Voilà un homme qui me confie qu’il est attiré par les hommes. Il le vit comme un calvaire, une abomination, il se déteste pour cela. Il prie, il implore, il demande pardon, croit être délivré et retombe dans son penchant… Désespoir.

Mon blog lui fait du bien, semble-t-il. Et pourtant, il repousse de toutes ses forces cette dimension homosexuelle qui l’habite comme si elle lui était étrangère et qu’on pouvait l’extirper.

J’ai vécu cela tellement longtemps ! Durant toute mon adolescence et une grande partie de ma vie d’adulte… Alors je comprends et j’assiste impuissant à cette lutte intérieure angoissante et fatigante. Il faut du temps pour repérer ces forces obscures qui s’agitent en soi, pour en comprendre en les enjeux, accepter qu’elles ne sont ni bonnes ni mauvaises, qu’elles sont moi. Moi en conflit avec moi-même sur fond de non acceptation de qui je suis vraiment.

Et pourquoi je ne m’accepte pas ? Pourquoi je vais imaginer que l’orientations sexuelle, le fait d’avoir des fantasmes sexuels avec quelqu’un du même genre, de me masturber peut-être avec ce genre de scénarios, ou, même que de m’attacher affectivement à quelqu’un du même sexe, ce serait mal, péché, tentation, force du mal, ou que sais-je encore ? Cette conception de moi, ou plus exactement cette non-compréhension que ce conflit m’appartient dans toutes ses dimensions, a conduit à des imbécilités comme la mise en place des thérapies de conversion, heureusement aujourd’hui interdites par le droit ET par l’Eglise, mais aussi à des exorcismes, des prières de libération, etc.

Mais quoi, expulser une partie de moi ? Me libérer d’une partie de moi ? Quel non sens ! Ah non alors, ce ne serait pas moi… Ce serait le diable, le malin qui viendrait me tenter alors que Dieu lui m’appelle à la sérénité, la paisibilité, une hétéro-normalité paisible et tranquille, et qui serait, dans mon cas, aseptisée, anesthésiée, sans couleurs, sans mouvements, sans vie, tellement je ne suis pas attiré sexuellement par les femmes…

En réalité, ce conflit intérieur est bien entre une partie de moi qui souhaite être heureuse, reconnue socialement, non rejetée du club des humains et une autre partie de moi qui me fait peur, qui me fait penser que le monde s’écroulerait si je l’acceptais car cela voudrait dire que je ne suis pas normal, que je suis malade, fou, différent, étrange…Tout ce qui fait qu’on pourrait me rejeter, m’abandonner et qu’alors je préfère rejeter comme dangereux, comme une porte vers un inconnu qui fait peur. TERRIBLEMENT peur ! A la manière d’une peur archaïque d’enfant qui craint d’être englouti dans un grand vide. Qui a peur de mourir. Qui veut être aimé. Et qui va s’imaginer que pour être aimé, pour ne pas mourir, il faut donc être dans la norme.

Moi, je ne suis pas malade, je ne suis pas anormal, je ne suis pas différent, je veux être aimé, accepté, accueilli comme tout le monde, j’en ai un besoin tellement vital que c’est sûr : JE NE PEUX PAS être homosexuel !

Pas besoin d’être dans une famille homophobe pour assimiler et faire siennes ce genre de convictions qui conduiront au déni et au refoulement de cette part de soi. Non pas besoin ! Je dois rendre justice à ma famille que jamais je n’ai entendu une remarque haineuse envers les personnes homosexuelles dans ma famille. Dans mon cas, c’était plus un silence gêné et si le sujet venait dans une conversation, un haussement d’épaules pour dire “c’est comme ça” et une sorte de tristesse en évoquant ces gens qui sont “différents”.

Dans mon cas, pas besoin de propos homophobes mais une peur. Une si grande PEUR d’être rejeté si j’ouvrais la porte à cette homo-sensibilité que j’ai sentie très tôt en moi. Non, pas question d’être différent ! C’est trop dangereux ! Et si on me rejetait?

Le déni peut se nourrir d’une homophobie bien plus subtile, celle de la société, de la religion, des églises. Très tôt j’ai intégré que ça ne se faisait pas (ou plus exactement que ce n’était pas permis, ce que je confondais à l’époque), que ce n’était pas acceptable, que ça ne pouvait que créer des ennuis. Alors comment accepter cette part de moi quand on y voit que des inconvénients et que notre petit être d’enfant a la prescience que pour survivre il ne faut pas être rejeté, qu’il faut se conformer, entrer dans le moule ? La pire des violences, peut-être, est celle qui est silencieuse car elle dure ; on s’y habitue, et plus on s’y habitue, plus elle dure, plus elle s’enkyste loin dans notre mémoire et plus il sera difficile d’y revenir. De revenir à cette part de moi oubliée et pourtant bien réelle.

Alors revenons un instant à ce conflit intérieur entre moi et moi. Il y a une partie de moi qui est bien éduquée, qui est polie et conformiste et ne veut pas de vagues. Et il y a une partie de moi que j’ai rejetée, niée, refoulée, qui est tapie au fond de moi, blessée, souffrante, en colère peut-être, de ne pas avoir été reconnue, de ne pas avoir pu se déployer, de ne pas pouvoir exister.

Parmi les dénigrements de moi-même, il y a l’image que je me suis faite de Dieu, des évangiles et de l’église. Là aussi, il y a à questionner et à déconstruire. La représentation que je me suis faite de Dieu, elle est faite du message d’AMOUR qu’on m’a transmis mais aussi de tous les préjugés et fausses informations qu’on m’a transmis tout en transmettant ce message d’AMOUR. Sur fond de jugement moral à deux balles : ce qui est bien, ce qui est mal ; qui est accepté et qui est rejeté. En l’occurrence, la Bible serait contre l’homosexualité, la tendance homosexuelle serait contre la loi naturelle, l’amour de personnes du même genre et les pratiques sexuelles qui vont avec seraient des abominations, des désordres structurels. Tous ces grands mots (ces grands maux!) : et puis quoi encore ?

Revenons au textes bibliques, revenons à l’Evangile. Sans chercher à hiérarchiser ou à opposer un texte à un autre – au nom de quoi on le ferait, sur quel critère meilleur qu’un autre ?

Et que reste-t-il ? “Aimez-vous les uns les autres”…”Je ne suis pas venu pour juger”…”Ne jugez pas, vous ne serez pas jugés”… ” Qu’ils soient Uns”… “Je suis venu…pour que pas un ne soit perdu”… “Je suis pour que vous ayez la vie, et la vie en abondance”…etc.

Quel drame ! Que nos préjugés d’humains limités nous fasse comprendre et appliquer de travers un message d’amour INCONDITIONNEL. Inconditionnel : ça veut dire sans conditions, sans possibilité d’exclure quelqu’un. Comment donc les disciples du Christ peuvent-ils s’exclure les uns les autres et continuer de se proclamer chrétiens ? Pire: comment donc puis-je adhérer à ce Jésus, mon ami, qui m’aime inconditionnellement et m’exclure moi-même ? Exclure une partie de moi comme non aimable, ce qui revient au même ?

Revenir de ces fausses conceptions de Dieu, de tous ces préjugés sur lesquels on s’est structuré depuis l’enfance est un travail long et douloureux. Mais il est possible et il est salvateur : il permet de se réconcilier avec soi-même, au sens de : se retrouver, se rassembler, s’unifier.

Je n’ai pas de conseils à donner, pour chacun ce chemin sera différent. Mais j’ai eu envie de partager ce dessin de David Hayward qui m’a, en son temps beaucoup aidé. Peut-être aidera-t-il l’un d’entre vous à aller plus loin vers lui-même ? Rien de notre humanité que Jésus ne connaisse pas déjà et que, pour sa part, il accepte et il aime déjà. C’est ça qui est nouveau avec Jésus : c’est fini les peurs d’être rejeté, c’est l’amour qui vient !

Dans ce dessin, le premier personnage s’excuse : ‘Tu sais, Jésus, je crois que je suis gay !”

Et Jésus, sans lui lâcher la main, de répondre : ” Dude! (c’est-à dire : mec, poteau, copain, l’ami!) je le sais (déjà) depuis bien plus longtemps que toi longtemps que toi !”

A méditer. Longtemps, souvent. Chaque fois que nécessaire.

Z. – 14 septembre 2023

Les évènements actuels, et spécialement la possibilité du déconfinement ont remis à l’honneur un phénomène assez connu appelé syndrome de la cabane ou parfois de l’escargot.

En gros, cela consiste à avoir peur de sortir de son déconfinement après avoir été contraint de s’enfermer pour des mesures de sécurité. Certaines personnes ont tellement intériorisé ce besoin de protection – peut-être parce qu’elles y étaient déjà psychiquement prédisposées – qu’elles peinent à sortir de leur coquille. Il s’agit d’un état émotionnel transitoire, et non d’une pathologie, mais qui peut se révéler parfois assez handicapant s’il n’est pas accompagné intelligemment par une prise de parole raisonnée sur ce qui se passe et un encouragement à passer à autre chose.

Ce “syndrome” n’est pas nouveau, il a été formalisé pour la première fois dans les années 1900 pour décrire la situation des chercheurs d’or aux Etats Unis, isolés dans des cabanes, tous les sens aux aguets par peur de se faire détrousser ou tuer. Il fait clairement appel à un réflexe de survie archaïque qui consiste à se protéger lorsqu’un danger extérieur inconnu et insaisissable nous entoure.

Très bien. J’arrête là l’explication. Je me disais juste en lisant différentes choses sur le sujet et étant confronté à des personnes qui exprimaient leur peur du déconfinement, de sortir dans la rue, prendre à nouveau le métro ou un train pour aller voir leurs familles, etc. que probablement beaucoup de personnes homosensibles vivent ce syndrome de la cabane depuis des années, parfois depuis l’adolescence ou l’enfance.

Quelle différence y-a-t-il en effet entre la mise de soi-même au placard, comme instinct de survie permettant de continuer à se faire accepter de sa famille, sa paroisse, son quartier, la société, et cette peur de sortir de chez soi au cas où le danger, imaginé très grand, serait encore là ?

Continuons la comparaison qui n’est pas qu’une métaphore.

Les observateurs de la psychologie nous disent que le syndrome de la cabane est transitoire et n’est pas pathologique. Tant mieux ! Non plus le faire d’être homosexuel et d’être obligé de le taire, le nier, se cacher quand c’est un instinct de survie. Sauf que l’état transitoire a duré parfois bien longtemps. Il sera facile de s’en libérer une fois pour toutes une fois le coming out* fait (un peu comme ce lieu commun qui dit que quand on sait faire du vélo, c’est pour la vie : quand on sait faire du vélo, on ne peut pas oublier qu’on sait en faire). Mais parfois les séquelles sont lourdes en termes d’image et d’estime de soi, de capacité relationnelle, et d’ouverture à un amour réel et désintéressé.

La bonne nouvelle est qu’il est possible de sortir de cet état de stupeur qui empêche d’avancer et de se dévoiler tel qu’on est. Faire les choses petit à petit, prendre le temps, aller vers soi pas à pas, sans précipiter les choses, et se faire accompagner par une personne qui pratiquant l’accueil inconditionnel, saura nous faire sentir, pour la première fois peut-être, que non seulement ce n’est pas grave d’être homosexuel mais au fond c’est même plutôt bien. Oui, vraiment, c’est très bien, puisque ça nous est adapté. Et même plus, pas seulement adapté. C’est juste que c’est nous, que c’est soi.

Se rencontrer soi et se considérer avec bienveillance. Parfois avec la présence d’un témoin amical qui confirme que ce chemin est possible, voilà la clé.

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(*): Je rappelle qu’il y a trois phases possibles dans le coming out : 1/ celui qu’on se fait à soi-même (sortir du déni, assumer qui on est pour soi), 2/ L’exprimer, le partager avec des gens de confiance (amis, famille, proches) 3/ le vivre socialement et publiquement.

Le plus important des coming out et le seul nécessaire à son intégrité psychique est le premier, les deux autres sont à décider au cas par cas si cela est opportun.

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Photo : © Guy Moigne

La lettre qui suit a été écrite par David M. Daniel, un jeune écrivain et blogueur américain après des échanges amicaux sur internet. Flatté dans un premier temps qu’on lui dise que ça n’était pas grave s’il était gay, il se rend compte dans un second temps qu’en fait il est touché et que cela a bien plus d’importance qu’il n’y paraît. Au total, c’est une belle leçon sur l’acceptation de soi-même et sur la nécessaire acceptation de l’intégralité de l’autre qu’il nous offre.

Cher Ami,

L’autre jour, nous avons eu une conversation dans laquelle tu m’as assuré que “ça n’avait pas d’importance pour toi que je sois gay”. À ce moment-là, je t’ai dit que je comprenais et que j’appréciais que tu me rassures. Tu as ensuite posé quelques questions sur les raisons pour lesquelles être homosexuel est encore aujourd’hui un si grand problème. Tu as exprimé ta vision du monde dans lequel être gay a la même importance que la couleur des yeux, et tu m’as demandé si ce n’était pas ce que je souhaitais voir arriver. Tu as également développé le spectre de la discrimination inverse et as demandé si c’était ta responsabilité de faire en sorte que quelqu’un, qui se découvre gay, se sente plus spécialement reconnu pour cet aspect que pour d’autres traits qui ont également façonné sa personne (comme ses talents ou ses réalisations).

Tous ces points étaient excellents. Je veux voir un monde où l’homosexualité n’est plus un sujet de préoccupation, et beaucoup moins de discrimination. Je ne veux pas que tu sentes que tu dois être prudent à propos de moi, ou que j’ai besoin de toi pour être sûr de me donner une reconnaissance en étoiles d’or pour mon homosexualité (bien que pour être juste, je suis gay, j’aime les étoiles d’or) à chaque fois que nous parlons. Et je ne veux certainement pas non plus que tu aies l’impression que ma communauté attend d’être mieux traitée juste à cause de notre orientation sexuelle.

Mais après y avoir pensé, et avoir réalisé combien tes mots m’ont piqué, alors qu’à la surface, ils n’auraient pas dû, j’ai enfin trouvé ce que je voulais dire. Et je suis désolé de ne pas avoir eu les mots pour te le dire plus clairement alors.

La raison pour laquelle ça me fait mal quand tu dis que “ça n’a pas d’importance” pour toi que je sois gay, c’est que tu passes à côté de ce que signifie pour moi “être gay”.

La raison pour laquelle ça me fait mal quand tu dis que “ça n’a pas d’importance” pour toi que je sois gay, c’est que tu passes, au moins avec tes mots, à côté de ce que signifie pour moi “être gay”. Oui, je veux vivre dans un monde où un garçon qui aime les garçons ce n’est pas grave, mais la vérité c’est que mes parents ne m’ont jamais envoyé à une thérapie réparatrice pour avoir des yeux noisette. Je n’ai jamais été battu à l’école pour avoir des cheveux bruns. Je ne me suis jamais senti nerveux que mon patron puisse découvrir que j’apprécie Shakespeare et me congédie au grand jour pour avoir assisté à une représentation en direct de l’une de ses pièces.

Mais j’ai connu toutes ces choses en raison de mon orientation sexuelle.

En fait, j’ai beaucoup souffert au cours des années, autant à l’intérieur qu’à l’extérieur, pour le simple fait que je préfère la compagnie intime d’autres hommes.

Et tu sais quoi? Cette souffrance m’a fait beaucoup de bien. Je sais aujourd’hui que je suis une personne plus forte pour avoir survécu à mon adolescence. Et plus que cela, j’ai une compassion profonde et permanente pour les autres qui souffrent comme moi, non seulement en raison de leur orientation sexuelle, mais en raison de toute différence que la société les oblige à cacher.

Encore plus que cela, j’apprécie en moi une certaine créativité et l’amour pour la beauté, ainsi qu’un esprit mélancolique qui fait que beaucoup de gens m’ont étiqueté bizarre ou mou quand j’étais jeune. Maintenant que je connais de nombreux autres hommes homosexuels, je sais que ces traits sont assez communs chez les autres hommes qui s’identifient aussi comme homosexuels. Je ne dis pas que tout est «génétique», mais je dirais que je semble avoir une personnalité assez normalement gay, et j’aime vraiment ces choses à propos de moi. Et toi aussi. Je le sais, parce que tu me l’as beaucoup dit.

Il n’y a pas une seule personne vivante identifiée gay qui n’a pas connu de discrimination, inégalité et peur; en raison d’une caractéristique de sa personnalité sur laquelle elle n’a aucun contrôle.

Je pourrais continuer ainsi, mais ce à quoi je veux en venir, c’est que quand tu dis que je sois gay n’a pas d’importance, j’imagine que ce que tu essaies de dire, c’est que tu te fiches de ce que je fais avec mon pénis. Et la plupart du temps, c’est là que je te trouve, et ça m’est égal de te trouver là. Mais je dois toujours te trouver là. Je dois passer de mon idée de qui je suis à ton idée de qui je suis pour recevoir ton amour. Et si tu me demandes pourquoi je dois faire un tel saut, je vais essayer de te répondre.

Donc, quand tu me demandes pourquoi éviter le sujet de l’orientation sexuelle de quelqu’un est encore un gros problème, je voudrais que tu saches qu’une autre orientation sexuelle ou de genre, dans ce pays, en ce moment, ne concerne pas seulement ce que nous aimons faire avec nos organes génitaux et c’est universellement un «gros problème» pour ceux d’entre nous qui le vivons.

Il n’y a pas une seule personne vivante identifiée gay qui n’a pas connu de discrimination, inégalité et peur ; en raison d’une caractéristique de sa personnalité sur laquelle elle n’a aucun contrôle

Et, du coup, tu ne connais pas une seule personne gay qui n’a pas été façonnée profondément par cette expérience. Je veux, très désespérément, que tu comprennes cela. Il n’y a pas une seule personne gay qui n’a pas été indélébilement influencée par son orientation. Nous avons tous une histoire de coming out (ou une histoire de placard), et beaucoup d’entre nous n’y survivent pas. Je ne veux pas jouer la victime ici, mais il est important pour moi que tu saches qu’être gay, lesbienne, bisexuel ou transsexuel ne concerne pas que moi, mais tous ceux qui sont comme moi, et le fardeau collectif de notre lutte commune.

Oui, un jour, il y aura un monde où cela ne sera pas vrai, mais nous n’y sommes pas encore. Et quand tu dis que cela n’a pas d’importance, ma réaction intestinale est ” Va te faire foutre, bien sûr que ça en a !” (“Fuck you, yes it does”).

Tu ne peux pas m’avoir sans que je sois gay. Tu n’obtiens pas ma compassion sans ma douleur, tu ne gagnes pas ma créativité sans ma vision du monde, et tu ne peux pas toucher mon essence en la séparant de ma sexualité. Dire que le fait que je sois gay n’a pas d’importance pour toi, c’est comme dire que le sucre n’a pas d’importance dans les gâteaux que tu aimes. Ce n’est pas seulement important, c’est une partie essentielle de ce que tu aimes.

Et ce que j’attends de toi, comme quelqu’un qui m’aime, c’est que tu m’apprécies à cause de toutes les parties qui me composent, non pas en dépit de celles-ci. Et plus encore, je veux avoir avec toi ce genre d’intimité où tu sais combien cette sexualité a été importante pour faire qui je suis, et où tu as l’occasion de comprendre que lorsque je m’identifie comme gay, je possède une histoire, et une communauté, et toute un ensemble d’expressions personnelles, et non simplement une préférence limitée dans le temps.

Et quand tu dis que cela n’a pas d’importance, ma réaction intestinale est ” Va te faire foutre, bien sûr que ça en a !”

Enfin, ce que j’espère vraiment, c’est que si je peux me montrer aussi vulnérable pour partager avec toi les vérités difficiles que j’ai apprises sur moi-même et l’importance de mon orientation sexuelle dans la constitution de mon identité, un jour, quand tu rencontreras des gens qui sont gay, tu te souviennes que, qu’ils le sachent ou non, une grande partie de leur étrangeté vient de leurs expériences en tant que gay. Et quand tu te diras que tu les aimes et que tu pressentiras sincèrement qu’en grande partie c’est à cause de ces expériences, tu risques de les choquer et de leur donner comme une tape sur la tête pour avancer sur ce dur voyage d’auto-acceptation que nous traversons tous, nous les êtres humains.

Un jour, j’espère que la phrase, “Ca n’a pas d’importance que tu sois gay, je t’aime pour toi” sera suffisante.

Mais pour l’instant, si tu dois encore différencier mon orientation de mon identité, je pense que “chéri, tu es un enfoiré de gay et je t’aime pour ça” est un avis beaucoup plus sûr.

Avec amour (et un accent particulier sur toutes les choses qui te rendent unique),

David

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Source texte: un article de David M. Daniel, intitulé “Why should it even matter that you’re GAY?” publié sur son blog, www.dmdaniel.com, le 26 janvier 2013.

Source photo : Jake Choi et James Chen dans le film Front Cover

Il y a un an, je décrivais une curieuse Pentecôte qui survenait en ma vie. Les mots étaient maladroits et enfermants, les impressions confuses à exprimer alors qu’elles étaient si claires dans l’instant. Suite à cet article, un lecteur m’interpellait quelques jours plus tard, m’invitant à en dire plus mais déjà le vent était passé et je ne savais plus raconter cette expérience.

Aujourd’hui, il m’en reste le souvenir d’une sorte de magma intérieur qui monte, déborde, emplit tout, et est de nature bienfaisante. Une profondeur qui se réveille, une marée montante qui submerge et berce en même temps.

Depuis que s’est-il passé? Y a-t-il des effets, des fruits ? Il m’est difficile de le dire. Il me semble que oui mais comment l’affirmer ? Ils sont parfois si ténus, si discrets.

Cet événement survenait à la faveur d’une sorte de “coming out” intérieur et d’accueil bienveillant par quelques personnes à orientation homosexuelle. Sur le deuxième point, je ne m’attarderai pas trop, il y eût moults rebondissements, pas tous heureux, en général dus à ma naïveté. Sur le premier point, par contre, il y a encore beaucoup à explorer et à partager.

Quand je parle de “coming out”, je parle de l’acceptation par soi-même à soi-même d’une partie de son être. En taisant ou en occultant mon homosensibilité, une partie de moi ne pouvait s’épanouir, se dire, se déployer. Il me semble qu’une partie de l’expérience vécue à la Pentecôte 2017 s’origine en ceci qu’une partie de moi est désormais enfin libre et mon être à pu se vivre de l’intérieur comme des retrouvailles et une unification bienfaisante.

Or, l’Esprit Saint est bien ce souffle qui vient de l’intérieur pousser vers de nouveaux horizons. Comme je l’ai expliqué dans un autre article (ici), l’Esprit-Saint est un souffle puissant qui vient nous saisir de l’intérieur. Au jour de Pentecôte, “ça se voit ou s’entend à l’extérieur,comme des langues, mais ça s’installe, ça s’assoit, à l’intérieur, comme un feu ardent.”

Aujourd’hui, je peux juste constater qu’une conviction en moi s’est épurée et renforcée. Celle que le Seigneur parle à travers ce que je suis et me demande d’aller jusqu’au bout de ce que je suis.

Ce qui suppose, antérieurement, d’accepter et assumer ce que je suis. Non pas pour le valoriser, l’imposer à d’autres ou à moi-même, mais pour glorifier Dieu dans sa grande bonté et sagesse. Il s’agit d’un acte de réception et d’émerveillement devant le don de Dieu.

Ce qui suppose et entraîne en même temps de lever les peurs d’être soi. J’ai failli écrire “d’être soi-même”, mais ce “-même”, même s’il est vrai, est dérangeant, c’est lui qui limite les choses en les conditionnant, en les voulant à son image, c’est-à-dire dans la limite de ses limites. Etre soi est plus grand, plus fort, plus inattendu que d’être soi-même. Cela dépasse, l’ego, les formes, les conditionnements. Dans le soi, surgit l’Être.

Donc, lever les peurs d’être soi. Il n’y a pas de peur à être soi là où il pourrait y en avoir à être soi-même. Mais Quelqu’un me fonde au delà de ce que je pense que je suis, au delà de ce que j’ai découvert de ce que je suis. Il suffit de se laisser Être.

Je ne peux m’empêcher de relire cette expérience en termes de pistes pastorales pour quiconque voudrait emprunter ce chemin ou devrait accompagner des personnes qui l’empruntent. Lever les peurs d’être soi-même ou d’être soi implique deux postures :

– accompagner le chemin de découverte et d’acceptation de soi
– bannir les interdits d’être ceci ou cela

Rencontrer le soi passe par cette acceptation. Toute limitation à être soi retarde ce chemin d’acceptation qui est aussi chemin de rencontre avec Dieu et capacité à s’accueillir joyeusement comme une manifestation de sa présence et de son amour (d’autres diront de sa gloire) en nos vies.

Ce chemin d’acceptation passe par le fait d’assumer ce qu’on est et devenir intègre, c’est-à-dire “intégral”, complet, l’orientation sexuelle n’étant qu’une des nombreuses dimensions de la personne humaine même si celle-ci est importante et colorée plus ou moins fortement dans la conscience de soi.

Sans préjuger de la manière de vivre que choisira chacun, ce chemin d’acceptation est nécessaire pour paraître en vérité. Paraître en vérité non devant les sociétés humaines mais devant Soi et ultimement devant notre origine, devant le Créateur.

Voilà, une partie de ce que l’Esprit de Pentecôte a travaillé en moi depuis un an. Puissent ce chemin et cet article servir à d’autres !

Z – 4 juin 2017

Source photo : humanis group

“A leur tour, ils racontèrent ce qui s’était passé sur la route, et comment le Seigneur s’était fait reconnaître par eux à la fraction du pain.” (Lc 24, 35)

M’intéressant à ce que pourrait-être une spiritualité gay (voir ici), je me suis parfois interrogé sur ce que cela changerait si on découvrait que les deux compagnons d’Emmaüs partageaient la condition homosexuelle et étaient, en fait, des compagnons de vie. Après tout, ils cheminent ensemble, vivent ensemble, accueillent Jésus dans “leur” maison… [Mais non, je plaisante ! rien dans le texte n’indique que c’était une maison commune, sinon les circonstances qui les présentent tous trois dînant ensemble en un même lieu, sans aucune mention de serviteurs, familles ou autres personnages.]

Précisons d’emblée que l’orientation sexuelle des pèlerins d’Emmaüs, quelle qu’elle soit, ne change rien au contenu de la foi enseigné par ce passage. Il n’y a pas de différence à chercher dans l’annonce de la Bonne Nouvelle. Si différence il y a, elle est plutôt dans la réception, la façon dont chacun, dans les circonstances culturelles et historiques qui sont les siennes, dans sa spécificité, va le recevoir, se laisser toucher et éclairer dans la condition qui est la sienne.

Alors, en ne cherchant pas ici la vérité historique mais le sens spirituel de ce passage, imaginons quand même que ces deux compagnons aient pu avoir une orientation homosexuelle. Et, en le recevant avec le coeur et la culture d’un chrétien homosexuel qui écoute la Parole et en attend un éclairage pour sa vie d’aujourd’hui, laissons-nous instruire.

Deux hommes, membres d’un groupe de disciples

La première chose qui me frappe est que, même si la péricope est centrée sur leur rencontre avec le Christ, ces deux hommes sont loin d’être isolés. ils font partie d’un groupe, disent-ils eux-même, dans lequel on trouve les apôtres et des femmes.

Ce groupe de disciples, nous le connaissons. ce sont les amis de Jésus, ceux qui ont en confiance en Lui, ceux qui l’ont rencontré et se sont mis à le suivre. On y trouve les apôtres mais aussi toute cette humanité qui a accueilli la Bonne Nouvelle du Salut. Peut-être y a-t-il une femme pécheresse, un lépreux guéri, un aveugle de naissance qui a retrouvé la vue, un boiteux relevé de son infirmité, un savant prudent qui cherchait la la vérité, et plein d’autres. Aussi, peut-être des personnes avec une orientation homosexuelle.

Aujourd’hui, en tout cas, pour ceux qui sont concernés par cette question, c’est le cas. Ce groupe est assez divers et spécifique en même temps pour que je comprenne que qui que je sois, j’y ai ma place. Le seul critère qui compte est la confiance et l’adhésion à cet homme étonnant qui nous parle de Dieu, Jésus, et qui semble nous réconcilier à la fois avec l’image que nous avions de Lui et, à vrai dire, avec l’idée que nous avions de notre présence en ce monde. Le sens de la vie.

Cela est toujours vrai. Peu importe qui critique, qui méprise, qui rejette, fût-ce même avec des arguments d’autorité que l’on croit à tort tirés des Ecritures ; les Evangiles attestent maintes fois que Jésus doit réexpliquer les Ecritures à tous ces bons juifs – pharisiens, sadducéens, esséniens, etc. – qui croient la connaître et en font même profession.

Seul compte l’attachement au Christ et à cette Révélation que, aujourd’hui, le Salut est venu pour nous et ce, sans conditions. Juste l’acueillir.

Donc, si je suis homosexuel, je peux être convaincu que Non seulement le Christ ne me condamne pas, ni ne me juge, mais bien plus encore qu’il m’accueille tel que je suis me demandant juste de vivre en enfant de Dieu, en vérité, dans la paix et la justice.

“Nous, nous espérions que c’était lui qui allait délivrer Israël.”

Délivrer Israël.. de quoi? Des Romains, de la dynastie royale non davidique, des grands prêtres, des pharisiens ? De la corruption, l’injustice, l’infamie? De la pauvreté, la misère, la souffrance ? Les disciples d’Emmaüs parlent de leur espoir, comment il s’est arrêté brutalement avec l’arrestation et la mise à mort de leur chef, mais on est peu renseigné sur la nature de leurs espérances déçues.

Imaginons la scène transposée aujourd’hui. Quelles seraient les espérances de personnes homosexuelles en proie à une contradiction permanente concernant leur orientation, le dédain auquel elles font face, les plaisanteries homophobes, les sourires en coin, cette condescendance envers elles sur l’air d’une tolérance envers ces “pauvres” qui ne sont pas comme les autres ? Qui est différent de qui, ça se discute, non?

Oui, il y a de quoi espérer d’être délivré. Pouvoir enfin être autorisé à être qui on est, à ne pas être jugé sur l’orientation sexuelle, tout simplement parce qu’on ne la choisit pas et qu’elle n’est en rien un critère pertinent pour déterminer qui serait plus humain qu’un autre.

Ce Jésus qui s’est montré si attentif aux fragiles et aux pauvres, ce Jésus qui en fait ses amis privilégiés, nous l’avons suivi nous aussi. Nous espérions qu’il lève enfin l’opprobre que les hommes lancent si facilement sur les autres. Nous espérions être les bienvenus, nous espérions être invités au banquet, nous attendions le Royaume dont il disait : “Voilà, il est déjà là.”

Mais ils l’ont condamné. Tué. Alors, qu’en est-il de nos folles espérances? Le système est-il toujours plus fort ?


“Il leur interpréta, dans toute l’Écriture, ce qui le concernait.”

Tentation du repli. Tentation de s’enfuir tristement et reprendre une vie monotone. Mais non, vous aviez raison d’espérer. Faut-il qu’un étranger vous le redise, vous confirme dans votre joie d’enfants émerveillés? Cet étranger, c’est chaque rencontre, chaque occasion, de ré-interroger les rêves les plus beaux et les plus fous qui ont allumé en nous le désir de vivre et d’avancer.

Alors, il est utile, oui, de relire les Ecritures à la lumière de la Résurrection et de la Promesse de Vie qui animait le petit groupe dont je parlais plus haut. Les Ecritures nous sont parfois hermétiques, susceptibles de différents interprétations, leur sens se refuse à l’orgueilleux qui aimerait les comprendre pour se sentir puissant ou s’en faire un pouvoir sur les autres. Mais, à qui reste attaché à la Promesse de Vie que Jésus a partagée avec les siens, les Ecritures restent le chemin qui dit l’Amour de Dieu.

Fort de la Résurrection du Christ, nous savons que tout homme et toute femme qu’il a accepté dans son compagnonnage est entraîné dans la même folie de Dieu qui nous veut vivants. Nous savons-mêmes que nous ne sommes pas des privilégiés, juste les premiers témoins et que si c’est vrai pour nous, c’est vrai pour toute l’humanité.

Voilà donc la Nouvelle : si j’accepte d’être aimé par Dieu, tout homosexuel que je sois, et si je ne le vis pas seulement comme la consolation qui me serait donnée pour panser mes blessures mais comme l’élan vital qui me fonde et m’entraîne en avant, je deviens à mon tour témoin de la Bonne Nouvelle pour d’autres, homosexuels ou pas. A vrai dire, je le deviens déjà pour mes frères chrétiens qui se sentent réprouvés dans leur foi à cause de leur orientation homosexuelle, et c’est déjà pas si mal, sûrement nécessaire. Mais cela l’est aussi pour tous ceux et celles qui sont perdus dans leur quête existentielle, prisonniers de leurs esclavages, blocages, manques de sens et d’amour parce qu’ils ne savent pas qu’ils sont irrémédiablement aimés. Voilà en quoi consiste la délivrance. Se savoir aimés.

Montrer que nous nous savons aimés, que la Promesse de Dieu est réalisée, voilà la Délivrance.

“Alors leurs yeux s’ouvrirent, et ils le reconnurent, mais il disparut à leurs regards. Et ils se dirent l’un à l’autre :”Notre cœur n’était-il pas brûlant en nous, tandis qu’il nous parlait sur la route et nous ouvrait les Écritures ?”

Il fallait tout cela pour en arriver là. Il fallait aux pèlerins d’Emmaüs avoir suivi Jésus sur les chemins de Palestine et d’Israël, s’être attaché à lui, lui avoir accordé leur confiance ; il fallait avoir semblé le perdre, être confrontés à leurs désillusions et leur rêves déçus, il fallait qu’il leur soit arraché en quelque sorte, pour qu’ils puissent faire l’expérience de le rencontrer à nouveau mais autrement ; il fallait tous ces renoncements pour que leur coeur soit tout brûlant à nouveau et qu’a posteriori ils sachent qu’il les avaient rejoints et confirmés dans leur appétit fondamental de vie.

L’homosexualité a pu être ressentie comme une souffrance, une blessure, une tare, que sais-je. D’abord par autrui, par la culture ambiante, mais, comme le regard des autres nous importe à l’âge où l’on se structure, par soi-même aussi. Ami qui souffre de te découvrir homosexuel, ne t’enferme pas dans le jugement de toi-même ni dans le déni, regarde seulement ce qui te rend heureux. Quand ton coeur a-t-il été tout brûlant en toi, de cette chaleur qui vient d’ailleurs tout en étant et toi, et qui t’entraîne à te savoir pour un bonheur qui et dépasse et qui t’est promis? L’homosexualité , ce n’est pas d’abord des choses sexuelles, c’est d’abord sentir au fond de soi un désir de vivre et d’être heureux et de constater qu’il s’exprime préférentiellement avec une personne du même sexe.

Si tel est le cas, si ton coeur a été brûlant, s’il tu t’es trouvé révélé à toi-même par l’amour d’une personne du même sexe et tout chaviré par cette découverte, ne crains pas. Il y a une promesse de bonheur incluse dans cette découverte-même et la question est peut-être simplement : “Maintenant , que vais-je faire de ce trésor?”

On me demandera peut-être si je ne confonds pas le fait d’avoir le coeur brûlant à cause du Seigneur et celui d’avoir le coeur brûlant parce qu’on tombe amoureux. Non, je ne confonds pas. Il restera toujours qu’on peut avoir ce genre de’expérience spirituelle en dehors de toute question liée à l’orientation sexuelle, ce qui confirme au passage que la question d’être ami de Dieu n’y est pas liée. Mais il demeure aussi que la rencontre avec le Seigneur est souvent une rencontre amoureuse. Elle n’est pas seulement la survenance d’un fait extérieur, elle est inondation de l’intérieur par une présence qui avait toujours été là mais qui ne nous était pas – pas assez – perceptible.

Cette découverte qu’on dit mystique et qui en fait est si simple n’a, en soi, rien à voir avec l’orientation sexuelle. Mais force est de constater qu’un certain nombre de croyants confrontés à leur homosexualité, fût-ce au prix du déni comme je l’ai été, structurent leur représentation de l’amour de Dieu à travers le filtre idéalisé de l’amour qu’ils s’interdisent : l’ami idéal, l’amant mystique, le Bien-Aimé. Là, dans le secret de leur coeur, l’Amour interdit peut devenir possible parce que c’est celui de l’Ami fidèle et parfait. Ce n’est ni bien ni mal, cela se passe quelquefois ainsi, c’est tout, et on n’en prend conscience que plus tard.

Pour ceux qui sont dans ce cas, ne craignez pas d’être dans la confusion. La découverte de votre orientation sexuelle étant en apparente contradiction avec votre culture et votre éducation, vous avez développé une sensibilité à l’amour de Jésus comme un ami, un frère, qui vous apportait compréhension, consolation et tendresse, vous vous êtes structuré sur cette représentation, et elle n’était pas fausse, elle était vraie. Elle correspond à la manière dont, dans votre situation très particulière (mais toute situation est particulière 🙂 ) Jésus est venu à vous.

Alors, si votre coeur était brûlant quand vous vous êtes senti aimé tel que vous étiez, avec votre orientation sexuelle, accueillez cette expérience comme confirmation de l’amour de Dieu à votre égard tel que vous êtes.

“À l’instant même, ils se levèrent et retournèrent à Jérusalem. (…) Ils racontaient ce qui s’était passé sur la route, et comment le Seigneur s’était fait reconnaître par eux à la fraction du pain.”

La découverte des pèlerins d’Emmaüs les remet en route, ils repartent à Jérusalem, ils réintègrent la communauté plus grande et diverse des croyants. Ils témoignent , eux aussi, qu’ils sont aimés du Seigneur, et ce témoignage est autant valable que celui des autres.

Pourtant, ils avaient eux-mêmes entendu les témoignages des femmes et des premiers disciples arrivés au tombeau. Ils avaient entendu, ils savaient. Mais cela ne les avait pas empêchés de repartir tout tristes vers leur village d’Emmaüs. Pourquoi? Parce que savoir et expérimenter, ce n’est pas la même chose. Ils n’avaient pas encore goûté la présence du Ressuscité, il n’avaient pas encore expérimenté la Résurrection en leur vie.

Ami chrétien, qui te sens peut-être perturbé par la découverte ou l’acceptation de ton homosexualité ne perds pas courage. Apprends que le Seigneur Ressuscité ne pourra te visiter et te confirmer en ton être que si tu sais y demeurer toi aussi. Il y a là une source inépuisable d’amour qui s’écoule d’elle-même et donne la force de courir rejoindre le reste de l’humanité, à commencer par sa propre humanité.

Un mot encore sur la fraction du pain – puisque c’est à la fraction du pain qu’ils le reconnurent. Bien sûr, l’Eglise y voit une annonce eucharistique, ce qui laisse imaginer soit que les disciples étaient présents lors de la dernière Cène, soit qu’elle leur avait déjà été racontée (c’est bien rapide!), soit que l’Evangéliste qui écrit postérieurement aux événements ait été influencé par les rites déjà existants de la première communauté lorsqu’il a rédigé ce passage. Il en ressort que même si ce repas ne pouvait pas être une Eucharistie, au sens de messe telle qu’on la pratique aujourd’hui, les compagnons d’Emmaüs ont vécu, expérimenté, une révélation forte lors de la fraction et du partage du pain effectuée par l’étranger.

Je dis fraction et partage du pain, parce que même si la formule consacrée est “fraction du pain”, l’usage que nous montre l’Evangile et qui s’est perpétué jusqu’à nos jours est bien que le pain est rompu pour être partagé. SI leurs yeux s’ouvrent à ce moment-là, c’est que le message est très clair : ce pain qui est béni de Dieu, ce pain qui est nourriture et qui donne la vie, c’est pour le partager. Cette expérience de ressentir de l’intérieur que la Vie est plus forte que la mort, que mon orientation sexuelle n’est ni une condamnation ni un empêchement à avancer, est une invitation à reprendre la route, à ne pas se replier, à vivre en Ressuscité, en témoin de l’Amour.

En conclusion, que changerait le fait que les compagnons d’Emmaüs soient homosexuels? Sur le contenu de la foi, rien. Mais sur la posture, beaucoup. Ils nous montrent qu’on peut être homosexuel, ne pas être focalisé sur cette spécificité – comme ils ne le sont pas non plus sur le fait qu’ils sont d’Emmaüs, par exemple – et ne pas y trouver raison de ne pas recevoir, accueillir, partager, avancer.

C’est un formidable passage d’Evangile pour fortifier la confiance et l’espérance en notre Ami Jésus. C’est Lui qui vient à eux, qui vient à nous. Nous pouvons hésiter, douter, questionner, ce n’est pas grave, il y trouve encore sa place. La seule chose nécessaire est d’être fidèle à soi-même, aux appels de sa jeunesse, à la promesse de vie qui est est présente en chacun de nous et que les conditions particulière à chacun n’ont pas à empêcher d’advenir.

Au contraire. Dieu aime la diversité. Il me semble qu’une des raisons de notre présence sur terre est que Dieu aime la diversité, aime composer avec la diversité, aime s’expérimenter lui-même dans la diversité, être le lien, la force et l’amour qui rejoint et relie toute cette diversité. Il le fait à travers nous, à travers l’humanité. il expérimente l’Amour (au sens d’une expérience essentielle, pas d’une expérimentation, hein !) par l’humanité. Nous sommes les porteurs et les garants de cette “expérience” de vie. Et nous en sommes possiblement aussi le principal obstacle. Celui que nous nous mettons les uns aux autres, mais aussi celui que nous nous mettons à nous-même en premier quand nous ne croyons pas que Dieu nous aime au point que cette diversité lui plaît, qu’il la veut, la cautionne…l’a créée.

Z – 30 avril 2017

source photo : oeuvre de Yisrael Dror Hemed (2016).