Au risque de sortir un peu du thème habituel de ce blog, j’ai envie de pousser une sorte de coup de gueule à propos de la bêtise à laquelle je suis confronté ce soir. Voilà donc un exégète d’assez bonne notoriété qui vient à publier sur un sujet qu’il ne maîtrise visiblement pas très bien et que, pour ne pas le griller, je résumerai sous l’expression générale d’anthropologie spirituelle.

Ce qui me fait penser qu’il ne le maîtrise pas, c’est que d’une part il n’en traite pas les fondamentaux (à savoir comment la question s‘est posée à ceux qui ont traité le sujet avant lui) et n’inclut pas non plus les nombreuses publications récentes, certes le plus souvent non-chrétiennes mais très bien informées et pertinentes, qui s’appuient quasiment toutes sur une posture phénoménologique ou expérientielle du sujet qu’il prétend traiter.

Au lieu de quoi nous avons donc des approximations et généralisations abusives qui traduisent que l’auteur en question nous livre davantage son opinion personnelle et son pédantisme qu’une étude réellement scientifique.

Que faire ? Que dire ? Et pourquoi j’en parle ici ?

Que faire ? Je ne suis pas exégète. De quoi je me mêlerais d’aller corriger ses affirmations péremptoires ? En même temps, visiblement, lui n’est ni philosophe ni anthropologue et mon ressenti est qu’il tord le sens biblique pour le faire coller à sa compréhension personnelle et non vérifiée du monde. Quel dilemme ! Pas envie d’entrer dans une querelle stérile de contenu et de légitimité et, en même temps, je bous de cette pédanterie qui consiste à affirmer ses opinions en même temps qu’une analyse biblique pour leur donner le même niveau de crédibilité ou de légitimité alors que cela me semble clairement de la forfaiture. Mais cela a été publié. Le directeur de collection, l’éditeur, pourtant très sérieux, ont laissé passer… Qui suis-je pour aller contester toutes ces sommités ?

Que dire ? Que cela m’insupporte, que cela me révolte. Que j’éprouve un sentiment de tromperie et de duperie. Et que cette manière de faire où je ressens profondément la suffisance de quelqu’un qui s’exprime sur un sujet qu’il ne connaît pas, pensant peut-être que sa notoriété suffira à pallier son inconnaissance ou laissant son ego se satisfaire de se mettre en valeur en se croyant original, m’afflige terriblement, me renvoyant au sentiment qu’ils sont nombreux ceux qui dans l’Eglise nous dupent par esprit de pouvoir, suffisance et domination.

La charité chrétienne, qui inclut le souhait de ne pas créer ou me nourrir de scandales, m’empêche de dire son fait au monsieur, alors même que l’anonymat de ce blog me protège pourtant bien. Mais je dois bien reconnaître que je fulmine de cet espèce d’abus de confiance que l’intéressé commet peut-être malgré lui, inconscient qu’il est d’être mû davantage par ses passions internes que par le service et la recherche de la vérité.

Et pourquoi j’en parle ici ? Parce qu’au fond, même si ce n’est pas le sujet de l’ouvrage incriminé, je crois y reconnaître un procédé qui a souvent servi pour décrier, salir et accuser l’orientation homosexuelle. Il est tellement facile de faire dire à la Bible ce qu’on porte déjà en soi et qu’on a envie d’y voir. En psychologie, cela s’appelle de la projection. Une sorte de mécanisme qui me fait chercher, voir, rassembler et organiser en l’autre – ici, dans les écrits bibliques – ce qui corrobore ce que je pense ou ressens d’avance.

Le problème est que, faisant cela, je ne me laisse pas convertir, transformer, par la Parole de Dieu, mais je lui fais confirmer ma compréhension innée du monde comme si j’étais un être inspiré davantage qu’un autre. Alors la Bible va donc confirmer ce que je pense déjà, c’est-à-dire assez souvent mon système de croyances et d’explications qui me rendent le monde cohérent, c’est-à-dire encore non seulement une projection de moi mais aussi une propension orgueilleuse à croire que je suis le filtre par lequel s’explique et se comprend la Parole de Dieu.

Alors si mon éducation, ma culture ou mes peurs personnelles concernant la différence ou ma propre sexualité, m’enjoignent de me méfier de l’homosexualité, je vais donc tout à coup savoir trouver plein de références bibliques, même ingénieuses, qui montreraient que Dieu est contre l’homosexualité. Reconnaissons, au passage, que l’inverse est également possible : vouloir absolument faire dire à la Bible une reconnaissance de l’homosexualité.

Pour ce qui concerne l’homosexualité, je le savais déjà, j’en ai déjà parlé à plusieurs reprises dans ce blog, et, au fond, ça ne prête plus qu’à sourire. Mais ce qui anime ma colère, je crois, c’est de m’apercevoir que c’est le cas pour d’autres aspects de la foi chrétienne et que des hommes de renom s’engagent dans cette voie.

Je ne peux donc même pas me reposer sur ceux qu’on me propose comme des spécialistes d’une question ? Je dois sans cesse être veilleur (donc, éveillé) pour ne pas me laisser abuser par de creux discours égotiques qui limitent le champ extraordinaire de liberté que m’offre la Parole de Dieu ?

J’avoue : je me sens déçu et dupé, d’où la colère que j’exprime ce soir. Ce n’est pas une colère contre quelqu’un, pas même contre l’auteur que j’évoquais plus haut. C’est une colère contre moi-même, au fond, d’avoir cru des balivernes, de m’être laissé conter des sornettes, d’avoir abdiqué ma liberté.

Ah ! voilà le mot qui manquait : la liberté ! C’est un devoir pour tout chrétien de se former, de chercher sans relâche et sans jamais s’arrêter, ce qui pourrait être juste et vrai pour lui.

Me revient en mémoire ce passage de Kierkegaard, le père de l’existentialisme chrétien, dans lequel il affirme, fruit de sa propre expérience, que nul n’est dispensé de se mettre dans la peau de quelqu’un qui ne sait pas encore que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu. On ne croit pas parce qu’on nous dit de croire, pour imiter les parents, les idoles ou le modèle social ; on croit parce qu’on a rencontré personnellement le Christ. Nul n’est dispensé de cette rencontre. A l’instar de ceux qui ont rencontré le Jésus historique et dont certains seulement vont devenir ses disciples ou ses apôtres, nous ne sommes pas dispensés de rencontrer ce bonhomme et de voir ce que cela produit en nous : sommes-nous indifférents ? nous énerve-t-il ? sommes-nous séduits ? encore un fou, un gourou, une secte ? pourquoi ses paroles, ses gestes, même étranges, m’interpellent ? ai-je envie d’en savoir plus même si je ne comprends pas tout ? Ai-je envie de le suivre, ne serait-ce que pour en savoir plus et même si, pour l’instant, je n’adhère à rien du tout ? – Et envie de le suivre, c’est déjà être en train de devenir disciples si on s’en tient à la définition courante selon laquelle les disciples sont ceux qui suivent un maître (c’est-à-dire, en fait, se laissent enseigner par lui).

Que de liberté dans toutes ces attitudes possibles !

Pourquoi les spécialistes de Dieu (papes, évêques, curés, théologiens, exégètes) – enfin certains, n’est-ce pas, pas tous – ne sont–ils pas au service de cette liberté au lieu de vouloir nous enfermer dans leurs compréhensions personnelles étriquées ?

Si l’on dit que Jésus est sauveur, qu’il nous sauve! Qu’il rétablisse le champ des possibles! Qu’il nous libère de nos prisons théologiques et égocentrées et que la vie circule et nous entraîne en avant ! Vous le sentez ce souffle de liberté ?

C’est lui l’Esprit de Dieu, l’Esprit-Saint, un esprit de liberté.

Photo : sculpture de Nazar Bylik