160523-Bieber

Est-il possible de marcher sans but?
A vrai dire, aujourd’hui,
tout objectif me paraît bien éphémère,
illusion ou fuite en avant,
pour ne pas regarder sa souffrance,
ne pas sentir le manque d’amour.

Dans mon cas,
pour fuir aussi le trop d’amour qui surgit
et qui ne trouve pas d’écho.

Alors des occupations,
tel objectif de réussite, de prestige ou de carrière,
tel objectif de construire une famille , de reproduire un modèle,
tel objectif de sauver, secourir, donner aux autres,
tellement d’objectifs possibles
auxquels on peut s’identifier.

Je sais et je sens
– est-ce la même chose ?-
au fond de moi,
que le but n’a pas ou plus d’importance.

Oui, je peux marcher sans but.
C’est absolument terrifiant,
car cela veut dire arrêter de fuir,
arrêter de faire semblant,
arrêter de m’occuper
la tête, le coeur, les mains,
pour enfin oser
marcher en présence.

C’est absolument terrifiant,
il va falloir que j’affronte ma peur du vide,
ma peur de ne pas être aimé,
ma peur d’être rejeté,
ma peur de n’être rien ni personne.

C’est absolument terrifiant,
mais je ne veux plus fuir,
ni rien, ni personne,
ni moi-même.

Je veux marcher
en conscience,
en présence.

Je veux être qui je suis.

Mon espérance
est que ce soit toi, Seigneur,
qui m’appelle
du fond de mon être
à te retrouver.

Tu ne peux pas m’aimer
– je ne peux pas laisser ton amour me guérir –
si je ne m’accepte pas
tel que tu m’as fait,
si je n’arrête pas, un jour,
de fuir après des objectifs illusoires,
par peur de ne pas exister,
par peur d’être seul,
immensément seul et inutile
à tout et à tous.

Si j’arrête de courir, et me disperser,
telle Marthe qui s’agite pour faire mille choses,
si j’arrête et me pose à tes pieds,
comme Marie,fragile, disponible, vulnérable,
soumise à la critique des autres,
seras-tu là, mon amour,
coeur de mon coeur,
être de mon être ?

Présence de ma présence.

Je crois que je peux marcher sans but
si je marche en ta Présence.

Je dois passer la peur
de ce grand vide qui m’effraie
parce que je crains d’y ressentir à nouveau
cette blessure de ne pas exister
pas aimé, pas accueilli, pas reconnu.

Et pourtant je suis là,
j’existe.
tu m’as donné la vie,
et, au fond de moi,
je sens mon être s’agiter,
il veut paraître,
il veut te louer,
il veut te rendre gloire
par le seul fait d’être.

Le vivant, voilà ta gloire.

Alors, aussi grande soit ma peur,
je lâcherai un à un mes oripeaux
et m’approcherai autant que je peux,
et je marcherai en ta Présence,
mon Seigneur et mon Dieu.
Ma vie.
Vie de ma vie.

Le Seigneur ton Dieu est en toi, c’est lui, le héros qui apporte le salut. Il aura en toi sa joie et son allégresse, il te renouvellera par son amour ; il exultera pour toi et se réjouira

(Sophonie 3, 17)

Je marcherai en présence du Seigneur sur la terre des vivants.

(Ps 114,9)

 

Pentecote

 

J’avais l’intention de parler de la Pentecôte, du don de l’Esprit, honorer cette belle fête chrétienne. Mais je ne le peux pas… Pas à la manière dont je l’envisageais et peut-être ne le pourrai-je jamais plus. Trop de choses se bousculent en moi en ce moment.

Je voulais parler du corps et de l’esprit, ce pauvre amas d’os et de chair, promis à la mort tandis que l’Esprit nous anime et nous conduit à la vie éternelle. Je ne peux pas.

Ce n’est pas que j’ai perdu la foi, oh non ! Ce n’est même pas que mon discours était faux. Mais face au surgissement de l’être, quel discours puis-je tenir?

Ma Pentecôte, je vais vous la raconter, puisqu’elle est en train d’advenir dans ma vie. Que puis-je faire d’autre? Elle est là qui surgit tout à coup et elle ne ressemble à rien de ce qui était prévu. Pourtant je la reconnais bien. Car elle est une force de vie gigantesque qui est en train de jaillir, me bouleverse, me réconforte, me console, me fortifie à la fois. Elle est Paix, Amour, Joie, et plein d’autres choses en même temps et tout ça confondu.

Débordement d’amour.
Jaillissement de vie.
Torrents de compassion.
Je suis submergé,
et c’est bon.

Ah ça prend une drôle de tournure : au départ c’est comme si j’étais submergé par mes propres émotions. Et me voilà à dire ou à penser que je suis bien trop sensible, que ça ne se fait pas d’écouter ses émotions à ce point là et les laisser prendre le pouvoir, mais, mais… ai-je seulement eu le temps de vraiment le penser? Elles sont déjà là, elles m’entraînent avec elles. Je suis comme porté par une vague qui m’enveloppe et me protège, et me berce, et accueille mes larmes si longtemps contenues. Ces émotions n’étaient qu’une goutte d’eau à la surface de la vague qui m’entraîne

Une digue vient de se rompre.
Un mur, des murs, des verrous, que sais-je? qui sautent.
Ca ne fait même pas mal. C’est doux, c’est bon, c’est infini.

Où est-ce ? Je ne sais pas.
Ca surgit d’un fond de moi que je ne sais pas situer physiquement,
mais ça remplit aussi l’espace et le temps,
et me relie à d’autres qui le reçoivent aussi.

C’est immense.
Immensément bon.
Ma raison me dit de faire attention,
que peut-être ça va m’entraîner n’importe où,
ou que, peut-être, ça va s’arrêter et que je me retrouverai perdu et désemparé.
– Mais tais-toi donc ma tête, je ne t’écoute plus !

Il y a ce surgissement primal qui m’emplit et qui est si bon.
Tu comprends, c’est la vie, c’est la Vie qui revient,
la folie, la joie, la fête et la danse !

Mais d’où ça vient ? Je ne sais pas. C’est partout.
Ca vient de moi mais c’est aussi le coeur de mes amis,
mes bien nouveaux amis, c’est vrai.
Ils m’ont touché le coeur, ils ont touché mon être.
Il semble que mon être
attendait un mot, un geste, de vrai amour
pour se réveiller, se libérer, grandir,
venir habiter chez lui.

Et voilà, c’est le moment.

Le plus incroyable, et c’est cela ma Pentecôte,
c’est que nous parlions le même langage,
celui de l’Être.
Tu as vu? Je ne dis même plus celui du coeur.

Ils sont gays ou pas,
ils sont de France, de Suisse, d’Italie, du Canada …
Ils sont ma famille,
Ils m’accueillent comme tels.

Et tous ces débordements
qui m’affolent un peu, je dois bien le reconnaître,
ils les regardent avec gentillesse.
C’est naturel pour eux.

C’est le plus étonnant, d’ailleurs.
Le naturel avec lequel ils reçoivent
ce que nous appelons sensibilité
et qui est en fait l’accueil tranquille
de la puissance de Vie
déposée en chacun de nous.

Mon coeur est touché,
mon être se réveille.
Je baisse les bras, je laisse les armes.
Je ne veux que ça.
Toute ma vie, j’ai attendu ça, je crois.

Où cela m’entraîne-t-il,
De quoi demain sera-t-il fait ?
Je ne sais pas.
Je ne veux pas savoir.

Pour l’instant, je veux juste continuer
à sentir le Vent gonfler mes voiles,
ouvrir toutes les portes et les fenêtres de ma maison intérieure
et rejoindre le vent des amis
qui ont déjà le coeur ouvert
et m’invitent dans leur danse
déjà commencée.

C’est la fête de la Vie.

Bienheureux amis !

Z  – 14 mai 2016

Quand arriva le jour de la Pentecôte,
au terme des cinquante jours après Pâques,
ils se trouvaient réunis tous ensemble.

Soudain un bruit survint du ciel
comme un violent coup de vent :
la maison où ils étaient assis
en fut remplie tout entière.

Alors leur apparurent des langues
qu’on aurait dites de feu,
qui se partageaient,
et il s’en posa une sur chacun d’eux.

Tous furent remplis d’Esprit Saint :
ils se mirent à parler en d’autres langues,
et chacun s’exprimait selon le don de l’Esprit.

(Actes des Apôtres, 2, 1-4)

qui-me-separera

Pas le temps de faire une grande éxégèse, mais comment ne pas relever les paroles si consolantes de la liturgie de ce jour, pour toute personne qui a entendu l’appel du Seigneur? Précisons quand même, je parle de l’appel à se laisser aimer.

Prenons le récit des Actes des Apôtres. Ce n’est pas l’application, même scrupuleuse, des rites ou des normes qui fait que l’on est sauvé.  C’est le lien indéfectible au Seigneur Jésus. Ce qui fait que la Promesse de la vie éternelle est faite à quiconque veut la recevoir en vérité, sans marchandage mesquin sur le respect des lois, le mérite, la préséance ou toute autre motivation venue de l’orgueil d’un ego qui n’a pas encore baissé les armes face à l’offre inconditionnelle d’un amour lui aussi inconditionnel.

Alors, oui, le salut peut être offert aux peuples, aux nations, à tous et chacun de toute culture,de toute origine. Et c’est l’esprit en paix, que  Paul et Barnabé peuvent partir en secouant la poussière de leurs sandales (obéissant en cela à une préconisation du Seigneur lui-même, rapportée dans les Evangiles), non sans laisser quiconque a reçu la promesse de la vie éternelle ( i.e. ceux qui peuvent, ceux qui sont disponibles) dans la joie. Car la Bonne Nouvelle de la proximité du Seigneur est joyeuse !

 Quand les Juifs virent les foules,
ils s’enflammèrent de jalousie ;
ils contredisaient les paroles de Paul et l’injuriaient.
Paul et Barnabé leur déclarèrent avec assurance :
« C’est à vous d’abord
qu’il était nécessaire d’adresser la parole de Dieu.
Puisque vous la rejetez
et que vous-mêmes ne vous jugez pas dignes de la vie éternelle,
eh bien ! nous nous tournons vers les nations païennes.
C’est le commandement que le Seigneur nous a donné :
J’ai fait de toi la lumière des nations
pour que, grâce à toi,
le salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre. 
»
En entendant cela, les païens étaient dans la joie
et rendaient gloire à la parole du Seigneur

(Ac 13, 14.43-52)

Les textes de l’Apocalypse et de l’Evangile du jour sont, du coup, très évocateurs de la liberté des enfants de Dieu du moment qu’ils sont unis au Seigneur. Ce que le Seigneur a uni ne pourra pas être défait. “Nous sommes uns” dit Jésus,  comme “le Père et moi, nous sommes uns.”

Moi, Jean, j’ai vu :
et voici une foule immense,
que nul ne pouvait dénombrer,
une foule de toutes nations, tribus, peuples et langues.
Ils se tenaient debout devant le Trône et devant l’Agneau,
vêtus de robes blanches, avec des palmes à la main.
(…)
l’Agneau qui se tient au milieu du Trône
sera leur pasteur
pour les conduire aux sources des eaux de la vie.
Et Dieu essuiera toute larme de leurs yeux.

(Ap 7, 9.14b-17)

Seul critère : l’attachement au Christ. Plus encore que la confiance, l’adhésion, le choix du Christ. Il est précisé dans le’extrait de l’Apocalypse que le Seigneur rassemblera ses brebis et qu’il n’en perdra aucune, aucun de ceux qui se sont attachés à lui  – quelque soit sa condition, semble-t-il  ; le Seigneur a mission de les emmener à son Père. Quand cela arrivera-t-il?  Après la mort? Dès maintenant? Question  intéressante, pleine de sens et d’ouverture à laquelle il n’est pas répondu et que nous n’explorerons pas aujourd’hui.

En ce temps-là, Jésus déclara :
« Mes brebis écoutent ma voix ;
moi, je les connais, et elles me suivent.
Je leur donne la vie éternelle :
jamais elles ne périront,
et personne ne les arrachera de ma main.
Mon Père, qui me les a données,
est plus grand que tout,
et personne ne peut les arracher de la main du Père.
Le Père et moi, nous sommes UN. »

(Jn 10, 27-30)

Mais retenons cette notion d’attachement. Quand mon  coeur est brûlant en vérité de la rencontre du Seigneur, quand mon être  s’est ouvert à l’Être grâce à la rencontre d’autrui, quand  la beauté de l’autre – à son corps défendant parfois – vient réveiller la beauté de l’Être en moi et me révéler qu’il m’appelle,  quand l’autre a réveillé quelque chose de divin en moi, comme l’invite à m’ouvrir toujours plus, je pose la question : même si cette relation est de nature homosensible (et encore, qu’est-ce que ça veut dire quand on en est là !), qui pourra me séparer du Seigneur?

Z.

fils-perdu

Le temps passe…
Je suis au milieu d’une tempête qui n’en finit pas et que je sais pourtant nécessaire.
Ca secoue de partout, c’est douloureux parfois.
Et ce sentiment inépuisable d’être perdu…
Ne pas savoir, où aller, quoi faire, quoi décider.
Je suis partagé entre deux extrêmes :
Tout abandonner, tout lâcher – laisser faire –
Et me battre, lutter envers et contre tout
– mais je ne sais pas contre quoi et contre qui.
Je ne vais pas me battre contre moi-même, quand même,
Alors que je sens bien que l’enjeu est, au contraire, de me retrouver.

C’est bizarre cette impression d’être comme un fils prodigue
Qui a quitté la maison, dilapidé ses biens, essayé plein de choses,
Fier de mener sa vie, confiant, optimiste, terriblement irréaliste aussi,
Et qui se retrouve sans rien, sinon la faculté de revenir en lui,
Et de se rappeler ce qu’il a quitté, ce qu’il a perdu.
Non pas une richesse matérielle, mais un amour qui le constituait,
Un amour qui sécurisait, un amour qui vitalisait,
Un amour qui sourçait tranquillement
Et le structurait en son être.

Je ne suis pas si vieux que ça,
Et pourtant je n’en finis pas de revisiter l’enfance et l’adolescence.
Comme si quelque chose m’attendait là-bas,
Que j’ai oublié ou perdu.
Et ce quelque chose, il se pourrait bien que ce soit quelqu’un.
La part de moi, irréductible, encore pure
Qui aspirait à la vie, au bonheur.

Comment replonge-t-on dans ses sources ,
Comment y revient-on ?
Le fis perdu médite en son cœur et se prépare.
C’est peut-être le sens de ce qui m’agite.
Qu’on l’appelle tempête ou désert.
Je vais donc revenir,
Demander pardon à mon Père de m’être enfui si loin de lui,
De n’avoir cru qu’à mes propres forces,
D’avoir cru pouvoir vivre hors de ce qui m’origine.

Il y a dans mon enfance et mon adolescence,
Cet appétit de vivre,
Cette soif de découvrir,
Ce bonheur de donner et recevoir,
Cette insouciance même,
Qui rendaient présent l’instant présent.

Comment fait-on pour retrouver le chemin ?
J’ai parcouru tellement de routes depuis.
Comment fait-on pour retrouver le chemin ?

Mon être, réveille-toi.
Même si je t’ai malmené un peu parfois,
Si je t’ai oublié ou, pire, caché et fait taire,
Mon être, réveille–toi.
Car c’est toi qui sais le chemin.
La vérité, c’est que je suis perdu sans toi.
Et j’avais bien besoin de cette leçon.
Mon être, toi qui reçois la vie divine chaque jour,
Pardonne-moi et reprends place en moi.
C’est toi qui sais le chemin de l’Être.

Zabulon – 13/03/2016

 

 

Source image : Ryan by tehhuskeh (deviantart)

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« Vous ne savez pas ce que vous demandez. »
(Mc 10, 38)

Si on va trop vite à la lecture de l’Evangile du jour (Mc 10, 35-45), on risque de ne retenir qu’une certaine indignation face à la demande audacieuse des fils de Zébédée, Jacques et Jean, compagnons de la première heure ou, encore, de s’attarder sur le développement (théologique – donc postérieur ?) de la réponse de Jésus  et s’attarder soit sur l’annonce du détachement et de la souffrance, soit sur l’annonce du service.

Dans l’accueil de ce texte d’aujourd’hui, ce qui me frappe , c’est cette réponse de Jésus : “Vous ne savez pas ce que vous demandez.” C’est vrai, quoi, quelle mouche a bien pu piquer les deux frangins pour qu’il fasse une telle demande de privilège au risque de se couper des autres apôtres ? Probablement, ont-ils réfléchi, prié, médité avant d’oser une telle demande et s’estiment-ils en droit ou en capacité de la faire.  Compagnonner avec Jésus, ressentir des émotions ou même des intuitions spirituelles fortes , et hop, voilà-t-y pas qu’on se croit méritant, déjà arrivé, presque arrivé, si près d’arriver… Allez, Seigneur, dis-le nous que tu nous réserves une place !

“Vous ne savez pas ce que vous demandez.”

Maintenant, je prends juste cette phrase de Jésus. Parce que ce sont ses premiers mots, sa première réponse. Et qu’il n’y a aucune raison à se précipiter pour connaître la suite de la réponse. Jésus les a peut-être prononcé doucement, ces mots. Lentement peut-être. Et tous les points de suspension qu’il y avait peut-être derrière et dont  le texte ne peut rendre compte. Oui, laissons résonner un peu cette phrase, à la manière de la méthode des Focolari qui consiste à méditer un verset, longuement, lentement, aussi peu inspirant et ardu qu’il soit.

“Vous ne savez pas ce que vous demandez.”

Ca sonne un peu comme dans cet autre passage de l’Evangile : «  À qui donc vais-je comparer les gens de cette génération ? À qui ressemblent-ils ? Ils ressemblent à des gamins assis sur la place, qui s’interpellent en disant : Nous vous avons joué de la flûte, et vous n’avez pas dansé. Nous avons chanté des lamentations, et vous n’avez pas pleuré.» (Lc 7, 31-32).  Personnellement, je n’arrive pas à imaginer une once de colère dans ce doux reproche fait par Jésus.

“Vous ne savez pas ce que vous demandez.”

Toujours cette projection de soi-même dans un ailleurs, fût-il beau.Projection de soi pour être heureux plus tard, et pour “avoir” quelque chose alors qu’il s’agit simplement d’être. Jacques, Jean, fils de Zébédée, compagnons de de la première heure, me connaissez-vous encore si peu ? Tout ce que Je suis, vous l’êtes aussi si vous renoncez à paraître et à avoir, la clef est en vous. Tiens, ça me rappelle aussi la réponse faite à Philippe quand celui-ci lui dit en gros : “allez Jésus, quoi, montre-nous le Père et cela suffira!” (Jn 14,8) La réponse de Jésus est du même style : “Quoi, Philippe, si longtemps que tu es avec moi et tu n’as toujours pas compris ?”

“Vous ne savez pas ce que vous demandez.”

Vous êtes encore à l’extérieur de vous-même et, du coup, vous demandez des choses qui ne ne sont pas ajustées, pas conformes à la vérité, à votre vérité, la vérité de votre être.  C’est la seule chose qui compte: se retrouver soi-même, se reconnecter profondément à la Source de la Vie qui sourd au fond de soi. Vous croyez la voir  (l’avoir ?) parce que vous la percevez en moi et en goûtez le rayonnement, mais c’est du lieu de votre propre source dont il s’agit, car c’est la même mais elle est en vous.

“Vous ne savez pas ce que vous demandez.”

Mon chemin n’est pas votre chemin. Ou plutôt, s’il l’est, c’est qu’il a une valeur intrinsèque que vous ne percevez pas. Pour qu’il soit votre chemin, il vous faut faire les choix que je fais, celui d’Être complètement disponible à mon Père. Ce choix ne se passe pas à la surface de vous-même, il ne s’installe pas par l’effort et le vouloir. Il s’accueille de l’intérieur. Vous savez, comme quand on se sent aimé et que ça fait chaud à l’intérieur au point qu’on ne sait plus si on se sent aimé ou si on se sait aimé, tellement c’est pareil, parce que c’est là, à l’intérieur, et que ce qui vient de l’extérieur n’est qu’un réveil, un rappel et une confirmation de ce qui était déjà là ainsi qu’une invitation à le laisser grandir en soi.

“Vous ne savez pas ce que vous demandez.”

Une seule chose est nécessaire, comme dans l’Evangile annoncé au jeune riche (Mc 10,17-22) : puisque tu as tout et que ça ne suffit pas, vends tout, donne aux pauvres et suis moi. Sois libre, sois disponible !  Revenir. revenir à soi. Cela semble l’essentiel, sans jeu de mots: essentiel car retour à l’Essentiel.  Qui a pensé que revenir, c’est ce qu’on traduit maladroitement par “se convertir”?  La conversion, μετάνοια métanoïa en grec, indique un renversement, un changement de pensée, un retour de soi-même (à ne pas confondre avec la métamorphose qui serait une transformation de soi).   Se convertir, du latin converto, c’est littéralement, se retourner, arrêter  la marche dans une direction illusoire,  se retourner pour se retrouver, revenir.

“Vous ne savez pas ce que vous demandez.”

Pourquoi je parle tout à coup de conversion? Je n’aime pas ce mot d’ailleurs qui aujourd’hui est fortement connoté négativement, soit parce qu’on l’a traduit souvent avec le mot “repentance”, au risque d’induire une culpabilisation excessive et injustifiée (au sens  qu’on ne la justifiait pas !) soit, parce que projeté sur les autres, il exprime le désir de les voir se retourner vers nous, au mépris de la violence qu’il y a  dans une telle démarche de vouloir pour l’autre ce qu’il doit être. Non, se convertir, ce n’est pas ça. C’est revenir. C’est oser se reconnecter avec son être profond et ressentir qu’il n’y a que là qu’on est bien et qu’on peut être homme ou femme de bien. Oser revenir.

“Vous ne savez pas ce que vous demandez.”

Bon, c’est le moment que je le dise…  Le mot qu’on a traduit par “se convertir”, en hébreu, est ShOUB, et son sens originel est justement “revenir”, ou “se retourner pour revenir sur ses pas”. Comme par exemple dans le psaume 79,4 : “Dieu, fais-nous revenir ; que ton visage s’éclaire et nous serons sauvés !”  Tiens, puisqu’on est dans les psaumes, je ne peux pas m’empêcher de continuer. Au suivant, le psaume 80, on découvre :  « Ah ! Si mon peuple m’écoutait, Israël, s’il allait sur mes chemins !” et au 81 : ” sans savoir, sans comprendre,  ils vont au milieu des ténèbres : les fondements de la terre en sont ébranlés.  Je l’ai dit : Vous êtes des dieux, des fils du Très-Haut, vous tous ! Pourtant, vous mourrez comme des hommes, comme les princes, tous, vous tomberez ! »

“Vous ne savez pas ce que vous demandez.”

Je l’ai dit, vous êtes des dieux. Dieu n’a pu vous créer, à son image et selon sa ressemblance, sans que vous soyez marqués de son origine divine. D’où vient qu’au lieu de revenir à cette parcelle de divinité en vous, vous soyez toujours en train de courir après une réalisation de vous éphémère, illusoire et impossible  à l’extérieur de vous ? Revenez, oui, revenez, chacun de vous, mon peuple, revenez à vous.

“Vous ne savez pas ce que vous demandez.”

Jacques, Jean, et nous tous qui ressemblons aux fils de Zébédée, nous côtoyons le Maître, cherchant à happer quelque chose de sa présence, de sa puissance ou de son aura. Quelle perte de temps ! Il me semble que j’entends Jésus me dire que le Royaume des cieux n’est pas loin, qu’il ne consiste pas à faire ou à avoir, mais à vivre de sa vie et que sa vie est profondément centrée, équilibrée, connectée, en Dieu, à l’intérieur, à la Source dont il se reçoit. Alors oui, le Royaume n’est pas si loin pour peu qu’on veuille bien revenir, et pas autre chose.

“Vous ne savez pas ce que vous demandez.”

Et si vous écoutiez, vous sauriez. Car ce n’est pas la première fois que Jésus parle ainsi.  Et après tout ce détour par l’idée de  se retourner et de revenir, il m’apparaît qu’une autre phrase de Jésus  traduit cette invitation à revenir  à Soi, traduite par ” Convertissez-vous  car le Royaume des cieux est tout proche” (Mt 4, 17) et souvent mal comprise  comme s’il fallait “faire” quelque chose, manifestation d’un “convertir” pour mériter le Royaume des Cieux, là où Jésus nous dit simplement  :   “Retournez-vous : vous êtes tout proche de vivre en l’Être de Dieu.”

“Vous ne savez pas ce que vous demandez.”

Μετανοεῖτε: ἤγγικεν γὰρ ἡ βασιλεία τῶν οὐρανῶν. Metanoeiteēngiken gar  basileia tōn ouranōn.

Metanoeite est : “Revenez, faites retour.”
ēngiken est  : “Il est tout proche“, au point que l’on touche déjà cette réalité, d’où parfois la  traduction anglaise “il est à portée de mains“.
gar exprime un lien d’évidence qu’on peut traduire par car, parce que, ou en effet, et que les anglais traduisent par indeed. On pourrait se risquer à le traduire ici par vraiment ou évidement. Ou simplement par OUI.
est l’article défini,féminin,  c’est donc celui-là/celle-là, pas un(e) autre !
basileia est le terme employé pour royaume, mot ô combien mal compris : un royaume, c’est un territoire, mais aussi un pouvoir, une autorité, une gouvernance, l’exercice de cette autorité. Comme il est doux que ce mot soit féminin.
tōn  est la marque du génitif masculin pluriel (complément de nom)
ouranōn est souvent traduit par les cieux, il y a dans  ce mot l’idée à la fois d’une élévation (vers le ciel) et d’un accès à des mondes, pas forcément immédiatement accessibles, qu’ils soient visibles et invisibles. C’est aussi le monde de la vérité,  de ce qui ne nous est pas (encore) connu.

Vous ne savez pas ce que vous demandez.”

Donc, oui, vous ne savez pas ce que vous demandez quand vous demandez l’exercice d’un pouvoir sur les choses ou les êtres, même pour me faire plaisir, même pour être en accord avec Dieu. Ca ne marche pas comme ça.

Revenez, plutôt à vous-même, car, oui, il est là, tout proche à portée  de mains – Ah que les anthropomorphismes sont piégeants !  Elle est là, toute proche, déjà là, là Présence de Dieu, l’Être qui vous porte et porte les univers.  Il est là, l’Être et l’Etant, toujours disponible. Pourquoi le chercher ailleurs ?

“Vous ne savez pas ce que vous demandez.”

*”Revenez, oui, elle est là, toute proche, la Présence de Dieu.”

 

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Zabulon – 18/10/2015

Source image :  Oscar & Moisés sur hairflips.net