waiting

Alors leur apparurent des langues
qu’on aurait dites de feu,
qui se partageaient,
et il s’en posa  une sur chacun d’eux.

(Act 2,3)

 

Verset dans lequel le terme grec traduit par langue est glossa, qui est l’organe de la parole, organe intérieur s’il en est. Organe qui ne se meut que si l’on a quelque chose à dire ou à crier, organe de l’expression du fond de l’être, ses émotions, sa vérité, que ce soit par un chant ou une parole de sagesse.

Et surtout, verset dans lequel le terme grec traduit pas “se poser” est le verbe kathizo, s’asseoir ou faire s’asseoir.

Le texte ne dit pas que les langues descendent du ciel comme cela est souvent représenté dans l’iconographie. Il dit qu’elles semblent se montrer (apparaître) comme s’installant (s’asseyant) et donnant un pouvoir de discernement et d’expression. Le mot kathizo, en effet, est employé la plupart du temps pour indiquer l’attitude de celui qui, en s’asseyant, va prendre une juste décision ou adopter un juste comportement.

Les exemples sont tellement nombreux que nous allons limiter. Si nous nous en tenons à Luc, auteur présumé des Actes des Apôtres, nous trouvons ces exemples de sagesse donnés par Jésus lui-même : “Lequel de vous, s’il veut bâtir une tour, ne s’assied (kathizo) d’abord pour calculer la dépense et voir s’il a de quoi la terminer ?” (Lc 14,28). “Ou quel roi, s’il va faire la guerre à un autre roi, ne s’assied (kathizo) d’abord pour examiner s’il peut, avec dix mille hommes, marcher à la rencontre de celui qui vient l’attaquer avec vingt mille ?” (Lc 14, 31)

C’est d’ailleurs l’exemple de Jésus lui-même, toujours avec le verbe kathizo: il s’assoit après avoir lu les Ecritures et roulé le livre (Lc 4, 20), il s’assoit dans la barque pour enseigner la foule (Lc 5,3). L’ânon qui le mènera à Jérusalem est un animal sur lequel personne ne s’est encore assis (Lc 19,30) et sur lequel lui s’assiéra (Jn 12,14). Il demande à ses amis de rester (littéralement, rester assis, kathizo) dans la ville pour attendre la puissance d’en haut (Lc 24, 49).

Et il en va de même avec les autres évangélistes. Par exemple Jésus est assis pour enseigner dans le Temple (Jn 8, 2) ou observer la veuve verser son obole (Mc 12, 41). Notons, pour le fun, la célèbre demande familiale d’une mère priant Jésus de faire asseoir ses deux fils à ses côtés (Mt 20, 21-23). Et d’ailleurs dans l’ensemble du Nouveau Testament grec, quand il s’agit de s’asseoir sur un trône, c’est khalizo qui est employé.

Donc pas de doute possible, ces langues qui se donnent à voir (optanomai) viennent s’installer, s’asseoir dans les personnes sur qui elles viennent.  L’emploi de la préposition grecque epi entretient d’ailleurs le mystère puisqu’on peut la traduire à la fois par sur (au dessus) et par dans (au travers). En tout cas, on est loin de l’image de l’Esprit planant sur les eaux ou même de celle de la colombe venue du ciel lors du baptême de Jésus. Ici on s’assoit comme sur un trône pour exercer une autorité authentique, ancrée en la sagesse de Dieu lui-même.

D’ailleurs, il est temps de faire le lien avec autre chose : il y a un grand bruit qui vient du ciel comme un grand coup de vent, à l’extérieur donc, mais c’est à l’intérieur qu’est ressenti le grand coup de vent. Belle métaphore de ce qui est en train de se réaliser pour chacun des amis du Seigneur qui sont présents. Ca se voit ou s’entend à l’extérieur,comme des langues, mais ça s’installe, ça s’assoit, à l’intérieur, comme un feu ardent.

Quel est l’intérêt de cette insistance sur le fait de s’asseoir avec le verbe khalizo ? Il me semble qu’il y en a au moins trois importants [Mon Dieu, le rythme ternaire ! 🙂 ].

  • D’abord, et c’est le plus connu, le plus repéré, le plus commenté, si ça s’assoit, ça s’installe. Dieu ne nous parle plus de l’extérieur mais de l’intérieur. L’Esprit Saint est vraiment donné aux Apôtres, ou aux confirmés (dans le sacramentaire chrétien) par cette sorte d’onction dans un espace clos : de l’intérieur vient l’Esprit-Saint d’une manière indubitable et qui ne pourra plus jamais être reprise. Ce n’est pas pour rien que cette venue de l’Esprit-Saint est comparée à une onction d’huile qui pénètre la peau vers l’intérieur et ne s’écoule pas le long de la peau comme le ferait de l’eau.
  • sittingjpgEnsuite, c’est le souffle commun qui nous rassemble. Une seule maison fermée, mais aussi un seul et même vent qui souffle et vient s’installer en l’assise de chacun, réveillant et exacerbant au passage des dons personnels et une expression de l’amour différente en chacun mais en communion. C’est la naissance de l’Eglise en tant que peuple des croyants, peuple des amis de Jésus-Ressuscité, peuple témoin de la Promesse accomplie.
  • Enfin, je voudrais revenir sur l’insistance sur “l’assise”, prolongement du premier point mais qui est si peu mise en exergue dans les commentaires contemporains. Le souffle de Dieu s’installe très loin en nous, très profondément, précisément en ce lieu de l’assise que pratiquent intuitivement de nombreux méditants, à commencer par les moines zazen. L’assise, c’est, en quelque sorte, savoir se poser en son centre. Centre énergétique, vital, primal, peu importe. Il y a un lieu, qui n’est pas forcément physique, qui est centre de gravité, porte vers mon origine et projection vers mon avenir. Ce lieu dans lequel je peux me retrouver moi-même et arrêter de me disperser est le lieu de l’assise. C’est le lieu du jaillissement de la Vie. C’est là que le souffle de Pentecôte vient régénérer les amis réunis, les réveiller à eux-mêmes et au projet de vie de Dieu sur eux. Ils peuvent alors retrouver toute leur force vitale qui, en fait, est force divine. Dans l’acception croyante de la Vie, y a-t-il d’autres forces de vie que celles qui viennent de Dieu et sont en Dieu?

Bref, si le souffle est partout en dehors de moi, s’il remplit l’espace et le temps, et donc le ciel et la terre, bien sûr, je peux attendre du ciel un signe et le lui demander. Mais de signe sérieux, crédible, qui engage ma liberté et responsabilité, il n’y en aura pas d’autre que ce souffle intérieur que je laisse grandir pour qu’il rejoigne celui de mes frères et qu’ensemble nous puissions témoigner de l’amour de Dieu qui fait toutes choses nouvelles en nous relevant et nous réunissant comme des frères.

La Pentecôte, ce n’est pas un vent extérieur qui vient me prendre et me convaincre, c’est un souffle puissant qui vient me saisir de l’intérieur et inonder ma vie de surprises, une invitation de l’intérieur, mon intérieur, à ouvrir toutes les portes et les fenêtres pour laisser Dieu agir dans le monde à sa façon en jouant un morceau de musique avec le bel instrument que je lui rends enfin disponible.

C’est aussi un feu qui ne s’éteint pas et qui ne demande qu’à devenir brasier dans l’espace qui lui sera donné.

Alors, pour commencer, si on s’asseyait? Ce qui veut dire rester en Dieu, rester en mon centre. Et de là, le souffle de Dieu me fera bouger. Qui sait s’il me poussera à rejoindre la danse déjà commencée ou à créer un nouveau pas de danse ?

Z- 15 mai 2016

PS : Oui, je sais. Ca fait plus sérieux qu’hier. Mais qui lira jusqu’au bout aura compris que je parle strictement de la même chose (notamment dans le 3ème point). De l’intérieur, le jaillissement peut être fulgurant.
dancing

homme-au-travail-Ps103

 

Tu fis la lune qui marque les temps et le soleil qui connaît l’heure de son coucher.
Tu fais descendre les ténèbres, la nuit vient : les animaux dans la forêt s’éveillent ;
le lionceau rugit vers sa proie, il réclame à Dieu sa nourriture.
Quand paraît le soleil, ils se retirent : chacun gagne son repaire.
L’homme sort pour son ouvrage, pour son travail, jusqu’au soir.

Psaume 103 (104), 19-23

 

En ce 1er mai, fête du travail, fête des travailleurs,
Prenons un instant, juste un instant,
pour nous souvenir que le travail concourt à la création.

Dans le grand ordonnancement de l’univers,
l’homme va à ses occupations,
non pas pour subir ou être exploité,
mais tout à la fois par nécessité et plaisir.

Il y a de la joie à travailler,
quand on sait pourquoi.
Il y a de la joie à travailler,
quand on sait pour qui.

Il y a de la joie à travailler,
quand tout est donné, et utile,
sans violence, sans mépris,
sans oubli de la reconnaissance.

L’homme va à son ouvrage,
c’est sa vocation.
Laissons chacun aller à son ouvrage.

travail-ouvrage-Ps103

ovation

“Paul et Barnabé (…) désignèrent des Anciens pour chacune de leurs Églises
et, après avoir prié et jeûné, ils confièrent au Seigneur
ces hommes qui avaient mis leur foi en lui.”

(Ac 14, 21b-27)

 

La liturgie de ce dimanche me donne l’occasion de revenir sur l’ecclésiologie à laquelle je faisais allusion dans mon dernier article publié. La version liturgique de ce verset des Actes des Apôtres semble aller à l’inverse de ce que je disais lorsque je parlais des premières communautés qui choisissaient en leur sein des Anciens. En fait, il n’y a pas contradiction.

Car, comme cela arrive assez souvent, la traduction liturgique française peut nous induire en erreur. Dans la version grecque de Act 14,23, c’est le verbe χειροτονέω (cheirotoneo) qui est employé et a été maladroitement traduit par désigner, verbe que l’on retrouve aussi en 2 Co 8,19 :”Nous envoyons avec lui le frère…qui a été choisi (cheirotoneo) par les Eglises pour être notre compagnon de voyage.”

Le verbe grec qui est employé indique clairement qu’il ne s’agit pas d’une désignation au sens d’un acte de nomination unilatérale de la part des Apôtres mais qu’il s’agit d’un vote, d’une élection, semble-t-il à mains levées.

Il faut donc comprendre que les apôtres “firent choisir par un vote (cheirotoneo) des anciens (presbiteros) dans chaque Eglise”

Ce verset confirme donc que c’est bien le modèle qui prévaut dès les premiers temps de l’Eglise, y compris dans les nouvelles communautés qui sont en train de naître en terre païenne. Ici, en Act 14, on nous décrit le zèle missionnaire de Paul et Barnabé, qui, reviennent – nous précise-t-on- à Lystres, Iconium et Antioche de Pisidie, avant qu’ils ne repartent vers d’autres missions. Il semble donc qu’ils assument momentanément la direction des communautés qu’ils ont créées dans ces villes mais qu’au moment de partir plus loin, il faille désigner des responsables qui pourront assurer la continuité.

Ce qui est remarquable c’est ce double mouvement d’abandon et de continuité.

Continuité parce que c’est bien à leur initiative que se fait la désignation des Anciens. Ainsi se fonde la continuité de l’annonce de l’Evangile reçu et transmis par les Apôtres, c’est pourquoi on dit des premières Eglises qu’elles sont “apostoliques”. Cela veut dire : nées de la rencontre et l’enseignement des Apôtres. Cette continuité est gage que c’est bien la foi au Ressuscité qui est transmise, ce Jésus de Nazareth qui lors de son dernier repas a donné ce commandement nouveau : “c’est de vous aimer les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres. À ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres.” (Jn 13,34) [Evangile de ce dimanche]

Abandon, au sens désaisissement et confiance, parce que les apôtres ne choisissent pas eux même les Anciens. Ils laissent la communauté se prononcer. Aucun acte de pouvoir ou de puissance de la part des apôtres. Mieux, dans ce court passage,ils ne revendiquent aucune propriété ou paternité sur ces communautés : c’est au Seigneur qu’ils confient les hommes qui ont mis leur foi en lui.

“Après avoir prié et jeûné, ils confièrent au Seigneur…” Autre fait marquant qui montre l’esprit de ces premiers chrétiens : les Apôtres commencent par se purifier, se libérer de toutes influences ou interférences extérieures, grâce au jeûne et à la prière.

Voilà pourquoi je plaidais pour un retour aux sources. Il me semble que notre fonctionnement institutionnel (à nous, ceux de l’Eglise Catholique) a quand même un peu vieilli. Vouloir le maintenir de force, vouloir le réparer ou le re-légitimer, c’est perdre du temps. Alors que, dans cette affaire, l’enjeu est essentiellement d’accompagner et confier au Seigneur ceux qui ont mis leur foi en lui.

Z – 23/4/2016

qui-me-separera

Pas le temps de faire une grande éxégèse, mais comment ne pas relever les paroles si consolantes de la liturgie de ce jour, pour toute personne qui a entendu l’appel du Seigneur? Précisons quand même, je parle de l’appel à se laisser aimer.

Prenons le récit des Actes des Apôtres. Ce n’est pas l’application, même scrupuleuse, des rites ou des normes qui fait que l’on est sauvé.  C’est le lien indéfectible au Seigneur Jésus. Ce qui fait que la Promesse de la vie éternelle est faite à quiconque veut la recevoir en vérité, sans marchandage mesquin sur le respect des lois, le mérite, la préséance ou toute autre motivation venue de l’orgueil d’un ego qui n’a pas encore baissé les armes face à l’offre inconditionnelle d’un amour lui aussi inconditionnel.

Alors, oui, le salut peut être offert aux peuples, aux nations, à tous et chacun de toute culture,de toute origine. Et c’est l’esprit en paix, que  Paul et Barnabé peuvent partir en secouant la poussière de leurs sandales (obéissant en cela à une préconisation du Seigneur lui-même, rapportée dans les Evangiles), non sans laisser quiconque a reçu la promesse de la vie éternelle ( i.e. ceux qui peuvent, ceux qui sont disponibles) dans la joie. Car la Bonne Nouvelle de la proximité du Seigneur est joyeuse !

 Quand les Juifs virent les foules,
ils s’enflammèrent de jalousie ;
ils contredisaient les paroles de Paul et l’injuriaient.
Paul et Barnabé leur déclarèrent avec assurance :
« C’est à vous d’abord
qu’il était nécessaire d’adresser la parole de Dieu.
Puisque vous la rejetez
et que vous-mêmes ne vous jugez pas dignes de la vie éternelle,
eh bien ! nous nous tournons vers les nations païennes.
C’est le commandement que le Seigneur nous a donné :
J’ai fait de toi la lumière des nations
pour que, grâce à toi,
le salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre. 
»
En entendant cela, les païens étaient dans la joie
et rendaient gloire à la parole du Seigneur

(Ac 13, 14.43-52)

Les textes de l’Apocalypse et de l’Evangile du jour sont, du coup, très évocateurs de la liberté des enfants de Dieu du moment qu’ils sont unis au Seigneur. Ce que le Seigneur a uni ne pourra pas être défait. “Nous sommes uns” dit Jésus,  comme “le Père et moi, nous sommes uns.”

Moi, Jean, j’ai vu :
et voici une foule immense,
que nul ne pouvait dénombrer,
une foule de toutes nations, tribus, peuples et langues.
Ils se tenaient debout devant le Trône et devant l’Agneau,
vêtus de robes blanches, avec des palmes à la main.
(…)
l’Agneau qui se tient au milieu du Trône
sera leur pasteur
pour les conduire aux sources des eaux de la vie.
Et Dieu essuiera toute larme de leurs yeux.

(Ap 7, 9.14b-17)

Seul critère : l’attachement au Christ. Plus encore que la confiance, l’adhésion, le choix du Christ. Il est précisé dans le’extrait de l’Apocalypse que le Seigneur rassemblera ses brebis et qu’il n’en perdra aucune, aucun de ceux qui se sont attachés à lui  – quelque soit sa condition, semble-t-il  ; le Seigneur a mission de les emmener à son Père. Quand cela arrivera-t-il?  Après la mort? Dès maintenant? Question  intéressante, pleine de sens et d’ouverture à laquelle il n’est pas répondu et que nous n’explorerons pas aujourd’hui.

En ce temps-là, Jésus déclara :
« Mes brebis écoutent ma voix ;
moi, je les connais, et elles me suivent.
Je leur donne la vie éternelle :
jamais elles ne périront,
et personne ne les arrachera de ma main.
Mon Père, qui me les a données,
est plus grand que tout,
et personne ne peut les arracher de la main du Père.
Le Père et moi, nous sommes UN. »

(Jn 10, 27-30)

Mais retenons cette notion d’attachement. Quand mon  coeur est brûlant en vérité de la rencontre du Seigneur, quand mon être  s’est ouvert à l’Être grâce à la rencontre d’autrui, quand  la beauté de l’autre – à son corps défendant parfois – vient réveiller la beauté de l’Être en moi et me révéler qu’il m’appelle,  quand l’autre a réveillé quelque chose de divin en moi, comme l’invite à m’ouvrir toujours plus, je pose la question : même si cette relation est de nature homosensible (et encore, qu’est-ce que ça veut dire quand on en est là !), qui pourra me séparer du Seigneur?

Z.

pecheurs-grau

“Quand Simon-Pierre entendit que c’était le Seigneur,
il passa un vêtement,
car il n’avait rien sur lui,
et il se jeta à l’eau.”

(Jn 21, 7)

Simon-Pierre, c’est le patron des naturistes, en quelque sorte. Cool ! Il a repris ses activités de pêcheur, et ça le dérange pas d’être nu  au milieu de ses compères, et d’une manière très naturelle puisqu’il est en train de travailler.

Mais voilà, sur le rivage, y’a un homme qui les interpelle. Et quelqu’un dit “C’est le Seigneur!”

Et tout à coup, voilà une scène curieuse : il passe un vêtement  et se jette à l’eau. Est-ce que d’habitude on ne fait pas le contraire? On enlève ses vêtements pour se jeter à l’eau?

Bon, on peut imaginer qu’il a anticipé qu’il allait sortir de l’eau et paraître devant le Seigneur, et donc il y va avec ses vêtements. Cette explication tient la route mais nous avons appris à nous méfier des explications trop faciles, qui apparaissent comme des voiles d’interprétation culturelle. N’allons donc pas trop vite.

Prenons le temps de la scène initiale. Pierre est sans vêtements en train de travailler, scène apparemment banale et quotidienne.  Ca ne choque visiblement personne autour de lui et  on ne sait d’ailleurs rien de l’habillement des autres. Plusieurs autres. Pierre est-il seul à être nu?  D’autres le sont-ils ? ou à moitié dénudés?  certains se rhabillent-ils ensuite pendant le temps où la barque revient ? Certains reviennent-ils nus? On n’en sait rien tant le focus est posé sur Pierre. Mais se poser ces questions permet de ne pas rétrécir trop vite le champ des possibles.

Une question m’est posée concernant la nudité des pêcheurs de Tibériade. Doit-on imaginer une nudité totale ou portaient-ils des pièces de tissu comme caleçon ou cache-sexe?

Notons tout d’abord que cela ne change rien au fond de mon commentaire. La réception de cette péricope parle clairement de nudité et est souvent interprétée dans le sens d’une condamnation morale. Or, que ce soit une nudité totale ou partielle, rien ne permet de soutenir cette condamnation.

Nudité totale ou pas ? Certains prétendent que les hommes juifs auraient eu des sortes de pagne pour cacher leur sexe. Pourquoi pas ? Mais ce n’est écrit nulle part. Alors, n’est-ce pas une interprétation rigoriste et moralisante postérieure qui veut absolument affubler les hommes de cache-sexe? Bref, il ne suffit pas d’affirmer, il faut prouver.

Si on s’en tient au texte grec de ce passage d’Evangile, littéralement il dit : Et Simon Pierre, dès qu’il eut entendu que c’était le Seigneur, mit son vêtement et sa ceinture, car il était nu (gymnos). Il n’y a pas d’équivoque possible, le mot gymnos parle de nudité. Qu’il y ait un morceau de tissu ou pas, Pierre est décrit comme étant nu. Quant au mot vêtement, ependutes, il s’agit de la seule occurrence biblique, ce qui fait que les spécialistes interprètent ce mot comme désignant un vêtement de travail qui serait spécifique aux pêcheurs pour se couvrir. Ependutes vient en effet du verbe ependuomai (mettre dessus) qu’on trouve aussi en 2 Co 5,2 : Aussi nous gémissons dans cette tente, désirant revêtir (ependuomai) notre domicile céleste. Le passage 2 Co 5, 1-4 est assez complexe mais il n’y a pas de doute sur le fait que l’idée est de revêtir une nudité.

Du point de vue de la rive, c’est-à dire de cet inconnu qui hèle les passagers de la barque, cela ne semble pas poser problème puisqu’il leur adresse la parole sans  se formaliser un instant qu’un des pêcheurs, au moins, soit nu. La pointe de ce cette péricope n’est donc pas sur la nudité.

Mais alors pourquoi Pierre semble-t-il se rhabiller en toute hâte quand il entend “c’est le Seigneur“?

Oui… quand il entend “c’est le Seigneur!

Il y a un après  et un avant. Et le déclencheur, c’est cette parole “c’est le Seigneur“.

Or, nous sommes maintenant après la Résurrection.  A la parole “c’est le Seigneur“, Pierre répond  avec une sorte d’immédiateté : il revêt son vêtement et se jette à l’eau.  Personnellement, ça me rappelle les premiers temps de la saga Jésus quand il parcourt les bords du lac de Tibériade  et qu’il appelle ses premiers disciples. Sauf que, là, il s’en est passé des choses depuis. Et, en plus, il est mort et Ressuscité, celui qui les appelait et qu’ils ont suivi. Alors, il n’est plus besoin d’un appel direct : “toi, suis -moi”.  La seule parole “c’est le Seigneur” et Pierre sait ce qu’il a à faire. Il répond. C’est là qu’il doit aller.

Dans l’intention de l’évangéliste, il se pourrait bien que la mention de sa nudité et du vêtement soit au service du même sens. Vérifions.

Nous sommes après la Résurrection. L ‘Apôtre Paul nous dira dans ses épîtres combien cette expérience de la mort et la Résurrection du Seigneur est fondatrice d’un monde nouveau dans lequel ceux qui y sont appelés, et répondent à cet appel, passent du statut de vieil homme à homme nouveau, avec les habits qui vont avec.

Il me semble que l’accent du texte n’est donc pas de fustiger ou condamner la nudité de Pierre qui serait honteuse. L’inconnu du rivage ne dit rien à ce propos, ni au moment où il interpelle les ouvriers dans la barque ni au moment où il prend le repas et discourt avec Pierre. Par contre, il y a une sorte d’insistance sur le fait de revêtir le vêtement au moment où l’on va rejoindre le Seigneur qui, un jour du temps, nous avait appelé et à qui on avait répondu. Tenue de service obligée, en quelque sorte. Et encore plus maintenant qu’il est Ressuscité.  Le vieil homme est mort, l’homme nouveau est né. C’est au service du Ressuscité que Pierre accourt.

Pas inintéressant de remarquer que quelques versets plus tard, sous couvert d’une histoire de ceinture que d’autres vont serrer à la place de l’intéressé pour le mener où il ne voudrait peut-être pas aller, on a comme une suite de cette affaire de vêtement.

Suivre le Christ Ressuscité, ce n’est pas compter sur ses propres forces, c’est s’en remettre à Lui. C’est revêtir les habits lumineux de la Résurrection, déjà entrevus lors de la Transfiguration. Cela est cohérent avec la promesse de la paix du Christ à l’humanité. Avant la Résurrection, Jésus parle d’une paix qu’il va donner à ses disciples et qui n’est pas celle du monde (Jn 14,27), c’est-à-dire qui n’est pas celle qui est connue des hommes en s’appuyant sur leurs propres forces. Après la Résurrection, il apparaît aux douze avec ces premiers mots “La Paix soit avec vous!” (Jn 20, 19.21)

Bref, il y a un avant et un après. Un avant et un après la mort et la résurrection du Christ. Et désormais, un avant et après la rencontre du Christ pour chaque homme et femme de l’histoire.

La nudité de Pierre n’est donc pas laide ni malsaine. Il est en travail quand même, ce brave homme ! Il essaie de gagner sa vie. Mais ses propres forces ne suffiront plus désormais, s’il veut suivre la Voie du Ressuscité. Alors revêtir ce vêtement qui sera bientôt serré d’une ceinture qu’il ne maîtrise pas, c’est une manière de dire au Seigneur qu’il est prêt.

N’est ce pas l’esprit de tout ce passage? La précipitation de Pierre quand il entend “c’est le Seigneur” , comme si revenu à ses tâches quotidiennes il était en attente du jour du Seigneur pour lui.  La réaction immédiate de Pierre, au service, quand le Seigneur demande d’apporter des poissons. Et finalement toute la teneur de ce dialogue intime entre Pierre et son Seigneur.  Il est prêt, il se croit prêt. Il est, en tout cas, animé d’un grand désir de servir le Seigneur. Alors oui, il peut être peiné, et même désemparé, quand le Seigneur peut lui demander avec insistance s’il est vraiment prêt,  s’il l’aime vraiment, totalement et sans conditions.

Alors, Pierre peut faire la réponse qui compte :

« Seigneur, toi, tu sais tout :
tu sais bien que je t’aime. » (Jn 21,17)

Tu connais tout de moi. Tu connais ma nudité, tu connais ma fragilité, tu connais mes limites. Sans toi, rien n’est possible Seigneur. Mais mon désir, mon attente de toi, si forts, si immenses, dans ce pauvre corps que tu connais, ça aussi Seigneur tu le sais. Tu sais bien que je t’aime.

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Post Scriptum pour ne pas oublier la question qui m’a été un jour posée : la nudité est-elle une bonne nouvelle?

Ce beau texte ne permet pas de condamner la nudité comme, parfois, on a voulu le faire.  Encore une fois, la nudité de Pierre n’est ici pas honteuse, elle est naturelle et même socialement admise. Y compris, semble-t-il par le Seigneur.

D’un point de vue symbolique, cette nudité semble même nécessaire. Il faut se dévêtir des vieux habits du monde passé pour revêtir les habits resplendissants du Ressuscité ou, à tout le moins, ceux du service du Ressuscité. Cela passe par le fait de se dévêtir et apparaître en vérité et en simplicité. Pas de tricherie possible, pas de honte non plus.

Cela semble bien être le sens que l’on retrouve  dans certaines pratiques baptismales qui ont perduré jusqu’au Moyen Âge, par lesquelles on perdait ses habits au moment de descendre dans la cuve baptismale que l’on traversait, nu, avant d’être revêtu d’un nouvel habit, blanc, au sortir de la cuve.

Ce texte ne permet ni de condamner ni de magnifier la nudité. Elle est juste notre condition naturelle, première réappropriation de soi à faire, peut-être, pour pouvoir réellement se désapproprier.

Z. 9/4/2016

 

 

Source photo : pêcheur du Grau-du-Roi