À propos des textes du jour
(Gn 18,1-10 ; Col 1, 24-28 ; Lc 10, 38-42)…

Ce mystère enfin connu,
caché jusqu’ici aux générations précédentes
(c’est saint Paul qui le dit) :
“Christ est parmi vous”.

Rien que ça.
Christ est parmi vous !

Après 2000 ans de christianisme,
ça paraît banal de dire ça.
Ben oui, on le sait, réveille-toi :
ça fait 2000 ans qu’on nous le dit !

Justement : ça fait 2000 ans
et l’humanité n’a toujours pas encore pris la mesure
de cette nouvelle : Christ est parmi nous.

Dans le récit des évangiles,
Marie (de Béthanie) l’a pressenti au point d’arrêter toute activité
pour profiter de cette présence – qui sera réalité qui dure –
là où Marthe s’affaire encore dans un objectif généreux de bien faire,
d’être une femme impeccable, serviable et hospitalière.
– Manquerait plus qu’on dise qu’elle a mal reçu le Seigneur ! –
ꟷ Mais bouge-toi donc, Marie! Pourquoi tu me laisses seule au service alors qu’il y a tant à faire !

Rien. Il n’y a rien à faire pour recevoir ce don gratuit
que le Christ est parmi nous.
Pas seulement la réalité tangible d’un homme qu’on reçoit,
fût-ce Jésus.
Mais la réalité que la Vie-même,
l’origine de tout élan vital dans l’univers
se manifeste dans cette humanité-là,
celle de Jésus.
Et le don, le voici :
si cela est vrai pour l’homme Jésus,
c’est vrai pour toute humanité, homme et femme,
qui veut bien s’y rendre disponible,
l’accueillir
enfin y croire.

Car Dieu a toujours été là,
ce sont nos yeux, nos cœurs, mal décillés
qui sans cesse cherchent à l’extérieur
une vérité profonde qui est déjà là, disponible en chacun.

C’était déjà l’intuition d’Abraham
qui perçoit recevoir le Seigneur en ces trois étrangers
qui apparaissent à lui au chêne de Mambré.
Innocence et confiance incarnées,
il n’est qu’accueil et hospitalité
au mystère de Celui qui vient, qui est.

L’étranger, cet autre, est son Seigneur.
En lui, il reconnaît la visitation, la communication qui lui est faite
qu’il est digne d’intérêt pour le Tout Autre.
Il n’a pas encore compris, peut-être, que ce tout Autre est aussi en lui,
alors même pourtant qu’il va donner la vie, créer une formidable descendance.
Il faudra que son hôte, cet étranger, revienne à la naissance de son enfant pour le lui confirmer.
Ce tout autre qu’il appelle Le Seigneur
et qui pourtant sont trois.

Texte tellement étrange
qu’il semble y avoir un élément de compréhension qui nous échappe,
un décodeur, quelque chose qui ferait que le sens est évident.
La tradition chrétienne, magnifiée par l’œuvre de Roublev,
y relit la présence du Dieu trinitaire,
complètement un, complètement trois,
ce qui, bien sûr est une relecture théologique tardive, a posteriori.
Tant mieux si elle aide à comprendre que Dieu est amour
quoi qu’il en soit de la manière dont on le regarde,
et jamais peur, guerre et méchanceté !

Abraham voit trois hommes,
ils sont l’Etranger par excellence,
quoiqu’il en soit de leurs spécificités personnelles.
Ils sont le Tout Autre,
ils sont le Seigneur.
Ils le sont
et lui ne sait pas encore
que, dans cette logique il est lui aussi le Seigneur.
Le Seigneur qui se reçoit lui-même.
« Le seigneur dit à mon Seigneur :
siège à ma droite » dit un des psaumes.

Revenons à saint Paul.
Son cri du cœur est :
le mystère qui était caché depuis des générations est enfin révélé,
Christ est parmi vous !

Christ est parmi nous.
Christ est parmi moi.

Certains dira-t-il ailleurs ont reçu des anges sans le savoir.
Les anges, ces messagers de Dieu.
Autre interprétation projetée parfois
sur les trois hommes qu’Abraham reçoit à Mambré.

Des anges reçus sans le savoir.

Combien en ai-je reçu dans ma vie sans le savoir ?
Tiens, et là, aujourd’hui,
toi qui croises ma vie, es-tu un ange pour moi,
un messager du ciel, un ange
que je n’aurais pas encore reconnu ?

Allons plus loin, toi que je croise aujourd’hui,
en quoi es-tu ange qui me parle de mon Seigneur,
qui me renvoie à ma propre humanité, à la tienne,
et réalise en nous ce doux mystère
que Christ est parmi nous ?

Bien sûr que moi aussi je suis un ange,
ou que je devrais être un ange pour toi,
et que de me rencontrer t’aide à réaliser
que le Seigneur est avec toi.

Mais chhhhut ! Mets une garde à ta bouche,
ne t’occupe pas de ça
pour ne pas tomber dans l’orgueil
et te couper de Celui qui te donne tout
et dont tu ne peux que te recevoir.

Il suffit bien que tu réalises qu’en chaque rencontre,
aussi dure, aussi compliquée, aussi perturbante soit-elle,
c’est le Seigneur, en cet homme-là, en cette femme-là, qui te rejoint.
Le seigneur invite le Seigneur à l’accueillir.

Au-delà des formes, au-delà des apparences,
savoir comme Abraham reconnaître la bonne nouvelle
qui se manifeste par la rencontre de l’autre,
l’insigne honneur qu’il me fait
d’être entré dans ma vie.

Voilà donc Jésus qui entre dans ma maison.
Immédiatement, viennent s’animer en moi
ces deux forces qui semblent s’opposer :
vite s’affairer, faire quelque chose
pour être à la hauteur de la venue de celui que j’aime
et que surtout il ne lui vienne pas à l’idée de me quitter ou de m’abandonner;
suspendre toute activité pour gouter la Présence de celui qui me révèle à moi-même,
là, maintenant et toujours.

Viens, Seigneur, visite-moi encore et encore
jusqu’à temps que j’arrête de courir
pour enfin te recevoir.

Z – 20 juillet 2025

Photo : Une photographie de Thomas Synnamon

Plus de différences en Christ

Le péché que Paul condamne

Une fois encore, une triste ironie règne sur cette question. Il y a là une leçon religieuse qu’il nous faut apprendre.

Une certaine lecture des Ecritures , ancienne et naïve, a induit en erreur nombre de disciples sincères de Jésus. Ils s’opposent aux lesbiennes et aux gays et les oppriment au nom de l’apôtre Paul. Confortés par les préjugés de notre société, persuadés de la supériorité de leur inclination sexuelle, ces chrétiens ont mal lu l’Epître de saint Paul aux Romains et rejettent des membres de la communauté chrétienne en son nom.

Pourtant, assurer l’unité des croyants était un objectif cardinal des écrits de Paul. Il insistait sur le fait que, en Christ, seuls comptent vraiment la foi et l’amour. Mais, se méprenant sur l’argumentation de Paul, certaines personnes se fient, involontairement, plus à leurs goûts et coutumes qu’à la parole de Dieu. Ils discutent de ce qui est propre ou souillé, se disputent à propos de ce qui est pur ou impur et dressent les hétérosexuels contre les homosexuels. Ils divisent et font voler en éclats l’Eglise sur des questions qui n’ont aucune importance en Christ. Au nom de Dieu, ils excitent la haine, nourrissent l’oppression et sèment la zizanie dans toute la société. Ils sont coupables d’une injustice grave, ils commettent la faute même que Paul entendait contrer.

C’est une triste situation, indigne des disciples de Jésus

 

Daniel Helminiak, s.j., Ce que la Bible dit vraiment de l’homosexualité,
Les Empêcheurs de penser en rond/ Le Seuil, novembre 2005, p 158-159.

 

 

Ainsi se conclut le chapitre que Daniel Helminiak consacre à l’étude de la Lettre aux Romains, dans laquelle certains croient voir l’argument essentiel à la condamnation de l’homosexualité dans le Nouveau Testament (Ro 1, 18-32)

D’après l’auteur, il n’est pas douteux que Paul parle des rapports homogénitaux entre hommes, mais contrairement à ce qu’on veut aussi y voir, ce n’est pas forcément pour les condamner.

Il serait trop long de reprendre ici tous les arguments de ce chapitre très documenté, mais retenons au moins que les mots grecs employés pour désigner l’homosexualité montrent que Paul n’envisage pas une condamnation morale mais font plutôt allusion au code de pureté que l’on retrouve dans la “loi de sainteté” du Lévitique, lorsqu’il s’agissait de montrer en quoi Israël, conscient d’être un peuple choisi parmi les autres, devait se distinguer des autres nations.

Ainsi le plan de la lettre aux Romains est-il très instructif pour comprendre ce que veut vraiment dire Paul.

Dans un premier temps, il parle aux chrétiens d’origine juive, ceux-là même qui connaissent ces lois de pureté et parfois ont la tentation de vouloir les imposer à l’ensemble de la communauté chrétienne. Le sujet de la circoncision est évité comme trop polémique mais celui de l’homosexualité, largement admise et pratiquée dans le monde grec et romain, est abordé parmi d’autres. Et Paul de montrer comment, oui, les moeurs des gentils sont différents des règles de pureté reçues d’Israël. On est dans le registre de l’impureté rituelle, pas dans celui du péché. L’argument principal de Paul – qui ne peut que plaire aux juifs, est : c’est parce que les hommes se sont détournés de Dieu que le péché est dans le monde. Et la longue liste des désordres cités, parmi lesquels l’homosexualité, n’en est que la conséquence. Ainsi Paul, flatte-t-il le sentiment de supériorité morale des Juifs. Les non Juifs ne reconnaissent pas la loi juive et donc ont, aux yeux des juifs de l’époque, des pratiques impures.

[Argument purement théorique puisque les juifs qui vivent dans l’empire connaissent très bien les moeurs des gens chez qui ils vivent et on ne peut pas imaginer qu’ils aient voulu les changer, ils s’en accommodaient.]

Mais, à partir du chapitre 9, il s’adresse aux chrétiens d’origine païenne, aux “nations”(Ro 11,13). Là aussi, il met en garde : il serait ben malvenu que l’olivier sauvage se moque de l’olivier d’origine sur lequel il est greffé. Il est un temps où une partie d’Israël est comme endurci et aveugle pour que l’ensemble de l’humanité puisse être sauvé (Ro 11,25). “Je ne veux pas, frères, que vous ignoriez ce mystère, de peur que vous ne vous preniez pour des sages.

Ainsi, invite-t-il à la modération. Car même si les gentils ne sont pas soumis aux lois des Juifs, tout n’est pas permis, tout n’est pas bon et il faut éviter la débauche. Mais il invite aussi à ne pas confondre l’acte d’idolâtrie (sacrifier aux faux dieux) et les usages sociaux : manger, boire avec les non-chrétiens, pouvoir acheter de tout ce qui se vend sur le marché (Ro 10,25) .

S’ensuivent de vigoureux et touchants appels à l’amour fraternel, au respect des différences, au non jugement. Qui es-tu pour juger un serviteur qui ne t’appartient pas ? demande saint Paul(Ro 14,4) car, précise-t-il encore, “Je le sais, j’en suis convaincu par le Seigneur Jésus : rien n’est impur en soi.Mais une chose est impure pour celui qui la considère comme telle” (Ro 14,14)

Notons qu’il n’y a plus aucune mention de l’homosexualité dans tous ces développements, Paul parle désormais de nourriture comme dans de nombreux autres endroits, puisqu’il semble que pour les premiers chrétiens la grande inquiétude morale soit de savoir si en mangeant avec des païens, ou même en mangeant des nourritures sacrifiées aux idoles, ils offensent Dieu et deviendraient idolâtres. Le Royaume de Dieu n’est pas question de nourriture répond Paul mais d’attachement au Christ. C’est tout le thème de la circoncision du coeur qu’il reprend aussi ailleurs et celui de la liberté fondamentale du chrétien qu’il développe aussi aussi en Corinthiens.

Bref, tout cela pour en arriver à cette simple proposition valable tant pour les juifs que pour les gentils : c’est l’adhésion au Christ seul qui justifie, il n’y a plus de loi nécessaire pour cela. Il n’y en a pas pour moi (je suis libre) et il n’y a pas plus pour mon frère que je n’ai pas à juger pour cela : lui-même a à s’accorder avec sa propre foi (Ro 14, 23).

Au passage, Paul aura montré que les reproches adressés aux gentils par les juifs peuvent s’appliquer également aux juifs, et que si il y a une obligation c’est bien de s’accueillir mutuellement les uns les autres comme le Christ nous a accueillis (Ro 15, 7).

Il n’y a plus de loi juive qui tienne. En Christ, les rites de pureté qui permettaient de se distinguer des païens n’ont plus lieu d’être. Ils séparent au lieu d’unir. Et donc l’homogénitalité, souillure des gentils citée parmi d’autres, du fait de leur méconnaissance de Dieu, n’a plus lieu d’être une raison de s’écarter d’eux. Paul ne faisait que rappeler aux Juifs leur code de pureté devenu maintenant inutile en Christ. Car, en Christ, rien n’est pur ou impur.

En Christ, il n’est plus de différence entre les êtres humains qui puisse justifier la séparation avec Dieu.