waiting

Alors leur apparurent des langues
qu’on aurait dites de feu,
qui se partageaient,
et il s’en posa  une sur chacun d’eux.

(Act 2,3)

 

Verset dans lequel le terme grec traduit par langue est glossa, qui est l’organe de la parole, organe intérieur s’il en est. Organe qui ne se meut que si l’on a quelque chose à dire ou à crier, organe de l’expression du fond de l’être, ses émotions, sa vérité, que ce soit par un chant ou une parole de sagesse.

Et surtout, verset dans lequel le terme grec traduit pas “se poser” est le verbe kathizo, s’asseoir ou faire s’asseoir.

Le texte ne dit pas que les langues descendent du ciel comme cela est souvent représenté dans l’iconographie. Il dit qu’elles semblent se montrer (apparaître) comme s’installant (s’asseyant) et donnant un pouvoir de discernement et d’expression. Le mot kathizo, en effet, est employé la plupart du temps pour indiquer l’attitude de celui qui, en s’asseyant, va prendre une juste décision ou adopter un juste comportement.

Les exemples sont tellement nombreux que nous allons limiter. Si nous nous en tenons à Luc, auteur présumé des Actes des Apôtres, nous trouvons ces exemples de sagesse donnés par Jésus lui-même : “Lequel de vous, s’il veut bâtir une tour, ne s’assied (kathizo) d’abord pour calculer la dépense et voir s’il a de quoi la terminer ?” (Lc 14,28). “Ou quel roi, s’il va faire la guerre à un autre roi, ne s’assied (kathizo) d’abord pour examiner s’il peut, avec dix mille hommes, marcher à la rencontre de celui qui vient l’attaquer avec vingt mille ?” (Lc 14, 31)

C’est d’ailleurs l’exemple de Jésus lui-même, toujours avec le verbe kathizo: il s’assoit après avoir lu les Ecritures et roulé le livre (Lc 4, 20), il s’assoit dans la barque pour enseigner la foule (Lc 5,3). L’ânon qui le mènera à Jérusalem est un animal sur lequel personne ne s’est encore assis (Lc 19,30) et sur lequel lui s’assiéra (Jn 12,14). Il demande à ses amis de rester (littéralement, rester assis, kathizo) dans la ville pour attendre la puissance d’en haut (Lc 24, 49).

Et il en va de même avec les autres évangélistes. Par exemple Jésus est assis pour enseigner dans le Temple (Jn 8, 2) ou observer la veuve verser son obole (Mc 12, 41). Notons, pour le fun, la célèbre demande familiale d’une mère priant Jésus de faire asseoir ses deux fils à ses côtés (Mt 20, 21-23). Et d’ailleurs dans l’ensemble du Nouveau Testament grec, quand il s’agit de s’asseoir sur un trône, c’est khalizo qui est employé.

Donc pas de doute possible, ces langues qui se donnent à voir (optanomai) viennent s’installer, s’asseoir dans les personnes sur qui elles viennent.  L’emploi de la préposition grecque epi entretient d’ailleurs le mystère puisqu’on peut la traduire à la fois par sur (au dessus) et par dans (au travers). En tout cas, on est loin de l’image de l’Esprit planant sur les eaux ou même de celle de la colombe venue du ciel lors du baptême de Jésus. Ici on s’assoit comme sur un trône pour exercer une autorité authentique, ancrée en la sagesse de Dieu lui-même.

D’ailleurs, il est temps de faire le lien avec autre chose : il y a un grand bruit qui vient du ciel comme un grand coup de vent, à l’extérieur donc, mais c’est à l’intérieur qu’est ressenti le grand coup de vent. Belle métaphore de ce qui est en train de se réaliser pour chacun des amis du Seigneur qui sont présents. Ca se voit ou s’entend à l’extérieur,comme des langues, mais ça s’installe, ça s’assoit, à l’intérieur, comme un feu ardent.

Quel est l’intérêt de cette insistance sur le fait de s’asseoir avec le verbe khalizo ? Il me semble qu’il y en a au moins trois importants [Mon Dieu, le rythme ternaire ! 🙂 ].

  • D’abord, et c’est le plus connu, le plus repéré, le plus commenté, si ça s’assoit, ça s’installe. Dieu ne nous parle plus de l’extérieur mais de l’intérieur. L’Esprit Saint est vraiment donné aux Apôtres, ou aux confirmés (dans le sacramentaire chrétien) par cette sorte d’onction dans un espace clos : de l’intérieur vient l’Esprit-Saint d’une manière indubitable et qui ne pourra plus jamais être reprise. Ce n’est pas pour rien que cette venue de l’Esprit-Saint est comparée à une onction d’huile qui pénètre la peau vers l’intérieur et ne s’écoule pas le long de la peau comme le ferait de l’eau.
  • sittingjpgEnsuite, c’est le souffle commun qui nous rassemble. Une seule maison fermée, mais aussi un seul et même vent qui souffle et vient s’installer en l’assise de chacun, réveillant et exacerbant au passage des dons personnels et une expression de l’amour différente en chacun mais en communion. C’est la naissance de l’Eglise en tant que peuple des croyants, peuple des amis de Jésus-Ressuscité, peuple témoin de la Promesse accomplie.
  • Enfin, je voudrais revenir sur l’insistance sur “l’assise”, prolongement du premier point mais qui est si peu mise en exergue dans les commentaires contemporains. Le souffle de Dieu s’installe très loin en nous, très profondément, précisément en ce lieu de l’assise que pratiquent intuitivement de nombreux méditants, à commencer par les moines zazen. L’assise, c’est, en quelque sorte, savoir se poser en son centre. Centre énergétique, vital, primal, peu importe. Il y a un lieu, qui n’est pas forcément physique, qui est centre de gravité, porte vers mon origine et projection vers mon avenir. Ce lieu dans lequel je peux me retrouver moi-même et arrêter de me disperser est le lieu de l’assise. C’est le lieu du jaillissement de la Vie. C’est là que le souffle de Pentecôte vient régénérer les amis réunis, les réveiller à eux-mêmes et au projet de vie de Dieu sur eux. Ils peuvent alors retrouver toute leur force vitale qui, en fait, est force divine. Dans l’acception croyante de la Vie, y a-t-il d’autres forces de vie que celles qui viennent de Dieu et sont en Dieu?

Bref, si le souffle est partout en dehors de moi, s’il remplit l’espace et le temps, et donc le ciel et la terre, bien sûr, je peux attendre du ciel un signe et le lui demander. Mais de signe sérieux, crédible, qui engage ma liberté et responsabilité, il n’y en aura pas d’autre que ce souffle intérieur que je laisse grandir pour qu’il rejoigne celui de mes frères et qu’ensemble nous puissions témoigner de l’amour de Dieu qui fait toutes choses nouvelles en nous relevant et nous réunissant comme des frères.

La Pentecôte, ce n’est pas un vent extérieur qui vient me prendre et me convaincre, c’est un souffle puissant qui vient me saisir de l’intérieur et inonder ma vie de surprises, une invitation de l’intérieur, mon intérieur, à ouvrir toutes les portes et les fenêtres pour laisser Dieu agir dans le monde à sa façon en jouant un morceau de musique avec le bel instrument que je lui rends enfin disponible.

C’est aussi un feu qui ne s’éteint pas et qui ne demande qu’à devenir brasier dans l’espace qui lui sera donné.

Alors, pour commencer, si on s’asseyait? Ce qui veut dire rester en Dieu, rester en mon centre. Et de là, le souffle de Dieu me fera bouger. Qui sait s’il me poussera à rejoindre la danse déjà commencée ou à créer un nouveau pas de danse ?

Z- 15 mai 2016

PS : Oui, je sais. Ca fait plus sérieux qu’hier. Mais qui lira jusqu’au bout aura compris que je parle strictement de la même chose (notamment dans le 3ème point). De l’intérieur, le jaillissement peut être fulgurant.
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