131026-Justin Guatemala

 

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à propos de la sensibilité
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Voici deux poèmes de René-Guy Cadou, parmi ses plus beaux, mis en musique par Môrice Bénin. Cet artiste a un talent extraordinaire pour révéler, par son interprétation, les subtilités de la sensibilité de René-Guy Cadou.  A travers Hélène, sa compagne bien aimée, à travers toute chose de la vie, serait-ce que quelques pattes d’oiseaux sur une vitre ou le souffle du vieux cheval sur la fenêtre, Cadou sent et  perçoit plus loin.

Je ne sais pas bien expliquer cela, mais je ressens cette poésie au plus profond de moi, Cadou exprime ce que je ressens: je t’atteindraià travers les prairies, à travers les matins de gel et de lumière, à travers ces choses données à voir et surtout à vivre, qui réveillent cet espace intérieur où l’on ressent une vérité plus grande, plus intense, plus riche, que ce qu’offre la seule observation extérieure.

Cadou, c’est une vieille rencontre de mon adolescence, qui me parlait de manière bien mystérieuse. Ca parlait de moi mais je ne savais pas pourquoi ni comment. “Et pourtant c’était toi dans le clair de ma vie, ce grand tapage matinal qui m’éveillait. Tous ces oiseaux, tous les pays, ces astres, ces millions d’astres qui se levaient. Que tu parlais bien quand toutes les fenêtres pétillaient dans le soir ainsi qu’un vin nouveau…”  Cette présence à Autre en même temps qu’à moi-même, cette perception que le monde me parle, que Dieu me parle, à travers la plus infime petite chose qui ne parle apparemment pas. Cette manière d’être touché, renversé et rempli. Voilà mes premiers émois poétiques, amoureux et spirituels à la fois.

Sa sensibilité est la mienne, même si je l’exprime davantage en termes spirituels. Mais je t’atteindrai, toi qui te donnes à moi, qui m’invites sans cesse à te trouver, “à travers les prairies, à travers les matins de gel et lumière, sous la peau des vergers, dans la cage de pierre où ton épaule à fait son nid.”… “Sans jamais t’avoir vu, je t’appelais déjà, chaque feuille en tombant me rappelait ton pas”

Pour Cadou, tu t’appelles Hélène. Pour moi, tu t’appelles mon Seigneur, mon Ami, ou mon ami, l’ami que je croise et qui crée un charivari dans mon coeur, dans ma vie, dont tu n’es même pas conscient. Tu es l’oiseau sur la branche, le merle qui chaque matin vient me visiter, le rossignol qui chantait à la fin de la veillée après la prière, l’odeur de la rose, du lilas et du jasmin, le vent frais sur mon visage, tu es le regard en qui je plonge et vois tant de beautés, tu es la mer qui vient par vagues, tantôt douce et consolante tantôt agitée et terrifiante, toi, toi ma vie, toi la Vie, toi qui es en moi et en chacun, et partout. Toi que je peux appeler tantôt mon ami, tantôt mon amour, tantôt mon Dieu, mon Seigneur. Oh, oui, je crois qu’il m’est donné de pressentir cela, et mon grand frère René-Guy Cadou, Dieu merci, m’a précédé et m’a offert de le savoir très tôt. Comment, comment aurais-je pu survivre avec cette sensibilité extrême, si je n’avais pu entrer dans les pas d’un ami, d’un poète, d’un frère comme Cadou?

Oui, sans t’avoir jamais vu, je t’appelais déjà. Chaque feuille en tombant me rappelait ton pas. La vague qui s’ouvrait recréait ton visage et tu étais l’auberge aux portes du village… Mon Amour, quel que soit ton visage, quelle que soit ta forme, quels que soient tes messages, Tu me parles et je ne peux faire autrement que de t’attendre et te désirer. Je t’appartiens, tu m’appartiens, nous devons nous retrouver, et tu es à tout et à tous, et moi je te suis, te reçois. Tu n’a pas de limites. “C’était toi dans le clair matinal de ma vie, ce grand tapage qui m’éveillait…”

Je t’attendais, je t’attendais ainsi qu’on attend les navires, dans les années de sécheresse quand le blé ne monte pas plus haut qu’une oreille dans l’herbe, qui écoute apeurée la grande voix du temps. Je t’attendais et tous les quais, toutes les routes ont retenti du pas brûlant qui s’en allait vers toi que je portais déjà sur mes épaules comme une douce pluie qui ne sèche jamais…

 

Sans t’avoir jamais vue, je t’appelais déjà…” parce que cette vie, cet appel à être, cet appel au bonheur, déjà en moi cherchait son objet, l’objet de sa révélation et de son épanouissement.

Ami qui me lis, entends. Ce n’est pas de moi dont je parle. Je rentre dans un chant plus grand que moi et qui me dépasse, je n’en perçois que l’écho qui m’éveille et m’appelle et je sais que c’est pour moi. Sais-tu, cela peut-être ton sourire, l’ombre sur ton visage, ton coeur inquiet, ta douceur tranquille, un rien peut être ce signe qui réveillera en moi cette sensation d’un plus grand que nous avons à vivre ensemble et que, le plus souvent, tu ne sentiras pas  toi-même. Mais là, le vivant, le vivant, cette  présence discrète ténue, séduisante, cette présence qui est moi, après laquelle je ne peux pas ne pas aller. Elle m’appelle, elle m’attire, elle est moi, je suis à elle. Elle est la part la meilleure de moi. Tout le reste n’est que bruits et fumées. Ecoute, écoute le chant de Cadou. Cet homme a perçu l’invisible et me le donne, il me parle de moi, il m’ouvre le ciel.

 

Je t’atteindrai Hélène
À travers les prairies
À travers les matins de gel et de lumière
Sous la peau des vergers
Dans la cage de pierre
Où ton épaule fait son nid

Tu es de tous les jours
L’inquiète la dormante
Sur mes yeux
Tes deux mains sont des barques errantes
À ce front transparent
On reconnaît l’été
Et lorsqu’il me suffit de savoir ton passé
Les herbes les gibiers les fleuves me répondent

Sans t’avoir jamais vue
Je t’appelais déjà
Chaque feuille en tombant
Me rappelait ton pas
La vague qui s’ouvrait
Recréait ton visage
Et tu étais l’auberge
Aux portes des villages.

(René Guy Cadou, La vie rêvée)

Je t’attendais ainsi qu’on attend les navires
Dans les années de sécheresse quand le blé
Ne monte pas plus haut qu’une oreille dans l’herbe
Qui écoute apeurée la grande voix du temps

Je t’attendais et tous les quais toutes les routes
Ont retenti du pas brûlant qui s’en allait
Vers toi que je portais déjà sur mes épaules
Comme une douce pluie qui ne sèche jamais

Tu ne remuais encor que par quelques paupières
Quelques pattes d’oiseaux dans les vitres gelées
Je ne voyais en toi que cette solitude
Qui posait ses deux mains de feuille sur mon cou

Et pourtant c’était toi dans le clair de ma vie
Ce grand tapage matinal qui m’éveillait
Tous mes oiseaux tous mes vaisseaux tous mes pays
Ces astres ces millions d’astres qui se levaient

Ah que tu parlais bien quand toutes les fenêtres
Pétillaient dans le soir ainsi qu’un vin nouveau
Quand les portes s’ouvraient sur des villes légères
Où nous allions tous deux enlacés par les rues

Tu venais de si loin derrière ton visage
Que je ne savais plus à chaque battement
Si mon cœur durerait jusqu’au temps de toi-même
Où tu serais en moi plus forte que mon sang.

(René-Guy Cadou, Quatre poèmes d’amour à Hélène)

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