Tes yeux sont les yeux d’un homme amoureux,
tes lèvres sont les lèvres d’un homme qui ne croit pas
en l’amour. Alors dis-moi le remède, mon ami,
s’ils sont en désaccord, la réalité et le désir.

Luis Cernuda, La réalité et le désir

 

Tus ojos son los ojos de un hombre enamorado;
tus labios son los labios de un hombre que no cree
en el amor. Entonces dime el remedio, amigo,
si están en desacuerdo realidad y deseo.

Luis Cernuda, La realidad y el deseo

Source Photo : Alexis Salgues, photographe – @alexsphotographe

J’aurais voulu avoir un amoureux. Au primaire, au collège, au lycée. Avoir une belle histoire. Une histoire d’enfant. J’aurais voulu avoir droit à ça. Les mots qui s’échangent sous les tables. Le coeur qui bat plus fort. Les secrets qu’on garde à table, quand on vous pince la joue en vous demandant si on a une amoureuse. J’aurais voulu profiter de ma jeunesse. Ne pas tricher toutes ces années. Ne pas mentir. Ne pas faire semblant. Être qui je suis plus tôt. L’être et l’être heureux. Fier. Et montrer l’étendue des talents que me confère cette identité. Ma sensibilité. Ma joie de vivre. Mon envie folle d’écrire.

J’aurais voulu ne pas me contraindre, ne pas faire semblant pour être “comme les autres”. Ne pas faire souffrir mes parents parce que j’étais malheureux et refusais de dire pourquoi. J’aurais voulu être moi plus tôt. Avoir ce que les autres avaient. Ne pas rire quand j’entendais des blagues méchantes visant celles et ceux qui avaient mille fois mon courage d’être ce qu’ils étaient, sans honte, avec fierté.

Comme ce garçon, à l’école, il s’appelait Nathan. Il était gentil, doux, et pourtant ses gestes, sa voix, son identité, bref ce qu’il était de franc, de vrai, d’authentique, étaient moqués parce qu’on lui collait l’étiquette homo sur le front et qu’il n’a jamais démenti. Parce qu’il a toujours relevé la tête. Il m’a fallu des années pour comprendre combien il était plus libre que beaucoup d’entre nous, libre d’être qui il était et de témoigner par sa seule existence de l’extraordinaire diversité du genre humain.

Vous voyez j’aurais voulu ne jamais me moquer de Nathan avec les autres, devant les autres, pour que les autres ne me soupçonnent jamais d’être qui j’étais. J’aurais voulu ne pas rire de ce garçon, j’aurais voulu ne pas le faire pleurer.

J’aurais voulu être amoureux, enfant. Avoir ce que vous avez tous et toutes eu, enfant.

Qui va me rendre ces années perdues ? Ce qui aurait pu être et n’a jamais eu lieu ? Qui me rendra ce qu’on m’a pris ? Et à ce Nathan ? Qui lui rendra justice ? La vérité c’est que j’ai mal. Que j’ai la haine contre les gens qui nous font ça. Qui nous font faire ça, qui nous rendent comme ça. Ces mêmes gens qui prétendent se battre pour les enfants et qui pourtant mettent dans nos bouches des mots aussi violents.

Mais l’homophobie ce n’est pas seulement quelqu’un qui crie « À mort les PD ! ».

L’homophobie c’est aussi des millions d’existences contraintes, de petits bonheurs universels gâchés, de destinées retardées. Des millions de gens qui ont vécu, vivent, et vivront une autre existence que la leur, une autre vie que la leur, qui marcheront à côté d’eux-mêmes, qui passeront à côté de ce que, au fond, ils étaient destinés à connaître, à aimer, et chérir, et jouir. Ce que nous voulons toutes et tous. Une vie à nous. Une vie qui nous ressemble et nous appartienne.

L’homophobie, la lesbophobie, la transphobie, c’est d’abord des ombres et des millions de vies ratées.

Baptiste Beaulieau

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Extrait d’un article posté sur Facebook par Baptiste Beaulieu. L’article a également été repris sur le blog Alors voilà, et par le média Huffington Post.

Source photo : extrait de “Su historia”, un projet photographique de Nick Fuentes

Comment les gestes te tendresse se transforment-ils en gestes d’amour?
Comment l’amitié se meut en amour ou vice versa?
Comment accorder et son esprit et son coeur et son corps?

Souvent l’un est satisfait et pas les deux autres centres,
et ceux-là, d’une manière parfois tyrannique, voudraient bien tirer jusqu’à eux
le contentement d’aimer et d’être aimé,
le sentiment d’être bien, à sa place, et que cela peut durer.

Le corps, le coeur, l’esprit.
L’un veut, l’autre a peur, l’autre ne sait pas.
Et puis ça tourne, ça tourne, dans tous les ordres.

C’est un peu de cela que je retrouve dans la chanson ci-dessous.
Cet amour devient dangereux,
Ton toucher est contagieux,
Tu sais ce dont j’ai besoin ce soir,
Tu sais que j’ai besoin de plus..

Amour ou instinct de vie? Amour ou besoin de tendresse?
– Les deux, mon capitaine !
Sur cette terre, pas d’amour chimiquement pur,
pas d’amour parfait,
mais un désir qui fait grandir
– quand il est coeur-corps-esprit,
une invitation à avancer et à inventer en chemin.

Z.

Eli Lieb – Young Love / Un jeune amour (2013)


When I was twenty two
The day that I met you
When you took my hand through the night
It was getting late
And you asked me to stay
And hold you until we see light

Shut the door and turn the lights off
And put up your dukes tonight

‘Cause this love is getting dangerous
And I need some more tonight
Your touch is contagious
You know what I need tonight
I can’t run and I can’t hide
I’ll be wasted by the light
I’m undone but I’m alive
Don’t ever wanna see the morning light

When I was young in love
When you were everything
We’d stay up and drink through the night
Laying on the roof
I put my hands on you
You said our love will never die

Shut the door and turn the lights off
And put up your dukes tonight

‘Cause this love is getting dangerous
I need some more tonight
Your touch is contagious
You know what I need tonight
I can’t run and I can’t hide
I’ll be wasted by the light
I’m undone but I’m alive
Don’t ever wanna see the morning light

And if we go down with this ship
We go down together
And if we should die tonight
It’s you and me forever

Forever you and I
Together until we die
And I’ll be right next to you
Even on the other side

‘Cause this love is getting dangerous
I need some more tonight
Your touch is contagious
You know what I need tonight
I can’t run and I can’t hide
I’ll be wasted by the light
I’m undone but I’m alive
Don’t ever wanna see the morning light

‘Cause this love is getting dangerous
I need some more tonight
Your touch is contagious
I need some more tonight
I can’t run and I can’t hide
I need some more tonight
I’m undone but I’m alive
Don’t ever wanna see the morning light

When I was twenty two
The day that I met you
When you took my hand through the night

 

Quand j’avais 22 ans
Le jour où je t’ai rencontré
Quand tu as pris ma main dans la nuit
Il se faisait tard
Et tu m’as demandé de rester
Et de veiller sur toi jusqu’à l’aube

Ferme la porte et éteins les lumières
et tiens-toi prêt ce soir.

Car cet amour devient dangereux
Et j’ai besoin de plus ce soir.
Ton toucher est contagieux,
Tu sais ce dont j’ai besoin ce soir.
Je ne peux pas courir et je ne peux pas me cacher.
La lumière m’achèverait.
Je suis perdu mais je suis en vie.
Je ne veux plus jamais voir la lumière du matin.

Quand j’étais jeune, amoureux,
Quand tu étais tout.
Nous veillions et buvions toute la nuit.
Allongés sur le toit,
j’ai posé mes mains sur toi.
Tu as dit que notre amour ne mourrait jamais.

Ferme la porte et éteins les lumières
et tiens-toi prêt ce soir.

Car cet amour devient dangereux
Et j’ai besoin de plus ce soir.
Ton toucher est contagieux,
Tu sais ce dont j’ai besoin ce soir.
Je ne peux pas courir et je ne peux pas me cacher.
La lumière m’achèverait.
Je suis perdu mais je suis en vie.
Je ne veux plus jamais voir la lumière du matin.

Et si nous sombrons avec ce navire.
Nous coulerons ensemble
Et si nous devons mourir ce soir.
C’est toi et moi pour toujours.

Pour toujours toi et moi
Ensemble jusqu’à ce que nous mourions.
Et je serais juste à côté de toi
Même de l’autre côté.

Car cet amour devient dangereux
Et j’ai besoin de plus ce soir.
Ton toucher est contagieux,
Tu sais ce dont j’ai besoin ce soir.
Je ne peux pas courir et je ne peux pas me cacher.
La lumière m’achèverait.
Je suis perdu mais je suis en vie.
Je ne veux plus jamais voir la lumière du matin.

Car cet amour devient dangereux
Et j’ai besoin de plus ce soir.
Ton toucher est contagieux,
Tu sais ce dont j’ai besoin ce soir.
Je ne peux pas courir et je ne peux pas me cacher.
La lumière m’achèverait.
Je suis perdu mais je suis en vie.
Je ne veux plus jamais voir la lumière du matin.

Quand j’avais 22 ans,
Le jour où je t’ai rencontré.
Quand tu as pris ma main dans la nuit.

Traduction avec l’aide de paroles-musique.com

Source photo : site tumblr de Lolito Malibú

 

Les amoureux de l’Amour

Il est une espèce de garçons plus terrible, dangereuse et sournoise encore que celle des hétéros ambigus : les amoureux de l’amour. Ce n’est pas vous, la prunelle de leurs yeux, vous n’êtes pas cet objet qui fait battre leur palpitant à tout rompre, ce n’est point pour vous ces mots tendres chuchotés à l’oreille, pas pour vous qu’ils sont prêts (en parole) à l’impossible, à l’indicible. Non, c’est pour le sentiment amoureux. Au nom de l’amour, ils sacrifieraient père et mère, se trancheraient un membre avec une scie rouillée. Mais pour vous-même, vous en tant qu’être de chair et de sang, perclus d’humanité et donc de défauts, à peine oseraient-ils se piquer le bout du doigt avec une aiguille…

Heureusement, on peut les reconnaître facilement, si l’on prend la peine de fouiller quelque peu dans leur passé. L’amoureux de l’amour a grandi en solitaire ou s’est confiné dans son propre monde. Il s’est forgé l’esprit et le coeur à travers des lectures romantiques, passionnées, tragiques. Il s’émerveille facilement, un rien le touche, la moindre attention à son égard semble paroxystique. Il aime, oui, à n’en pas douter. Il peut vous déclamer des poèmes dithyrambiques, mais vous ne serez jamais ni sa muse ni son destinataire : c’est Cupidon qui l’est. Son amour de l’amour est tel qu’il préfère que la concrétisation du noble sentiment ne se réalise jamais, tout en souffrant qu’elle s’éloigne de lui. Mais cette souffrance le nourrit jusqu’à la lie, jusqu’à le rendre masochiste. “L’homme est un apprenti, la douleur est son maître et nul ne se connaît tant qu’il n’a pas souffert”, écrivit Musset qu’il cite par coeur, à tout crin.

Le coeur de l’amoureux de l’amour s’emballe pour un rien et souvent à sens unique. Il sait que son émoi ne sera jamais réciproque et cette impossibilité le trouble à la pâmoison. Un copain de classe, puis un collègue, un garçon croisé dans le métro ou dans la rue, il imagine chacun comme un chevalier sur son fidèle destrier, prêt à la conquête d’un lointain château et à qui il tendra son mouchoir. Il se sent Pénélope attendant inlassablement Ulysse. Même si cet Ulysse en question ignore tout de son existence. Et cet amour imaginaire lui suffit, le comble d’extase. Jusqu’au prochain coup de coeur.

Je fus l’un de ces hères. Dans mon adolescence, je tombais amoureux tous les jours, je me languissais, m’inventais un futur avec la personne sur qui j’avais jeté mon dévolu, un mariage, un voyage, une destinée. Je me souviens même avoir noté dans un carnet chaque fois que le premier garçon qui me révéla à moi-même, au lycée, me serrait la main. Mon coeur battait la chamade, l’Amour apparaissait enfin et prenait ses traits. Mais avec le recul, ce n’était pas lui que j’affectionnais, mais l’idée d’avoir quelqu’un qui envahissait mes rêves et mes fantasmes. Fort heureusement (ou malheureusement, c’est selon), la réalité du monde gay a brisé mon côté fleur bleue, le piétinant joyeusement, m’aguerrissant de ces choses-là et j’ai su ce qu’aimer vraiment voulait dire, aimer quelqu’un et non la simple idée de l’aimer lui.

M. l’Ex était ainsi, lorsque je l’ai rencontré. Il n’avait encore jamais vraiment eu de compagnon. Le seul copain qu’il eut précédemment le considérant plus comme un objet sexuel qu’autre chose. Dès lors, moi qui m’intéressais vraiment à lui, je devenais l’Amoureux avec un A si majuscule qu’il me fit peur. Lorsque je lui disais un mot un peu moins gentil que la veille (nous ne sommes pas toujours constants), je recevais de sa part un mail le lendemain, long comme la “Chanson de Roland”, dans lequel il tempêtait, clamait sa souffrance, s’imaginant au bord d’une falaise du haut de laquelle je le poussais dans le vide. Rien que ça. Mais si j’avais été particulièrement tendre et touchant, alors je recevais un autre mail, tout aussi long, vantant mes qualités qui paraissaient alors aussi innombrables que les étoiles du firmament. Constatant que j’avais affaire à un amoureux de l’amour, je préférais casser le mythe qu’il créait autour de ma personne, pour lui révéler qui j’étais réellement, afin qu’il m’aime moi et non l’idée qu’il se faisait de moi (ce qui se retourna contre moi au bout du compte, mais ceci est une autre histoire). L’ambiguïté prit fin. Il a depuis regagné ses rêves peuplés de licornes bleutées, de farfadets facétieux et de romantiques ténèbres, avec un compagnon tourmenté par l’amour version Rilke, joignant de concert leurs paumes ensanglantées en guise de serment éternel.

Je pourrais aussi vous citer Disneyman (surnommé ainsi pour son incommensurable passion pour les dessins animés estampillés Disney et les insupportables chansons qui vont avec). Trentenaire, bourré de charmes et de qualités, le garçon vivait seul et n’avait jamais connu les joies et peines du couple. Alors qu’il les désirait ardemment. Il est revenu dans ma vie régulièrement, lors de mes périodes de célibat. A chaque fois, je bénéficie d’une cour romantique et effrénée (j’ai tout de même réussi à échapper à la peluche Mickey qui tient un coeur dans ses mains à quatre doigts) et à chaque fois, nous franchissons des étapes qui pourraient conduire à une relation. Mais au moment fatidique, quand les choses commencent à se concrétiser tout doucement, il remballe ses élans et les emmène vers un autre garçon à qui il va compter fleurette de la même manière. Un peu comme un adulte qui n’en finirait plus de faire des études, s’inscrivant de fac en fac, afin de n’avoir jamais à affronter le monde du travail. Car l’amour est un travail, un vrai. Qui demande patience, énergie, force et courage, avec un salaire au bout (de misère ou le jackpot). Mais pour cela, il faut laisser ses rêves d’adolescent de côté et se laisser guider dans le monde réel. Et ce n’est visiblement pas donné à tout le monde…

Sources : Mes Invertissements via Anotherdaylight (site fermé), publication du 12 mars 2013.

 


Je reproduis cette excellente réflexion, alors que l’auteur a également arrêté ses activités de blogueur pour des raisons tout à fait louables (ici).

En lisant ce texte, dès les premières lignes, une crainte m’assaille. Je me reconnais dans la description qui est faite et je vois bien où il veut en venir. Les amoureux de l’Idée sont-ils des amoureux réels ? C’est triste, cette affaire ! Heureusement, l’auteur confesse être lui aussi tombé dans ce piège et, apparemment, s’en être sorti. Tous les espoirs sont donc permis.

Reste que… Il me vient à penser que nous les cathos qui n’avons pas su reconnaître et assumer notre dimension homosexuelle et qui avons commencé à vivre et nous comporter comme si elle n’existait pas, nous nous sommes habitués à aimer l’image de l’Ami Idéal. Une construction de toutes pièces qui permettait à la fois d’assumer, en quelque sorte, et de sublimer. Parfois, nous l’avons mêlée à la vie spirituelle et en avons recueilli des consolations, un endroit où l’on pouvait vivre un amour parfait, attendu, espéré et que nous ressentions plus ou moins comme promis , puisqu’il était déjà là. Parfois, peut-être, nous l’avons confondue avec Jésus, l’Ami Idéal et nous avons rêvé de cette amitié pure et parfaite et complète. Je dis bien : nous avons rêvé.

Rien de ce que nous avons découvert sur la vie spirituelle, la grandeur et la présence de Dieu en nos vies, n’est faux. Mais, si nous avons rêvé, il nous faut maintenant… nous réveiller !

Z – 14/01/2017