Moi, j’aime les gens qui ne savent pas,
les gens pour qui c’est difficile,
ces gens dont on sent, même quand ils affirment quelque chose,
qu’ils n‘y croient pas vraiment mais que c’est pour se protéger.

J’aime ces gens fragiles,
qui ignorent le trésor qui dort en eux
et qui n’ont comme seul but que de survivre
dans la jungle des forts, des puissants,
de ceux qui affichent insolemment leur réussite.

Ces gens qui, sans le savoir,
sont déjà en chemin vers leur vérité,
et laissent déjà percevoir, à leur insu, leur beauté.

Ils ne font pas semblant,
ils n’en ont pas le loisir,
ni le temps, ni l’argent.

Ils sur-vivent.

Ils creusent comme on creuse un puits dans une terre aride
pour trouver le sens qui éclairera leur vie,
car, au fond, ils le savent, ils le sentent,
que derrière toute cette comédie humaine,
il y a un appel à la vie,
une source qui ne s’éteint jamais.

Ces gens me touchent, m’émeuvent.
Je suis honoré d’être en leur présence.
Peut-être est ce que je leur ressemble
et que c’est pour cela
que ça me touche autant.
Peu importe, en fait.

J’aime l’authenticité des gens simples
qui ont compris l’essentiel
sans avoir jamais eu le succès
que la mondanité cherche sans cesse.

Vil apparat qui séduit, qui fascine et qui trompe,
qui déroute du chemin essentiel,
le seul qui compte :

Sois qui tu es,
sois l’enfant de Dieu
tel qu’il t’a créé.
Et peu importe ce qu’en pense autrui.

Tu es tellement beau
quand tu te déploies dans la lumière,
dans l’authenticité
dans la vérité de ce que tu es.

Z – 26 /11/2019

Photo : Kay Wolfson, modèle à Brick Models, photographié par Ben Abarbanel.

“Bien peu de personnes sont conscientes de ce qui a cours dans l’expérience amoureuse qu’elles vivent. Les intéressés diront en effet :”J’ai trouvé le grand bonheur : j’aime et je suis aimé!” Mais le bonheur ressenti alors ne vient pas de ce qu’ils sont aimés, mais de ce qu’ils sont mis en contact avec leur propre mystère par l’intensité d’un regard qui s’est arrêté sur eux. (…) C’est là que se cache le secret du grand amour : être mis en contact avec son propre mystère par l’intensité d’un regard posé sur soi. c’est là un premier seuil. Il te faudra un jour y parvenir par toi-même, sans l’aide du regard extasié de l’autre. C’est là le deuxième seuil. Enfin, le troisième seuil est celui de ta rencontre, non plus avec un humain, mais avec Dieu découvert au fond de ton mystère.”

Yves Girard, Baiser à baiser .

Dans Baiser à baiser , l’auteur, moine cistercien au Québec, livre une méditation, et même une initiation spirituelle, à partir du commentaire de Guillaume de Saint-Thierry, moine cistercien du XIIè siècle, sur le Cantique des Cantiques. Guillaume commence ainsi : “Qu’il me baise d’un baiser de sa bouche ! C’est fini ! Je ne veux plus de baisers étrangers (Dieu qui lui parle par l’Ecriture, et les prophètes). J’exige d’être enseigné ouvertement sur Dieu, face à face, les yeux dans les yeux, baiser à baiser.”

Photo : Armie Hammer et Timothée Chalamet, acteurs de Call me by your name.

Fraternité amitié amour. Voilà encore un de ces triptypes que j’aime bien. Vous savez, ce genre de concepts qu’à l’usage on prend parfois les uns pour les autres ; et pas qu’à l’usage d’ailleurs, c’est parfois si confus dans nos coeurs, nos esprits et nos corps !

D’amitié, j’ai rêvé. Sublime, merveilleuse, asexuée en quelque sorte. J’en ai rêvé, je l’ai touchée également. Elle m’était donnée, je ne faisais que recevoir, tellement conscient que j’étais de n’avoir rien fait pour éprouver une telle beauté, une présence et la force de vie surgie de nulle part, d’un tréfond de moi-même et que la rencontre avec l’autre venait tout à coup éveiller. Oui j’ai cru qu’elle était don de Dieu, elle était tellement belle, j’en étais l’invité, elle était l’hôte. Comment ne pas imaginer quelle est don de Dieu et promesse d’un amour qui remplit tout, qui donne sens, qui ait une telle évidence que plus rien n’a d’importance que lui.

Mais il me faut pourtant apporter des nuances. Par exemple, j’ai dit qu’elle était asexuée. De fait, son objet n’était pas le sexe, mais elle était clairement ressentie à l’égard d’un autre homme. Et il se pourrait que ce fut juste mon immaturité de jeune homme naïf et exalté qui ne l’ait pas conduite dans une expression corporelle. Elle aurait pu se muer en tendresse et en expression sexuée ou sexuelle. Juste pas eu le temps. Est-ce que cela l’aurait affectée, transformée, réduite en luminosité ? Je n’en sais rien.

Par ailleurs elle introduisait à un amour plénier, un amour de toute l’humanité mais il est si clair aussi que le catalyseur en était cette relation privilégiée. Certes, j’aimais le monde entier mais c’était à travers cet éveil à la beauté intérieure et partagée que provoquait la rencontre avec cet ami. Et comment ne pas constater que j’avais un amour préférentiel pour cet ami ? Au fond, probablement étais–je amoureux (j’en parle ici) et appelais-je amitié l’embrasement soudain de deux cœurs et de deux vies qui me semblait si merveilleux que même l’amour, à ce que j’en savais – c’est- à-dire fort peu et seulement à considérer les couples formés autour de moi – me paraissait fade.

A l’époque, j’aurais aisément parlé d’amitié spirituelle pour qualifier notre relation. Et mes lectures mystico-monastiques des auteurs cisterciens comme Aelred de Rielvaux m’encourageaient en ce sens. Pas sûr que je comprenais bien ce que je lisais, mais mon cœur s’enflammait dans ce genre de lectures et semblait y voir la confirmation de ce qu’il éprouvait. De là à imaginer que cette amitié était œuvre de Dieu, que Dieu allait s’en servir pour faire je ne sais quoi, il n’y avait qu’un pas. Et même si c’est vrai, alors, était-ce aussi Dieu qui nous parlait quand nous fûmes séparés ? Dieu a donné, Dieu a repris, loué soit son nom ? Et cette douleur qui reste au fond de l’âme, cette souffrance d’être brutalement séparés, cette incompréhension qui en résulte sur le sens de l’existence et qui, d’une certaine manière, m’a poursuivi jusqu’à aujourd’hui ? Cette nostalgie surtout d’une beauté un instant entrevue, éprouvée et partagée et qui semble désormais inaccessible… sinon en allant la chercher loin, loin, profond, très profond au-dedans de moi.

Avec les années m’est venue une autre révélation, celle de ma structure psychologique. Cette beauté ressentie qui semblait raviver et constituer mon être, cette fusion entre nos âmes, n’était-elle pas aussi préparée, provoquée peut-être, par des blessures d’enfance, un besoin d’amour et d’assurance inassouvis par l’insuffisance de l’amour maternel ? Et alors ce ne serait que ça ? Oui, probablement, cela m’a préparé à vivre cette expérience. Et non, cependant, cela ne suffit pas à expliquer l’intensité, la fulgurance et la douceur tout à la fois de ce qui nous est arrivé, cette sensation d’entrer dans une Présence, d’être habités de cette présence. Elle survient du fond de nous, mais en même temps c’est parce que l’autre vient de la réveiller en même temps qu’elle se réveille en lui ; et cette Présence, cette « amitié » ne nous appartient pas, elle nous échappe, elle nous entoure, nous remplit, nous rassemble, mais nous n’avons pas la main dessus. Elle est là, merveilleuse de douceur et d’unité, et, même si elle vient de nous, elle n’est pas de nous.

Elle a aussi des aspects curieux, même si c’est marginal : le fait de penser instantanément la même chose d’événements vécus ensemble sans avoir besoin de se parler, de sentir sur un regard échangé en silence ce qui nous avons à faire, ou plus bizarrement cette capacité à faire les mêmes rêves, la même nuit, à 200 km de distance l’un de l’autre, sans s’être contactés auparavant comme on le ferait aujourd’hui si facilement par un réseau social, téléphone ou mail.

Souvent nous avons pensé à cette expression citée par les Actes des Apôtres (Act 4,32) : “Ils n’avaient qu’une seule âme et qu’un seul coeur.” Ou au Psaume 132 : “Qu’il est bon, qu’il est agréable pour des frères d’habiter ensemble !” Sauf qu’ils s’agit là d’exemples communautaires, et qu’en fait de communauté, nous n’étions que deux, totalement épris l’un de l’autre sans le savoir, dans un climat de complicité innée totale.

Alors amitié ou amour ? Ca n’est toujours pas clair pour moi. Un peu des deux, peut-être ? En fait le mot n’a pas d’importance. Il y a tellement de manières différentes d’éprouver et de parler tant de l’amitié que de l’amour ! Je ne peux parler que de celle que je connais pour l’avoir vécue. Peut-être cela ne correspond pas à ce que d’autres en diraient mais ça n’est pas grave car je ne prétends pas faire une théorie sur le sujet.

Pour moi, l’amour ou l’amitié se sont découverts avec une rencontre précise et quelques fragrances depuis, en général non partagées. J’en retiens que je ne sais pas aimer de manière universelle mais seulement de manière particulière, et que c’est ce particulier qui m’ouvre à l’universel. Un particulier chaque fois différent, chaque fois singulier, avec ce risque permanent de captation de l’autre, de son attention, de son amour pour ma satisfaction personnelle, pour contenter mon besoin de tendresse et de reconnaissance, pour combler le vide de l’amour pas assez reçu aux moments décisifs de mon histoire. Ce risque, je le connais. Plus je le connais, mieux je l’appréhende, plus je l’apprivoise. Et plus je l’apprivoise, plus je puis rencontrer autrui sans enjeu de captation, juste rencontrer et constater que cette beauté originelle est également en lui, même s’il ne le sait pas. Se tenir en présence de cette beauté, en être le témoin, parfois l’éveiller et l’accompagner dans son déploiement, sont des moments eux aussi merveilleux. Secrets et merveilleux.

La fraternité naît de ce constat d’une commune humanité, et plus exactement d’une commune étincelle en chacune de nos vies, qu’un rien suffirait à allumer si nous y étions disponibles. En attendant, l‘entretenir et la faire grandir – chez moi comme chez l’autre – pour le moment où, mystère divin, elle grandira tout à coup comme un feu, sans qu’on sache si c’est comme poussé par un grand vent intérieur qui soufflerait dessus et l’amplifierait ou si c’est de s’éveiller en réponse à une autre étincelle, un autre embrasement, provoqué par la rencontre ou bien par l’indignation face à une situation d’injustice qui remettrait en cause notre commune humanité. Les deux sont possibles.

Ces quelques lignes sont le prolongement d’une réflexion entamée avec un interlocuteur qui se reconnaîtra peut-être en lisant ces quelques lignes mais dont je n’ai pas à partager la teneur. Il y a juste ces quelques mots qu’il lâche au milieu d’un de nos échanges : « J’ai besoin oui d’un frère qui sache me regarder ainsi… » Mots qui à la fois m’interpellent, me renvoient à une nécessaire humilité, mais aussi à l’obligation de témoigner pour que d’autres trouvent leur chemin pour autant que ce que j’ai pu parcourir puisse les y aider.

C’est quoi un frère sinon quelqu’un en qui l’on reconnaît une commune humanité, et donc, dans une perspective chrétienne, une communauté d’origine et de visée vers l’avenir ? L’éveil et l’entretien de cette beauté fait partie du programme.

Z.

Source image : trouvée le 15 août 2018 sur abraxas-excaliber.tumblr.com, blog aujourd’hui sans contenu.

Graham Nash – Try to find me / Essaie de me trouver/strong>


I’m In Here,
With A Lonely Light,
But Maybe You Can See Me.
Oh, And I’m In Here,
With My Mind On Fire.

Do Your Best And Try To Find Me.

Under Me,
There’s A Lovely Light
That Screams For A Little Daylight.
Oh, And Through My Eyes,
I Can See For Sure
That My Soul Shines On.

So Try To Find Me.

`Cause I’m Trapped In The Web Of A Dark Night.
Won’t You Please Be My Bridge In the Daylight?
‘Cause When I Know I Am Loved, I Am All Right.

So Try To Find Me.
Try…

Try To Find Me
`Cause I’m Trapped In The Web Of A Dark Night.
Won’t You Please Be My Bridge In the Daylight?
‘Cause When I Know I Am Loved, I Am All Right,
All Right, all right…

So Try To Find Me.

Oh, Hear My Heart.
It’s The Same As Yours,
But It Beats With A Distant Thunder.
Oh And I’m Still In Here
With My Heart So Pure.
I Can Say No More.

But Won’t You Unlock My Door,

And Try To Find Me.

 

Je suis là,
Avec une lumière esseulée,
Mais tu peux peut-être me voir.
Oh, et je suis là,
Avec mon esprit en feu.

Fais de ton mieux et essaie de me trouver.

Au fond de moi,
Il y a une jolie lumière
Qui crie après un peu de lumière du jour.
Oh, et à travers mes yeux,
Je peux voir pour sûr
Que mon âme brille.

Alors essaie de me trouver.

Parce que je suis coincé dans la toile d’une nuit noire.
Ne veux-tu pas, s’il te plaît, être mon pont vers la lumière du jour?
Quand je sais que je suis aimé, je vais bien.

Alors essaie de me trouver.
Essaie…

Parce que je suis coincé dans la toile d’une nuit noire.
Ne veux-tu pas, s’il te plaît, être mon pont vers la lumière du jour?
Quand je sais que je suis aimé, je vais bien.
Je vais bien,
je vais bien…

Alors essaie de me trouver.

Oh, entends mon coeur.
C’est le même que le tien,
Mais il bat avec un bruit de tonnerre au loin.
Oh et j’en suis toujours là
Avec mon coeur si pur.
Je ne peux pas dire plus.

Mais ne veux-tu pas déverrouiller ma porte

Et essayer de me trouver ?

Rien ne laisse plus intranquille qu’une rencontre. Qu’elle génère de l’agacement, de la passion, un trouble, une reconnaissance, une dette, une familiarité inédite, une étrangeté dérangeante, la rencontre laisse dans son sillage un visage et des questions irréductibles. Questions légères qu’on aura semées au premier virage, questions lancinantes qui nous hanteront longtemps : qui est cet autre dont je n’arrive pas à oublier le visage et dont les paroles me rattrapent dans le silence ? Qu’est-il venu semer dans ma vie? Un renouveau salvateur, une confusion qui me menace gratuitement ? On ne sort jamais indemne de l’épreuve d’altérité, à moins bien sûr de toucher sans se laisser toucher, de parler sans entendre en retour, de contourner ce qui en l’autre est inédit.

Marion Muller-Colard, L’intranquillité.

Source photo : pinterest