard pour bien faire, c’est-à-dire aller vers cette authenticité qui est garante de notre cohésion ou cohérence de vie. Comprenez-moi bien : je ne veux pas juger, je sais trop combien c’est compliqué la découverte de son orientation sexuelle, quels dénis, quels combats, quels idéaux, il faut passer. Mais la limite, ça reste, et probablement ce sera toujours : ne pas faire de mal à autrui.