Il parle
de sa “vie de patachon”.
Il dit
qu’il n’en peut plus
de cette “vie de patachon”.
Et je sens le désarroi,
le désespoir, l’immense tristesse
de cet homme qui me confie sa vie.
Pas seulement.
Le ras-le-bol aussi.
Parce que
même si l’expression peut paraitre drôle
et même tournée en dérision,
comme dans la chanson de Bourvil et Guétary,
non, la vie de patachon,
ça n’est pas drôle du tout.

Elle est bizarre cette expression,
à la fois futile et dérisoire,
prête à l’emploi
pour la comédie, la dérision, la vie de bohême librement choisie,
et pour la vie chaotique, brinquebalante, la vie pas choisie, la vie subie
quand on prend conscience de qui on est vraiment sur le tard
et que cette conscience vient taper à la fenêtre
comme pour dire : “hey, je suis là, ne m’oublie pas !
J’ai besoin que tu fasses quelque chose de moi.”
Oui mais quoi ? J’ai déjà ma vie.
Ma vie d’hétéro, ma vie d’homme marié.
Ma femme, mes enfants, mes petits enfants.
Ah ça, pour sûr qu’elle est la vie
puisque je l’ai transmise, partagée, vécue !
Et là, boum, patatrac, zim bam boum
de révélation, de bousculation, de révolution
que je serais homosexuel. Oups, le gros mot : “homosexuel !”
Qu’est-ce qui m’arrive, qu’est-ce qui se passe, qu’est-ce qui tourne pas rond avec moi
pour que je me retrouve attiré par les gens du même genre que moi
et que je ne puisse plus le nier, le dénier, le renier,
que ça s’impose à moi comme une évidence,
un torrent qui emporte tout, qui voudrait faire table rase
alors que j’ai cette vie, ces années de vie hétéro,
tranquillement assumée, croyais-je ?
Bim bam boum, zoum, pling et baf !
Ouh ça fait mal ! C’est quoi ce truc
qui surgit et emporte tout,
ce torrent qui s’ouvre et inonde
et mon coeur et ma vie et mon esprit ?
Je chavire, je sais plus où je suis, qui je suis,
je comprends plus rien.
Ah je peux plus vivre cette vie d’avant
qui paraît tout à coup si fade, si vide, si sans moi
pour autant que j’y ai jamais été.
Y ai-je été ? Mais oui pourtant:
ma femme, mes enfants, mes petits-enfants,
ces nuits d’amours, ces promesses échangées, ces mots d’amour aussi, peut-être.
Mais que m’arrive-t-il ?
Je n’en peux plus de cette vie
de patachon.

Patachon.
Patachon ? Patachon…ce drôle de mot
qui vient du fond de la langue française,
de la culture transmise,
Patachon, non, c’est pas drôle,
on peut bien en faire une vie de bohême,
c’est d’abord une vie brinquebalante, chahutée,
à aller de-ci de là sans but précis,
faute de savoir où, pourquoi, comment, vers où aller.
Et pourtant très drôle, si l’on veut,
l’origine de cette expression “vie de patachon”.
Ca vient de la patache, cette diligence populaire sans confort
– autant dire sans ressorts –
qui fait que le voyage est douloureux et désagréable
brinquebalé comme on peut pour aller où on essaie d’aller.
Prix à payer pour aller : aucun confort, que de l’inconfort.
Avant même cela, la patache, c’était l’embarcation instable des gabelous
qui sur la Loire cherchaient à piéger les contrebandiers du sel.
Inconfort, oh oui! Et torpeur, et peur, et risque sans cesse de se retourner.
Nuits terribles, sommeil impossible, veilles agitées.
Vie de patachon.
Vie brusque et injuste.
Vie d’inconfort déjà.
Qu’ai-je fait pour mériter ça ?
Qui suis-je pour en être arrivé là ?
Vie de patachon…

Oh ma mémoire !
Oh, réveille-toi pour lui dire,
réveille-toi pour le lui partager
à cet ami qui sombre de la même manière que toi,
souviens-toi du moment rude où les digues intérieures rompaient,
où explosait en toi plus qu’elle ne jaillissait
la révélation si longtemps contenue que tu étais attiré par les hommes
– eh oui par les hommes, malheur à toi ! –
alors que tu as construit ta belle vie d’hétéro, bien pensant, passe-partout.
Arrrrgh ! Misère qui suis-je, qu’est-ce qui se passe ?
Et cette distance, tout à coup avec toi-même, avec ta vie d’antan qui était celle d’hier.
Comment continuer à vivre comme avant quand on n’est plus comme avant ?
Le monde ne le sait pas encore mais toi tu le sais.
Toi, tu le sais !
Cette vie tout à coup qui paraît fade, monotone, futile, inappropriée, inadaptée.
Gay, tu es gay, ah ah la belle découverte.
Attends, attends, c’est pas tout :
tu ne l’es pas d’aujourd’hui, tu l’as toujours été !
Arrrrgh, malheur, que vais-je faire de ça !
Cette vie dans laquelle je suis empêtré,
que je ne peux pas renier
et qui pourtant n’est déjà plus la mienne.
Et je dis quoi aux gens que j’aime et qui m’aiment ?
Je dis quoi, je fais quoi ?
Je fais semblant ?
Je fais semblant, oui, un temps.
Je fais semblant.
Au moins le temps
de me poser,
de comprendre,
d’évaluer ce qui se passe.

Je vis, je vis, je survis,
je SUR-vis, faut bien,
le temps de, le temps de m’adapter,
je survis
cette vie de… patachon.

Je me souviens
avoir exprimé mon désespoir
exactement avec la même expression.
Je me suis présenté un jour
devant cet homme admirable et bienveillant
qui était mon accompagnateur spirituel
et je me suis écrié, comme toi, ami, :
” Je n’en peux plus de cette vie de patachon”.
Ce n’était pas un cri dépressif ou suicidaire,
c’était juste le constat de mon incongruence.
Je ne peux pas continuer à faire semblant d’être qui je ne suis pas
et pourtant je me retrouve coincé à le faire au quotidien.
Le prix à payer est trop dur.
J’ai besoin d’être moi.

Non, en vérité, tout ça, je ne l’ai pas dit sur le moment.
Il m’a fallu du temps pour l’élaborer.
J’ai juste dit que j’en avais marre
de cette vie de patachon.
Et lui, je l’ai bien vu, a été peiné pour moi.
Il a trouvé que je me dévalorisais trop.
Il m’a affirmé très clairement
que ma vie n’était pas une vie de patachon,
parce que je n’étais pas Patachon.
J’étais moi,
avec un chemin à trouver.
Et que cela allait prendre du temps.
Mais que j’y arriverai.
Parce que le chemin de Zabulon
n’était pas le chemin de Patachon.
Ca m’a fait sourire.
Une part de moi était encore sceptique
mais j’ai bien senti qu’une autre partie de moi
voulait y croire, y croyait déjà.

J’aime bien cette image de la patache, cette diligence inconfortable.
On peut choisir de la prendre pour partir à l’aventure, à la bohême, sans un sou,
ou on peut la subir le temps du voyage qui n’est qu’un passage d’un lieu à un autre.
Dans tous les cas, la vie de patachon, c’est celle qui nous transporte d’un état à un autre.

Je ne sais pas faire une théorie sur ce sujet, une théorie qui vaudrait pour chacun.
Mais j’ai déjà vécu ce sentiment que tu exprimes et j’étais, comme toi, perdu.
Je ne savais pas quoi faire, je ne savais pas s’il y avait quelque chose à faire.
Mais le voyage était déjà commencé.

Fais-toi confiance.
Car la vie a une puissance insoupçonnée
pour nous rendre authentiques.
Fais-toi confiance, ami.
C’est juste que le voyage est déjà commencé.

Z – 15/05/2025

“La vie de bohême”…il existe peu de versions audiovisuelles du célèbre duo de Bourvil et Georges Guétary, extrait de l’opérette “La route fleurie”. Voici une reprise récente (2012) par les Roucoulele Brothers. Pour ceux qui sont attachés à la version originale, vous pouvez cliquer ici pour retrouver une version originale de qualité hélas assez médiocre issue des archives de l’INA.

Illustration : visage du Christ disloqué ( la vie de patachon, indice que ça tient plus 🙂 ): diverses sources sans mention de l’origine dont ausdemnorden.tumblr.com

Plus sur l’expression “vie de patachon” ? C’est ici, avec le projet Voltaire

Etonnante coïncidence. Avoir enterré le pape François hier, samedi, et recevoir ce jour, dimanche du temps pascal, ce texte des Actes des Apôtres :

Tous les croyants, d’un même cœur,
se tenaient sous le portique de Salomon.
Personne d’autre n’osait se joindre à eux ;
cependant tout le peuple faisait leur éloge ;
de plus en plus, des foules d’hommes et de femmes,
en devenant croyants, s’attachaient au Seigneur.
On allait jusqu’à sortir les malades sur les places,
en les mettant sur des civières et des brancards :
ainsi, au passage de Pierre,
son ombre couvrirait l’un ou l’autre.

(Act,5,12b-15)

L’ombre bienfaisante de saint Pierre…. Il ne faudrait pas y interpréter une volonté de légitimer l’institution qui serait bonne quoi qu’elle fasse. L’actualité récente qui met au jour nombre d’abus réalisés au sein de l’institution suffit à en témoigner.

Pauvre Pierre. Si lent à croire, si résistant parfois, si têtu et si attachant en même temps quand il est acculé à choisir entre celui qui bouleverse sa vie et toutes ses objections, assez sages finalement, fruits de son expérience et du principe de réalité. Oui mais… Si, ultimement, il faut choisir entre le bien et ta peur que ça t’attire des ennuis, que ce soit difficile, que tu sois critiqué, malmené, tu fais quoi ? Tu me choisis toujours, brave Pierre, dis ?

Ben oui !

Comment faire autrement ? Tu es le bien absolu, tu as bouleversé ma vie. Tu es passé le long du lac, tu m’as appelé, je t’ai reconnu. Je me suis attaché à toi. Oh oui, comme je suis attaché à toi ! Je ne puis plus me passer de toi. Tu es le bien. Tu es la vie. Tu es l’avenir. Ne pas te choisir, c’est mourir.

Te choisir. Encore et encore. Et maintenant que tu es parti, me laisser envahir par ton Esprit, l’Esprit qui te fait vivre et qui est le bien absolu.

Et voilà qu’avec tes amis, nous ne formons plus qu’uns au point que les autres hésitent à nous approcher. Et voilà que tu produis en nous ce que tu réalisais devant nous durant ton existence terrestre.

Le bien est contagieux. Une fois que nous l’avons accueilli sans réserves, il se déploie sans encombres.

Le bien est guérisseur.

Le bien est restaurateur d’humanité.

Le bien est contagieux.

Quand bien même il ne serait qu’un ombre sur notre vie,
il est puissance de vie
qui aide à se relever.

Une ombre, certes.
Skia, en grec.
Une ombre, un reflet, une esquisse.
Pas vraiment complètement le Bien absolu
Mais déjà sa lumière bienfaisante projetée sur nous,
la préfiguration d’un plus grand bien encore à venir (col 2,17).
Ce n’est plus l’ombre de la mort (Lc 1, 79),
C’est l’ombre sous laquelle on peut se réfugier et profiter de la fraîcheur (Mc 4,32).

Alors je me demande : m’est-il arrivé d’expérimenter que le bien est contagieux ?

M’est-il arrivé d’expérimenter que malgré moi, sans y penser, ma présence, mes paroles, mes actes fassent du bien à autrui ? Il me semble bien connaître un peu cette expérience, en avoir eu des échos, des témoignages parfois. Comme un peu tout le monde, non ? Mystère insondable de l’amour qui se déploie sans bruit et force à l’humilité puisqu’il s’est fait comme sans moi volontaire mais à travers moi.

Si j’explore plus loin encore ce fil, je vois que c’est à chaque fois que j’approche l’authenticité que cela provoque des changements dans l’autre. Quand il n’y a pas de masques, pas de rôles. Juste quand j’arrive, un peu, à être moi et que ce moi, humain, ayant baissé les armes de la séduction ou de la justification, accepte juste d’être ce qu’il est. Alors, un autre humain, parfois, se sent touché, se sent rejoint et cela lui fait du bien. Il est comme invité lui aussi à se déployer, libéré des regards, oppressions ou conditionnements qui l’entravaient. Invité à son tour à être lui-même. Et c’est bien.

L’ombre du bien…

Me viennent, de manière un peu incongrue, les accents nostalgiques de la chanson de Bourvil dans son interprétation du bal perdu et cette envolée, subtile, discrète, lumineuse du dernier refrain, malheureusement si triste parce que dite au passé : « et c’était bien… »

Le bien, ce qui fait du bien, se reconnaît instantanément. Comment ne pas le choisir ? Et s’il vient à disparaître, il peut provoquer cette nostalgie émouvante qui dévoile des sentiments authentiques. Nostalgie de l’amour perdu, ou bien de la sécurité, de l’assurance ou de toute autre composante essentielle au déploiement humain. Bref, nostalgie du bien perdu, nostalgie si souvent évoquée dans la Bible, de l’alliance perdue, de la terre et de l’unité du peuple. Désir de revenir, encore et encore à ce qui était bien. Sauf que la foi chrétienne nous invite à ne considérer le passé que comme promesse continue du temps de Dieu, elle nous invite à nous porter vers le présent et l’avenir. Eternel présent de Dieu.

Alors quittons justement la nostalgie et passons au présent. Bien que ma réflexion ici soit générale, je voudrais m’adresser spécifiquement aux personnes homosensibles qui sont encore en lutte avec cette dimension de leur être comme si ce n’était pas sûr…que ce soit bien. Il n’y a pas d’autre moyen d’accéder à soi-même que de s’accueillir tel qu’on est. Il est un moment où il faut découvrir que ce ne sont pas aux autres de dire qui nous sommes, quels que soient ces autres : famille, amis, clans, société et quelles que soient leurs références à un passé qui aurait été mieux qu’aujourd’hui. Je ne peux pas être en lutte avec moi-même, avec une partie constitutive de moi-même, et pouvoir me déployer de manière unifiée. Et ça, ça se passe aujourd’hui.

Cette découverte se fait parfois, pour certains, dans la rébellion, la revendication, la provocation. Pourquoi pas ? Mais alors le combat intérieur n’est pas terminé. Elle peut aussi se faire aussi dans la discrétion d’une acceptation interne, dans une conscience intègre qui, affranchie des obligations de rendre compte, n’a pas besoin de se justifier.

Toute parole juste de Jésus alors même qu’il ne rencontre pas les personnes concernées (le fils de la veuve, le serviteur aimé du centurion), le bout du manteau de Jésus, l’ombre de Pierre… tout est performatif du moment que c’est habité d’une intention droite et juste portée par un bien authentique.

Toi qui es gay et te crois éloigné de Dieu ou condamné par lui pour cette raison, s’il te plaît, passe sous l’ombre de Pierre et de ses amis, cette ombre éclatante de lumière qui configure ton humanité sans aucun jugement.

Tu es tel que tu es, tu es un humain. Il n’y a rien en toi qui puisses repousser Dieu. Il y a juste d’autres humains qui sont loin d’avoir compris à quel point le Christ assume toute humanité et qui voudraient te configurer comme ci ou comme ça. Sous l’ombre de Pierre, qui est je le redis la projection du bien – lumière éclatante reçue du Christ, il n’y a pas de jugement. Tu fais partie de l’humanité intégralement.

L’ombre de Pierre…

Merveilleuse ombre qui vient annihiler l’ombre de la mort.

Le bien qui guérit de toute maladie.

Le bien en action.

Z – 27/4/2025

source photo : everydayhealth.com

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Les commentaires reçus à propos de ma dernière publication me rendent perplexe. Je comprends les encouragements à me dévoiler et à m’assumer. Oui, je comprends vraiment. Mais ce n’est pas si simple.

Comment expliquer cela ? Je ne cherche pas à être reconnu comme gay ; je le suis, c’est entendu, mais je ne suis pas que ça. Est-ce que m’afficher officiellement comme homosexuel résoudrait comme par magie mon mal être et me permettrait d’être heureux ? C’est, hélas, bien plus compliqué que cela. Avoir eu du mal à accepter et à assumer mon homosexualité n’est qu’un élément parmi d’autres de ma complexe personnalité.

C’est de m’accepter et de m’assumer tout court dont j’aurais besoin, l’homosexualité n’étant qu’une des facettes de ce dilemme terrible. Une illustration, un bon exemple. Pas le problème de fond.

Ce n’est pas que sur l’orientation sexuelle que je me cache, c’est dans tellement d’autres domaines ! Bien sûr, ça ne se voit pas. Je (me) suis autoconditionné à donner le change, à me le donner à moi-même. Je peux briller dans tel ou tel domaine, je peux m’investir à un point que l’on me trouve doué ou talentueux, je me peux me disperser dans de multiples directions, je peux même aider les autres, les soutenir, leur permettre de faire un pas de plus au service de leur développement et de leur épanouissement, et tout cela me réjouit bien entendu mais ne me comble pas. Ce ne sont que des fuites. Tout, n’importe quoi, si possible assez brillant pour m’apporter de la reconnaissance ou de l’auto-reconnaissance, plutôt que sentir à nouveau cette connexion vertigineuse à la possibilité du vide, du néant, qui entraînerait vers rien.

Ek-sister, sortir de moi. Vite, produire quelque chose à quoi se cramponner du moment que cela me sort de ce gouffre qui semble vouloir m’aspirer.

Cette expérience vécue bien longtemps avant que je ne sois éveillé à la sexualité et à une préférence affective ou sexuelle est première (j’y fait allusion dans un écrit lointain me semble-t-il, j’avais 6ans et demi). L’homosexualité n’est qu’un danger supplémentaire d’être jugé, rejeté, abandonné. Elle a été une méga question dans ma vie, elle l’était au moment où j’ai créé ce blog, elle ne l’est plus.

La seule question qui m’occupe est que je n’arrive pas à m’aimer moi-même. Et quand bien même un homme viendrait m’aimer, je ne saurais probablement pas dire si je me laisserais aimer par besoin de l’être et sans aimer à mon tour ou si je fuirais, autoconvaincu que c’est n’importe quoi, que l’échange réciproque parfait n’existe pas.

C’est terrible, cela se fait malgré moi. Il y a quelque chose d’archaïque en moi – une part de moi – qui veut sans cesse me protéger de la prochaine fois où l’on pourrait me faire sentir que je ne suis rien, que je n’ai rien à faire ici, que je pourrais disparaître alors que – réflexe salutaire de survie, mais à quel prix ! – je ne veux pas me laisser aspirer par ce néant. Je vous passe les détails mais cela se traduit globalement par l’accumulation de protections instinctives « au cas où » : prendre du poids au cas où l’on viendrait à manquer, tout savoir d’un sujet au cas où je serais pris en défaut de savoir, savoir faire moi-même au cas où les collaborations seraient défaillantes. Etc. Etc.

Dans le magma de mon existence, la question homosexuelle n’est finalement qu’une question parmi d’autres. Je ne suis pas homosexuel. Je suis un être humain, qui se trouve attiré affectivement par les hommes, qui a peur d’être parce qu’un jour – trop tôt, bien trop tôt ! – on lui a fait sentir qu’il pourrait ne pas être.

J’afficherai qui je suis quand je serais capable d’afficher tout qui je suis. C’est la seule chose qui vaille désormais. Le pire, c’est que je n’ai rien de honteux à cacher. Juste, j’ai peur d’exister. Peur du conflit, du rejet et de tout ce qui pourrait y ressembler ou y conduire. L’art de se paralyser soi-même.

Aussi, je remercie ceux qui m’encouragent au dévoilement et qui, probablement, pour ce qui les concerne tirent avantage de pouvoir vivre librement leur homosexualité. Mais comment fait-on pour rassurer et apprivoiser un être tapi au fond de sa tanière et qui a peur de sortir ? L’injonction ou l’appel de l’extérieur : « bon allez, viens, quoi ! sors de là » ne servent à rien. Soit il faut que je trouve la force intérieure de me lever et de sortir – j’y travaille ! – soit quelqu’un de bienveillant et attentionné – c’est une illusion, un rêve, probablement – saura me rejoindre, me prendre dans ses bras et me ramener avec lui.

Je comprends que cela puisse être désespérant pour ceux qui ont déjà fait ce chemin ou qui sont doués de pouvoir faire ces aller-retours facilement. Ce n’est pas mon cas. Merci en tout cas de me permettre d’approfondir ainsi cette question. Cela n’est certainement pas inutile.

Z- 26/01/2025

Photo : Franck sur un un-homme-nu.com

Voilà un homme qui me confie qu’il est attiré par les hommes. Il le vit comme un calvaire, une abomination, il se déteste pour cela. Il prie, il implore, il demande pardon, croit être délivré et retombe dans son penchant… Désespoir.

Mon blog lui fait du bien, semble-t-il. Et pourtant, il repousse de toutes ses forces cette dimension homosexuelle qui l’habite comme si elle lui était étrangère et qu’on pouvait l’extirper.

J’ai vécu cela tellement longtemps ! Durant toute mon adolescence et une grande partie de ma vie d’adulte… Alors je comprends et j’assiste impuissant à cette lutte intérieure angoissante et fatigante. Il faut du temps pour repérer ces forces obscures qui s’agitent en soi, pour en comprendre en les enjeux, accepter qu’elles ne sont ni bonnes ni mauvaises, qu’elles sont moi. Moi en conflit avec moi-même sur fond de non acceptation de qui je suis vraiment.

Et pourquoi je ne m’accepte pas ? Pourquoi je vais imaginer que l’orientations sexuelle, le fait d’avoir des fantasmes sexuels avec quelqu’un du même genre, de me masturber peut-être avec ce genre de scénarios, ou, même que de m’attacher affectivement à quelqu’un du même sexe, ce serait mal, péché, tentation, force du mal, ou que sais-je encore ? Cette conception de moi, ou plus exactement cette non-compréhension que ce conflit m’appartient dans toutes ses dimensions, a conduit à des imbécilités comme la mise en place des thérapies de conversion, heureusement aujourd’hui interdites par le droit ET par l’Eglise, mais aussi à des exorcismes, des prières de libération, etc.

Mais quoi, expulser une partie de moi ? Me libérer d’une partie de moi ? Quel non sens ! Ah non alors, ce ne serait pas moi… Ce serait le diable, le malin qui viendrait me tenter alors que Dieu lui m’appelle à la sérénité, la paisibilité, une hétéro-normalité paisible et tranquille, et qui serait, dans mon cas, aseptisée, anesthésiée, sans couleurs, sans mouvements, sans vie, tellement je ne suis pas attiré sexuellement par les femmes…

En réalité, ce conflit intérieur est bien entre une partie de moi qui souhaite être heureuse, reconnue socialement, non rejetée du club des humains et une autre partie de moi qui me fait peur, qui me fait penser que le monde s’écroulerait si je l’acceptais car cela voudrait dire que je ne suis pas normal, que je suis malade, fou, différent, étrange…Tout ce qui fait qu’on pourrait me rejeter, m’abandonner et qu’alors je préfère rejeter comme dangereux, comme une porte vers un inconnu qui fait peur. TERRIBLEMENT peur ! A la manière d’une peur archaïque d’enfant qui craint d’être englouti dans un grand vide. Qui a peur de mourir. Qui veut être aimé. Et qui va s’imaginer que pour être aimé, pour ne pas mourir, il faut donc être dans la norme.

Moi, je ne suis pas malade, je ne suis pas anormal, je ne suis pas différent, je veux être aimé, accepté, accueilli comme tout le monde, j’en ai un besoin tellement vital que c’est sûr : JE NE PEUX PAS être homosexuel !

Pas besoin d’être dans une famille homophobe pour assimiler et faire siennes ce genre de convictions qui conduiront au déni et au refoulement de cette part de soi. Non pas besoin ! Je dois rendre justice à ma famille que jamais je n’ai entendu une remarque haineuse envers les personnes homosexuelles dans ma famille. Dans mon cas, c’était plus un silence gêné et si le sujet venait dans une conversation, un haussement d’épaules pour dire “c’est comme ça” et une sorte de tristesse en évoquant ces gens qui sont “différents”.

Dans mon cas, pas besoin de propos homophobes mais une peur. Une si grande PEUR d’être rejeté si j’ouvrais la porte à cette homo-sensibilité que j’ai sentie très tôt en moi. Non, pas question d’être différent ! C’est trop dangereux ! Et si on me rejetait?

Le déni peut se nourrir d’une homophobie bien plus subtile, celle de la société, de la religion, des églises. Très tôt j’ai intégré que ça ne se faisait pas (ou plus exactement que ce n’était pas permis, ce que je confondais à l’époque), que ce n’était pas acceptable, que ça ne pouvait que créer des ennuis. Alors comment accepter cette part de moi quand on y voit que des inconvénients et que notre petit être d’enfant a la prescience que pour survivre il ne faut pas être rejeté, qu’il faut se conformer, entrer dans le moule ? La pire des violences, peut-être, est celle qui est silencieuse car elle dure ; on s’y habitue, et plus on s’y habitue, plus elle dure, plus elle s’enkyste loin dans notre mémoire et plus il sera difficile d’y revenir. De revenir à cette part de moi oubliée et pourtant bien réelle.

Alors revenons un instant à ce conflit intérieur entre moi et moi. Il y a une partie de moi qui est bien éduquée, qui est polie et conformiste et ne veut pas de vagues. Et il y a une partie de moi que j’ai rejetée, niée, refoulée, qui est tapie au fond de moi, blessée, souffrante, en colère peut-être, de ne pas avoir été reconnue, de ne pas avoir pu se déployer, de ne pas pouvoir exister.

Parmi les dénigrements de moi-même, il y a l’image que je me suis faite de Dieu, des évangiles et de l’église. Là aussi, il y a à questionner et à déconstruire. La représentation que je me suis faite de Dieu, elle est faite du message d’AMOUR qu’on m’a transmis mais aussi de tous les préjugés et fausses informations qu’on m’a transmis tout en transmettant ce message d’AMOUR. Sur fond de jugement moral à deux balles : ce qui est bien, ce qui est mal ; qui est accepté et qui est rejeté. En l’occurrence, la Bible serait contre l’homosexualité, la tendance homosexuelle serait contre la loi naturelle, l’amour de personnes du même genre et les pratiques sexuelles qui vont avec seraient des abominations, des désordres structurels. Tous ces grands mots (ces grands maux!) : et puis quoi encore ?

Revenons au textes bibliques, revenons à l’Evangile. Sans chercher à hiérarchiser ou à opposer un texte à un autre – au nom de quoi on le ferait, sur quel critère meilleur qu’un autre ?

Et que reste-t-il ? “Aimez-vous les uns les autres”…”Je ne suis pas venu pour juger”…”Ne jugez pas, vous ne serez pas jugés”… ” Qu’ils soient Uns”… “Je suis venu…pour que pas un ne soit perdu”… “Je suis pour que vous ayez la vie, et la vie en abondance”…etc.

Quel drame ! Que nos préjugés d’humains limités nous fasse comprendre et appliquer de travers un message d’amour INCONDITIONNEL. Inconditionnel : ça veut dire sans conditions, sans possibilité d’exclure quelqu’un. Comment donc les disciples du Christ peuvent-ils s’exclure les uns les autres et continuer de se proclamer chrétiens ? Pire: comment donc puis-je adhérer à ce Jésus, mon ami, qui m’aime inconditionnellement et m’exclure moi-même ? Exclure une partie de moi comme non aimable, ce qui revient au même ?

Revenir de ces fausses conceptions de Dieu, de tous ces préjugés sur lesquels on s’est structuré depuis l’enfance est un travail long et douloureux. Mais il est possible et il est salvateur : il permet de se réconcilier avec soi-même, au sens de : se retrouver, se rassembler, s’unifier.

Je n’ai pas de conseils à donner, pour chacun ce chemin sera différent. Mais j’ai eu envie de partager ce dessin de David Hayward qui m’a, en son temps beaucoup aidé. Peut-être aidera-t-il l’un d’entre vous à aller plus loin vers lui-même ? Rien de notre humanité que Jésus ne connaisse pas déjà et que, pour sa part, il accepte et il aime déjà. C’est ça qui est nouveau avec Jésus : c’est fini les peurs d’être rejeté, c’est l’amour qui vient !

Dans ce dessin, le premier personnage s’excuse : ‘Tu sais, Jésus, je crois que je suis gay !”

Et Jésus, sans lui lâcher la main, de répondre : ” Dude! (c’est-à dire : mec, poteau, copain, l’ami!) je le sais (déjà) depuis bien plus longtemps que toi longtemps que toi !”

A méditer. Longtemps, souvent. Chaque fois que nécessaire.

Z. – 14 septembre 2023

Les évènements actuels, et spécialement la possibilité du déconfinement ont remis à l’honneur un phénomène assez connu appelé syndrome de la cabane ou parfois de l’escargot.

En gros, cela consiste à avoir peur de sortir de son déconfinement après avoir été contraint de s’enfermer pour des mesures de sécurité. Certaines personnes ont tellement intériorisé ce besoin de protection – peut-être parce qu’elles y étaient déjà psychiquement prédisposées – qu’elles peinent à sortir de leur coquille. Il s’agit d’un état émotionnel transitoire, et non d’une pathologie, mais qui peut se révéler parfois assez handicapant s’il n’est pas accompagné intelligemment par une prise de parole raisonnée sur ce qui se passe et un encouragement à passer à autre chose.

Ce “syndrome” n’est pas nouveau, il a été formalisé pour la première fois dans les années 1900 pour décrire la situation des chercheurs d’or aux Etats Unis, isolés dans des cabanes, tous les sens aux aguets par peur de se faire détrousser ou tuer. Il fait clairement appel à un réflexe de survie archaïque qui consiste à se protéger lorsqu’un danger extérieur inconnu et insaisissable nous entoure.

Très bien. J’arrête là l’explication. Je me disais juste en lisant différentes choses sur le sujet et étant confronté à des personnes qui exprimaient leur peur du déconfinement, de sortir dans la rue, prendre à nouveau le métro ou un train pour aller voir leurs familles, etc. que probablement beaucoup de personnes homosensibles vivent ce syndrome de la cabane depuis des années, parfois depuis l’adolescence ou l’enfance.

Quelle différence y-a-t-il en effet entre la mise de soi-même au placard, comme instinct de survie permettant de continuer à se faire accepter de sa famille, sa paroisse, son quartier, la société, et cette peur de sortir de chez soi au cas où le danger, imaginé très grand, serait encore là ?

Continuons la comparaison qui n’est pas qu’une métaphore.

Les observateurs de la psychologie nous disent que le syndrome de la cabane est transitoire et n’est pas pathologique. Tant mieux ! Non plus le faire d’être homosexuel et d’être obligé de le taire, le nier, se cacher quand c’est un instinct de survie. Sauf que l’état transitoire a duré parfois bien longtemps. Il sera facile de s’en libérer une fois pour toutes une fois le coming out* fait (un peu comme ce lieu commun qui dit que quand on sait faire du vélo, c’est pour la vie : quand on sait faire du vélo, on ne peut pas oublier qu’on sait en faire). Mais parfois les séquelles sont lourdes en termes d’image et d’estime de soi, de capacité relationnelle, et d’ouverture à un amour réel et désintéressé.

La bonne nouvelle est qu’il est possible de sortir de cet état de stupeur qui empêche d’avancer et de se dévoiler tel qu’on est. Faire les choses petit à petit, prendre le temps, aller vers soi pas à pas, sans précipiter les choses, et se faire accompagner par une personne qui pratiquant l’accueil inconditionnel, saura nous faire sentir, pour la première fois peut-être, que non seulement ce n’est pas grave d’être homosexuel mais au fond c’est même plutôt bien. Oui, vraiment, c’est très bien, puisque ça nous est adapté. Et même plus, pas seulement adapté. C’est juste que c’est nous, que c’est soi.

Se rencontrer soi et se considérer avec bienveillance. Parfois avec la présence d’un témoin amical qui confirme que ce chemin est possible, voilà la clé.

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(*): Je rappelle qu’il y a trois phases possibles dans le coming out : 1/ celui qu’on se fait à soi-même (sortir du déni, assumer qui on est pour soi), 2/ L’exprimer, le partager avec des gens de confiance (amis, famille, proches) 3/ le vivre socialement et publiquement.

Le plus important des coming out et le seul nécessaire à son intégrité psychique est le premier, les deux autres sont à décider au cas par cas si cela est opportun.

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Photo : © Guy Moigne