Paradoxe.
Il y a parfois en nous une fragilité et une résistance
et elles semblent s’exercer sur le même objet.

Fragilité des premiers instants,
blessure du non accueil, de l’abandon ou de la maltraitance,
blessure de ne pas être vu, ou reconnu, ou aimé,
blessure du sourire non rendu au moment où il te fait vivre,
blessure de l’existence – à quoi je sers, qu’est-ce que je fais là ?
blessure d’avoir à faire plaisir, se conformer, pour survivre.
Oubli de soi. Juste besoin de survivre.
Blessure du narcissisme premier.
Fragilité qui se réveillera avec les grandes contrariétés de la vie,
avec le risque de retomber dans l’instinct de survie, le repli sur soi
le désir vain de plaire, d’une confirmation extérieure,
et même l’attente d’un sauveur, d’une solution « magique »,
la peur panique et inconsciente de ne pas survivre
que certains appellent – abusivement – victimisation,
et qui est en fait un appel à l’aide:
“Au secours, sauvez-moi, je ne sais pas me débrouiller seul,
Je n’ai pas appris à avoir confiance en mes pas.”
Blessure du narcissisme premier.

Résistance.
Résistance qui serait fierté si elle n’était pas aveuglement.
Résistance d’avoir survécu en lâchant ce qu’il y avait à lâcher pour survivre
sans jamais perdre la conscience inconsciente d’un être violenté et différent,
résistance enfouie dans les profondeurs du non-verbal – Je suis. Je veux vivre.
résistance à croire qu’on peut être aimé – qu’est-ce que ça cache ?
résistance face à toute contrainte quand bien même ce serait pour mon bien,
résistance – je ne me donne pas, j’ai déjà lâché tout ce que j’avais à lâcher.
résistance face à tout ce qui peut être ressenti comme un danger.
Bravade, panache, force, pour les uns ou les autres.
Seulement, l’instinct de survie.
Résistance enfouie, résistance de la blessure.
Résistance.

Double paradoxe.
S’identifier au monde externe et en attendre sa bénédiction,,. pour survivre
et, au fond, dénier toute valeur à cette contrainte originelle.
Souhaiter vivre et avancer en confiance, chercher l’authenticité jusqu’à la nudité même,
et se heurter ou être retenu par cette réticence première qui dit : attention, danger !

Que faire ?
Que faire quand ça résiste,
Que ça résiste malgré soi ?

Déjà, tu sais
que ça résiste, c’est bien.

Maintenant, dialoguons.

Qui résiste ?
Quelle partie de toi résiste ?

Quand tu résistes comme ça, sans discernement,
que protèges-tu ?
Quelle peur as-tu ?
Et…de quoi as-tu besoin ?
De quoi as-tu besoin qui ferait
que tu ne résisterais pas ?

Tu résistes, tu es fort, et c’est bien.
Grands dieux ! grâce à toi, j’ai survécu !
Tu m’as protégé, maintenu intègre.
Mais tu résistes, tu es fort et c’est souvent inconfortable, inadapté.
Tu résistes sans savoir à quoi tu résistes
et tu m’empêches d’avancer vers de bonnes choses
pour toi… pour moi.

Je ne peux pas avancer sans toi, c’est trop clair
et pourtant je dois avancer.
J’ai besoin de ta force,
sans elle, je suis si fragile que je peine à avancer.

Là, tu es malheureux et seul
dans la tour d’ivoire que tu t’es créée
et moi je suis seul et malheureux
dans la quête d’ouverture que je ne peux réaliser.

Je te propose un deal.
Faisons chemin ensemble.
Ouvre-toi, laisse-moi m’ouvrir.
Je te protégerai, nous marcherons ensemble,
Ta force sera la bienvenue.

Finalement,
il faut juste ouvrir les portes et les fenêtres et la grille du jardin
de notre maison,
mais elle est solide, notre maison, tu as vu comme elle est solide ?

Veux-tu bien que nous nous déployons
dans une maison ensoleillée où l’air, les odeurs circulent,
où l’on peut accueillir à notre convenance les amis, les rencontres.
Vivre dans une maison ensoleillée,
tu le mérites, je le mérite.

S’il te plaît, faisons ça.

Z – 9/3/2017

—–
P.S. J’ai hésité à poster ce texte. D’abord parce que c’est intime, et qu’on donne dans le psycho. Ensuite, parce que cela semble sans rapport avec la question de l’homosexualité et la vie spirituelle. Sur ce deuxième point, il se pourrait pourtant qu’il y ait des liens que je ne vois pas encore. Et puis, j’ai la chance d’avoir les mots qui me viennent facilement,peut-être ces mots-là rejoindront l’un ou l’autre qui les cherchaient sans le savoir?
——

Source photo : cuatro

amis-amoureux-2

Ainsi,
Nous étions amoureux,
Vincent,
Nous qui nous vivions juste comme de merveilleux amis.

Amoureux…
Tu le savais, toi ?
Non, tu ne le savais pas.

Comment aurais-tu pu savoir,
Notre idéal de l’amitié était si fort.

Nous étions comme des chevaliers,
Des frères d’armes,
Des frères de sang.
D’ailleurs, nous l’avons fait ce pacte de sang,
Tu te souviens, comme dans les livres.
La force de l’idéal !

Amoureux…
Et moi, est-ce que je le savais ?
Non, je ne crois pas, même si c’était bien confus.

Cette force si spéciale avec toi,
Décuplée quand nous étions ensemble,
Cette connivence de tous les instants,
Cette capacité à refaire le monde
Et à entraîner les autres dans notre sillage
Ah, ça posait bien question,
Mais on n’avait pas le temps pour ça,
Il fallait vivre.

Et on était beaux, on était généreux.
Notre amitié était au service de tous.

Mais, oui, c’était un peu confus en moi, parfois.
Quand je goûtais ces moments ensemble
Et aurais parfois voulu qu’ils durent une éternité
Sans forcément les partager,
Ou pas tout de suite, pas encore, pas tout…
Juste prolonger les instants d’éternité avec toi.

Alors, nous étions amoureux,
Nous qui nous croyions simplement des amis ?

C’est fou, ça.

Non, nous, on ne savait pas.
Autour de nous, apparemment, ça jasait déjà,
Mais on était au-dessus de ça,
On refaisait le monde, que diable,
Alors les jaloux, les petits, les amputés de l’idéal,
On les aimait mais on ne les écoutait pas.

Jusqu’à ce moment
Où tes parents s’en sont mêlés.
Comment ont-ils dit, déjà ?
Ils avaient peur qu’en me fréquentant,
Tu n’aies plus envie d’être avec des filles.

Bon, d’abord, ça nous a fait rire.
Mais très vite la pression est arrivée,
Les empêchements de se voir et de se parler,
Et ce couperet : interdiction définitive.

On n’y croyait pas. Que c’était dur :
Comment la vie pouvait nous faire un truc pareil ?
Mais on était amis, tellement amis,
On s’est cru forts.
On s’est promis qu’on ne s’oublierait pas,
Qu’on passerait ce temps de silence
Pour mieux se retrouver plus tard.
Quoi, peut-être l’affaire de deux ans ou trois ans ?
Une broutille.

Et après,
on se raconterait tout ce qu’on avait fait
et on continuerait de refaire le monde.

Chacun de son côté.

Je ne sais pas ce que tu as fait.
Moi j’ai attendu, j’ai espéré, je me suis senti seul.
J’ai jamais eu un ami tel que toi depuis,
Parce que, ça, c’est pas possible.

Et puis, quelques années plus tard,
Quand enfin j’ai pu t’écrire à nouveau,
Ta réponse dure, méchante et définitive, en deux lignes.

Alors,
comme ça, c’est moi qui t’aurais corrompu?
Je t’aurais caché qu’on était amoureux
et toi, tu ne voulais pas de ça?

C’est drôle.

Amoureux…

Alors,
Comme ça on était amoureux
Et pas seulement amis ?

Ca m’en bouche un coin quand même,
Mais quelque part ça m’arrange.

Un ami, comme toi, jamais plus je n’en aurai.
Rien ne saurait te remplacer, non rien.

Juste un amoureux, peut-être.
Mais ça…

Z – 5 déc 2016

Source photo : Gijs Blom et Ko Zandvliet dans le film Boys (2015)

homosensibilité-amitié-sexualité

 

Homosensibilité, amitié, sexualité… Voilà trois mots, trois réalités qui peuvent ou pas faire bon ménage !

C’était si simple quand je ne me savais pas, ne me reconnaissais pas, homosensible. J’avais des amis, je les aimais, je les aimais à offrir ma vie pour eux, à laisser mon cœur se dilater, déborder, s’épancher, et il n’y avait aucune dimension sexuelle là-dedans. En tout cas, c’est ce que je croyais.

A vrai dire, c’était assez facile à croire puisque les personnes qui étaient le sujet ou l’objet de mon amour étaient bien inconscientes de tout cela et bien incapables d’y répondre à la mesure où je l’aurais désiré. Un désir infini, en fait. Alors idéaliser l’amitié, la rêver, la sublimer, était devenu facile même si cela me rendait, au fond, très solitaire.

Deux ou trois fois, mon cœur, mon être, se sont enflammés sans retour. Et ce vide abyssal provoqué par la non-réponse était blessure et souffrance. J’étais un enfant, un ado, un jeune homme. A un moment, je ne saurais expliquer pourquoi ou comment, il a été plus facile de couper court à cette hypersensibilité, ne plus l’écouter, ne plus lui prêter attention, entrer dans le moule de l’apparente normalité.

Peut-être certains psy pourraient-ils y reconnaître l’homosexualité ou la bisexualité latentes qui traversent plus ou moins fortement et longuement toute adolescence et sa conversion naturelle en hétérosexualité ? C’est ce que j’ai cru aussi. C’est ce qu’une partie de moi a voulu, c’est ce que j’ai fait. Mais est-ce que cela correspondait à qui j’étais ? Probablement pas, puisqu’aujourd’hui, je reviens là-dessus.

Depuis, j’ai vécu, j’ai muri, grandi en « taille et en sagesse ». Pas la taille du corps, mais j’ai grandi en épaisseur humaine, avec de multiples expériences qui chacune apporte patiemment son lot d’enseignements et de repères. J’ai grandi aussi en sagesse, quoique parfois j’en doute, mais c’est bien le privilège de la maturation, du temps et du long cheminement spirituel, qui m’amènent à l’acceptation de qui je suis et, curieusement, me ramènent aux premières années de l’affirmation de mon être, celles des intuitions fulgurantes, des grands émois et des choix que j’avais reniés.

Aujourd’hui, je sais que toute relation est sexuée. Pas forcément sexuelle mais sexuée. Je sais, je comprends, je compatis et j’accepte pour moi-même que tout être homosensible est un être blessé qui appelle la tendresse qu’il n’a pas reçue à un moment ou à un autre, quelle qu’en soit la raison. Au demeurant, il ne faut pas exagérer cette blessure. Je connais des hétéros bien mal en point, bien blessés par des blessures d’amour. De là, mon questionnement dubitatif sur les théories d’incomplétude et de plénitude de l’identité que l’on voit ici ou là concernant la gente homosexuelle. Ca semble parfois pertinent, mais cela ne l’est visiblement pas à chaque coup.

La question reste donc complexe, et d’autant plus que toutes ces théories qui circulent sur l’origine de l’homosexualité sont déroutantes pour nombre de personnes qui aimeraient comprendre ce qui « cloche » en elles dans l’espoir de pouvoir le résoudre. Et si rien ne clochait, en fait ? C’est si dur que ça, de faire cette hypothèse ? Il y a des gens qui sont gauchers ou dyslexiques ou dys-autre-chose, il y en a qui sont albinos, il y en a qui ont un pied-bot ou une tâche de vin… Leur conteste-t-on d’être pleinement humains et cherche-t-on à les rendre autres que ce qu’ils sont ? Qu’on ait essayé, je ne dis pas, mais, aujourd’hui, il semble bien qu’on admette ces différences sans dire qu’ils ne sont pas « complets » au regard des conventions anthropologiques du moment.

Donc, toute relation est sexuée et pas forcément sexuelle.

love-friendhip-sex

Qu’en est-il de l’amitié ?

J’espère qu’il est facile de comprendre que lorsqu’on est homosensible, l’amitié avec le même sexe devient tout de suite très compliquée. L’usage, pour distinguer l’amour de l’amitié, est de se référer au désir. Y a-t-il désir de l’autre, désir sexué, désir sexuel ? Mais même l’appel à cette notion de désir est complexe. Quand je désire la présence de mon ami, le voir, le toucher – et pas forcément pour des caresses génitales, suis-je encore dans l’amitié ou déjà dans l’homosensibilité, voire l’homosexualité ?

Et quand mon cœur se dilate et ressent ce lien si particulier à l’autre, cette sorte de connexion et « désire » qu’il soit partagé, « désire » un retour pour pouvoir se dire, s’épancher et porter du fruit, sommes-nous encore dans l’amitié ou est-ce de l’homosensibilité, et est-ce de l’homosexualité ?

Cette sensibilité-là, celle du cœur, dans laquelle nous sommes quelques-uns à nous reconnaître, est bien compliquée à discerner et à vivre. Probablement, cette sensibilité s’est creusée et approfondie en écho à un manque de tendresse qu’elle vient rechercher. Manque de tendresse de l’enfance. Mais elle est devenue aussi un talent, une sorte de perception subtile de réalités qui n’apparaissent pas au commun des mortels, elle est devenue aptitude à percevoir la beauté de l’autre, à s’en émerveiller, la célébrer et s’en nourrir. Est-ce encore ou déjà du désir, ou juste la magie d’une rencontre qui se fera ou pas selon que l’autre a ou pas cette même aptitude et la dirige vers l’objet dont il est le sujet (ou le sujet dont il est l’objet) ?

Ceux qui découvrent cette « attirance » vers l’autre de même sexe, avec l’élan de la pureté propre à l’enfance ou aux idéaux de l’adolescence, vont appeler cela amitié, et c’est vraiment de l’amitié, une connivence avec l’autre, connivence de coeur, d’âme, d’activité. Sexuée, et pas forcément sexuelle. Sexuée, dans le sens où c’est bien avec et par le même sexe qu’on est attiré mais pas pour avoir des activités génitales.

Ceux qui se sont découverts homosensibles, avec cette hypersensibilité qui les tourne vers l’autre et en attendent de la tendresse, avec un désir de plénitude et de réciprocité – si souvent incompatibles, avec une certaine recherche d’exclusivité aussi, et avec, peut-être, des rêves érotiques masculins, des rêves masturbatoires – plus ou moins conscients et assumés – avec l’être aimé dont pourtant ils ne veulent rien de sexuel, vont se reconnaître, peut-être « amoureux ». Terme bien difficile à admettre pourtant, tant il suggère la possibilité de rapprochements physiques qui ne sont pas ce qui nous meut en premier. « Etre amoureux » dans la société actuelle, c’est encore admettre la possibilité d’un rapprochement sexuel, voire d’un désir sexuel. Or, là, nous parlons de quelque chose d’autre. C’est être amoureux mais en même temps, ce n’est pas ça. C’est plus et c’est moins et c’est autre. C’est probablement le mot qui s’en rapproche le plus, et en même temps il est tellement en deça, au niveau du cœur et de la sensibilité, de ce que l’on voudrait pouvoir exprimer.

Et puis, il y a ceux qui auront osé des gestes de tendresse, des caresses… plus, peut-être. Soit qu’ils aient été voulus comme résultat de pulsions sexuelles claires et avérées, soit qu’ils viennent comme le résultat doux et tendre de deux êtres qui se rapprochent et qui, à un moment, ont besoin de se toucher, presque naturellement [et pourquoi j’écris “presque”!?], même si ce n’est pas l’objectif suivi. Se reconnaître homosexuel…

Homosensibilité, amitié et sexualité…

Est-ce que les grandes amitiés spirituelles, les grands désirs de fraternité universelle ne sont pas des manifestations sublimées de l’homosensibilité ? C’est juste une question, je n’ai pas la réponse…

Pourquoi est-ce que je pose toutes ces questions ? Parce que j’ai un ami qui me les pose. Il ne me les pose pas directement, mais il m’amène à me les poser. Sa recherche d’une amitié pure, sans génitalité, me trouble, me rajeunit, me ramène au temps de mon adolescence où j’avais aussi cette recherche. A l’époque, je ne me connaissais pas vraiment, je ne savais pas ce que je cherchais et, à la vérité, je n’avais personne, vraiment personne, sur qui m’appuyer ou à qui demander quoi que ce soit sur ce sujet.

Aujourd’hui je me demande où est la frontière, si je l’ai passée par mégarde et n’aurais pas dû, mais aussi si elle existe réellement. Comme les mots sont piégés ! Je le sais bien aujourd’hui que ce que j’appelais du beau et pur mot d’amitié, lorsque j’étais enfant et adolescent, était beaucoup plus et autre que ce que le commun des mortels appelle amitié. Je me souviens, par exemple, de l’incompréhension que j’exprimais, un jour, dans une lettre très gentille à un ami parce qu’il ne semblait pas désirer ma présence, la quémander, la rechercher, et de son désarroi face à ce qu’il ressentait comme un reproche incompréhensible. Quoi ? Ne sommes-nous pas amis ? Quand nous nous voyons, n’est-ce pas bien ? N’est-ce pas assez ? Que veux-tu de plus ! me répondait-il, sans aucune animosité. Incompréhension, incommunicabilité de ce feu ardent en soi qui veut plus, qui veut tout.

Ce n’est pas mon propos, ici, d’expliquer ou rendre compte de l’homosexualité. Ma réflexion n’est pas aboutie. Je comprends juste que, concernant l’homosensibilité, il y a une différence avec le commun des mortels et qu’il est très difficile d’en rendre compte à quiconque ne connaît pas cette réalité de l’intérieur. Est-ce une forme d’homosexualité, je ne sais pas. A quel moment une amitié sexuée devient sexuelle, je n’en sais rien. D’où ma réflexion, mon questionnement : est-ce que cette homosensibilité a vocation à s’exprimer sexuellement ? Je n’en sais rien. Certains diront oui, d’autres diront non. Mais quel malheur, si deux êtres homosensibles se rencontrent, se reconnaissent et ne peuvent laisser s’épanouir leur amitié à cause d’une différence sur cette question.

 

Z – 11/08/2016

 

N.B. Qu’il soit bien clair que je ne présente pas une théorie sur l’homosexualité. Je partage juste les questions qui me viennent en le vivant de l’intérieur.

 

Source photo : Charlie Matthews & Scott Buker, photographiés par Hung Tin Tran

coming-out

On a beau le proclamer sur tous les toits, nombreux sont ceux qui n’arrivent pas à accepter qu’on ne choisit pas d’être homosexuel. Non, on ne choisit pas. Mais le conditionnement culturel est tellement fort pour affirmer ou faire penser que la norme est l’hétérosexualité et que toute autre réalité relèverait d’une déviance volontaire qu’il est bien difficile, lorsqu’on est différent, de s’accepter soi-même tel qu’on est, ce qu’on est, qui on est.

Si c’était si simple ! Imagine-t-on la violence intérieure que l’on se fait quand on doit faire semblant d’être hétéro, au point de s’en convaincre soi-même? Etre dans le déni, refouler sans cesse, non pas ses pulsions sexuelles comme certains détracteurs aimeraient le faire croire, mais qui on est.

Car c’est bien de cela qu’il s’agit : être en vérité avec soi-même. S’accepter tel qu’on est. Ne pas être jugé et ne pas se juger. Ce deuxième point, ne pas se juger soi-même, est bien difficile dans un développement humain quand toute la culture ambiante encourage un autre modèle et laisse peu de place aux autres possibilités.

Certains savent assez tôt, et trouvent assez d’assurance intérieure pour affirmer qui ils sont. Il semble que, malgré la haine toujours présente et rampante, ce soit de plus en plus facile. Mais ça ne l’est pas toujours.

Qu’est-ce qui fait la différence? La famille bien sûr, l’amour des proches, parents et amis. L’assurance qu’on sera aimé pour ce qu’on est, quelle que soit son orientation sexuelle, et plus encore : avec cette orientation sexuelle comme constitutive de l’être profond et le structurant de telle manière qu’il est impensable d’imaginer autre chose, et indécent – vraiment indécent – d’imaginer une maladie à soigner, un démon à expulser ou un péché à expurger.

J’ai parfois lu (par exemple ici) qu’il y a trois types de coming out : celui pour soi, celui auprès des autres,notamment les proches, et celui pour les autres au sens large : le grand public, la communauté gay, etc.

Certains coming out donnent l’impression que les trois se font en même temps. Pour ce qui me concerne et un certain nombre de cas que je connais, il semble pourtant que le premier, celui pour soi-même, est le plus long et le plus dur à faire.

Il s’agit vraiment de sortir du placard (sens originel de “coming out”) c’est à dire se révéler…oser se révéler. Et d’abord à soi-même. Mais cette réalité est parfois enfouie tellement loin dans la conscience et l’inconscient que c’est vraiment au fond d’un placard tout noir dans lequel on ne va jamais qu’il faut aller chercher.

J’entends déjà les questions. “Mais comment peut-on se mentir à soi-même?” Parce que la force du déni est terrible. On ne voit que ce qu’on veut voir. Il ne faut pas être homo, ce n’est pas bien? Donc la sensibilité est réinvestie dans l’art et la spiritualité, les amitiés dans des grands idéaux, les attirances réprimées et réinterprétées en confusions adolescentes passagères, les rêves érotiques masculins en dysfonctionnements passagers…qu’un jour, peut-être, on prendra le temps d’expliquer avec un psy, à moins que d’ici là le mariage ne démontre qu’il ne s’agissait que de la peur des filles et que depuis tout va bien.

La force du déni est terrible. Comment l’expliquer sinon par le fait que le petit enfant, pour se protéger d’un danger qu’il a ressenti comme étant plus grand, a préféré ne pas dévoiler qui il était vraiment? Je ne prétends pas généraliser cette explication, mais elle vaut apparemment pour moi et pour certains.

Je vais dire ou redire deux choses que j’ai déjà eu l’occasion d’exprimer. Je ne comprends pas la haine et le dégoût des chrétiens envers les personnes à orientation homosexuelle. J’ai entendu et vu des commentaires et des comportements absolument indignes de personnes qui se réclament de l’amour du prochain à l’occasion du débat sur le mariage pour tous. Cet événement ainsi que, récemment, le massacre d’Orlando, avec toutes les ambiguïtés du meurtrier lui-même, mais aussi les applaudissements de certains, ont réveillé mon indignation et accéléré le processus de sortie du placard.

Il est un peu tôt pour que je fasse un coming out général, mais il est certain que je ne peux pas, ou plus, me cacher à moi-même que moi aussi j’en suis, que depuis toujours je rêve d’une tendresse qui soit masculine, et que les années passant la souffrance est de plus en plus prégnante. Vous savez, ce genre de souffrance qui ne se voit pas, celle qui vous contracte de l’intérieur pendant que vous jouez un rôle social, vous fait sentir la vacuité de tout cela, vous révèle vos masques, vos mensonges même s’ils sont de bonne foi, et puis ce vide intérieur, cet isolement, cette solitude immense même quand vous êtes reliés, entourés par la famille, par des amis.

Parce qu’au fond, je ne veux pas être aimé pour ce que je ne suis pas. Et surtout… Je ne peux pas m’aimer vraiment ni sortir de cette souffrance si je ne m’accepte pas moi-même tel que je suis. Certains arrivent à s’en tirer en menant une sorte de double vie, époux et pères parfaits d’un côté et quelques compensations sexuelles de l’autre. Je ne peux pas me satisfaire de cela. J’ai besoin de vérité.

Je sais trop bien pourquoi j’ai une orientation homosexuelle : les manques de tendresse maternelle de ma prime enfance et régulièrement répétés ensuite. Mais, quelque part, en avoir pris conscience me libère de la “cause” homosexuelle. J’ai juste besoin d’être, de vivre, besoin d’avancer tel que je suis, savoir -enfin ! – que je suis le bienvenu dans ce monde et que je suis invité à y jouer ma partition au même titre que les autres. Peu importe que je sois gay ou pas, c’en est presque devenu accessoire. Je veux être et je veux jouer ma partition et pas celle d’un autre. Ca ne me donne aucun droit, aucun privilège et, même, ça me libère de cette sorte d’égoïsme qui cherche toujours de la reconnaissance et veut ramener sans cesse à lui. Je n’ai rien à prouver, je n’ai rien à prendre à quelqu’un d’autre. Je veux juste être moi. Et moi sera qui il est, gay ou pas, quelle importance?

Dire qu’il m’aura fallu 50 ans pour arriver à écrire ce genre de choses… Mais je vais me taire, tout cela est encore bien trop récent pour moi. Je vais plutôt saluer le courage de ceux qui comme Coeur de Pirate, ont dévoilé leur homosexualité dans la suite des massacres d’Orlando.

Et puis, même s’il est plus ancien, je voudrais partager le coming out de Troye Sivan,ce youtuber de génie devenu un chanteur tout autant talentueux. Ce garçon aime la vérité et c’est notre bien le plus précieux. Dans la vidéo, Troye s’exprime en anglais mais ci-dessous vous trouverez la traduction en français.

J’admire la démarche de ce jeune homme. Je l’aimais comme chanteur, je l’apprécie encore plus depuis que j’ai visionné cette vidéo. Je n’ai rien à ajouter.

“Bonjour à tous, c’est Troye Sivan, et je n’ai jamais été aussi nerveux de ma vie, mais je vais y arriver. J’ai quelque chose à vous dire, comme vous pouvez le deviner à travers le titre de cette vidéo. Nous sommes le 7 août 2013, et la raison pour laquelle je vous parle aujourd’hui est que le 7 août 2010 j’ai dit à ma famille que je suis gay. Et aujourd’hui je veux que vous sachiez à votre tour que je suis gay.

C’est un peu étrange de l’annoncer comme ça sur internet, mais j’ai l’impression que bon nombre d’entre vous êtes de vrais amis et je partage tout avec vous sur internet. J’ignore si c’est une bonne idée ou non, mais ce n’est pas quelque chose dont j’aurais à avoir honte, ni dont quiconque devrait avoir honte d’ailleurs, alors pourquoi pas le partager avec vous ?

Je suis terrifié, je sais que certains d’entre vous pourraient avoir un problème avec ça, ça pourrait tout bouleverser dans ma vie, mais en même temps ça ne devrait pas, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai fait cette vidéo, parce que c’est très important que d’autres personnes fassent ce genre de témoignage. Ma chaîne est destinée à vous faire sourire et vous faire rire, ça ne va pas changer. Je suis toujours le même, c’est simplement une nouvelle information à propos de Troye, une façon de vous faire partager une petite pièce qui manquait dans le tableau sur internet.

Depuis que je suis né, j’ai toujours su que j’avais quelque chose de différent. Je ne savais pas trop de quoi il s’agissait, mais le mot “gay” me terrifiait quand j’étais plus jeune et je savais que ce n’était pas une “bonne” chose. Je me rappelle que quand j’étais petit j’avais l’habitude de m’étendre sur mon lit et de me représenter les symboles qu’il y a… vous savez… sur les portes des toilettes, “hommes” et “femmes”, et systématiquement je barrais le premier et je cochais le deuxième. Je crois que ça prouve que j’ai toujours été comme ça et que j’ai toujours su qu’il se passait un truc spécial. Mais je remisais toujours ces idées dans un coin, je ne voulais pas y penser, ça me faisait peur, ça me terrifiait, je me disais que ça changerait peut-être.

Mais un jour, quand j’avais quatorze ans, je suis allé dans un parc avec ma meilleure amie, Kayla. Nous avons l’habitude de partager nos plus grands secrets. Et il y avait cette chose que je pensais ne jamais jamais pouvoir partager avec personne, qui était cachée au plus profond de moi, mais Kayla n’est pas ma meilleure amie pour rien, et elle a réussi à me faire dire : “je pense qu’il est possible qu’éventuellement je sois…” Et là elle a dit : “Troye, es-tu bisexuel ?”. Alors j’ai commencé à pleurer, je l’ai serrée dans me bras, et j’ai dit : “Oui, ça pourrais être le cas”. Mais après, j’ai paniqué, parce que je n’étais pas prêt. Je n’étais vraiment pas assez mûr pour l’admettre, il y avait simplement ce truc au fond de moi auquel je ne voulais pas penser. Je me suis réfugié chez moi en pleurant et nous avons décidé de ne plus jamais en parler. Mais la discussion a eu au moins pour effet d’ouvrir une porte et de me forcer à tenir compte de cette éventualité, quand j’avais 14 ans et demi.

Et alors, pendant six mois, j’ai fait la seule chose que j’étais en mesure de faire : allumer mon ordinateur portable. C’est d’ailleurs la raison principale pour laquelle je fais cette vidéo, pour que les personnes de 14 ans qui sont comme celui que j’étais alors la trouvent, car à l’époque, entre 14 ans et demi et 15 ans j’ai regardé à peu près toutes les vidéos de coming out qu’on trouvait sur youtube. Or sans ces témoignages, sans ces personnes si courageuses, je ne sais pas où j’en serais aujourd’hui, je n’ai sincèrement aucune idée de ce que je serais devenu. Vous savez, elles m’ont montré simplement qu’il y avait toutes ces personnes heureuses qui vivaient une existence comme les autres, et qui se trouvaient être gay par ailleurs.

Et en six mois, je me suis réconcilié avec moi-même, j’étais heureux de ce que j’étais, alors je suis retourné chez Kayla. On n’en avait plus du tout parlé. Alors je lui ai annoncé que j’avais quelque chose à lui dire. Et je lui ai redit les choses, pour la deuxième fois. Depuis, notre amitié est devenue indestructible, la plus solide qui soit. Elle est un soutien total. Elle m’a simplement serré dans ses bras et dit que c’était ok, et dix minutes plus tard, tout était redevenu comme avant.

Ensuite, le 7 août 2010, j’étais dans mon lit et je discutais avec mon père. Nous avons commencé à parler de religion et de choses de ce genre. Je lui ai demandé : “Est-ce qu’il y a quoi que ce soit dans la religion que tu aimerais changer si tu le pouvais ?” Et il m’a dit : “tu sais, il y a toutes ces choses à propos des gays que je ne comprends pas, pourquoi la religion serait contre, alors que c’est complètement naturel.” Pour être honnête, je pense qu’il essayait de me faire dire des choses, car c’est la personne qui me connaît le mieux au monde. Et d’ailleurs il m’a demandé : “Et toi, alors, tu en penses quoi ?” Alors j’ai opiné, et je me suis lancé : “… parce que, Papa…”. Et là, je ne sais pas si d’autres que moi ont ressenti la même chose, mais j’avais l’impression d’avoir la gorge nouée et je n’arrivais pas à parler. Alors j’ai dit : “… parce que, parce que, Papa… [silence] je suis gay. » Je me souviens de lui me regardant et ouvrant grand les yeux, moi aussi j’avais les yeux écarquillés, et puis il m’a serré dans ses bras et je lui ai demandé s’il m’aimait toujours. Il m’a regardé comme si j’étais devenu complètement fou : “évidemment, je t’aime toujours.” On a discuté jusque tard dans la nuit. Il voulait être absolument sûr que j’allais bien. C’était son seul souci, pour le reste ça ne faisait pas la moindre différence pour lui. Et oui, ce n’était absolument pas un problème à ses yeux. Je pense qu’au fond de moi-même je savais qu’il en irait ainsi, mais c’était comme un grand saut à accomplir, et c’est sans doute la chose la plus difficile que j’ai eu à faire dans ma vie.

Le lendemain, quand je me suis réveillé, il avait parlé à ma mère. Elle s’est levée, m’a embrassé, et nous avons discuté longuement. Durant la journée, à ma demande, mes parents ont parlé à tous mes frères et sœurs. Même s’ils leur ont parlé séparément, ils ont tous eu la même réaction : ils sont venus un par un dans ma chambre, ils m’ont embrassé et m’ont dit que ce n’était pas un problème et qu’ils étaient à 100% avec moi. Après ma famille, j’ai entrepris d’en parler au cercle de mes amis les plus proches, et aucun d’entre eux n’avait un problème avec ça. Je pense que c’est absolument incroyable. Je suis entouré par les personnes les plus chouettes qui soient. Je suis encore plus proche d’eux car je n’ai plus rien à cacher. Je peux simplement me laisser aller et ne plus penser à rien de désagréable. La vie est formidable.

Et quand vous voyez les vidéos du genre It Gets Better, qui disent qu’au début ça sera vraiment difficile, mais qu’après ça ira mieux, je me dis, c’est vrai, ça ira mieux pour n’importe qui, mais ce que j’aurais à dire, mon message, ce serait que ça peut aller bien dès le début, vous pouvez avoir un coming out qui se passe tout en douceur.

Voilà, c’était sans doute la vidéo la plus difficile à faire. J’espère que rien ne changera. Je vais mettre mon adresse mail pour que vous puissiez me contacter si vous avez la moindre question à me poser. Il y a plein de ressources disponibles pour les adolescents gays, le genre que j’ai consulté quand j’étais un garçon de 14 ans terrorisé par ce qui lui arrivait. Je vous aime tous, vraiment. Bon, est-ce que je dois faire le clin d’œil final pour cette vidéo aussi ?”

Troye Sivan

(source de la traduction : c’est comme ça)