Il parle
de sa “vie de patachon”.
Il dit
qu’il n’en peut plus
de cette “vie de patachon”.
Et je sens le désarroi,
le désespoir, l’immense tristesse
de cet homme qui me confie sa vie.
Pas seulement.
Le ras-le-bol aussi.
Parce que
même si l’expression peut paraitre drôle
et même tournée en dérision,
comme dans la chanson de Bourvil et Guétary,
non, la vie de patachon,
ça n’est pas drôle du tout.

Elle est bizarre cette expression,
à la fois futile et dérisoire,
prête à l’emploi
pour la comédie, la dérision, la vie de bohême librement choisie,
et pour la vie chaotique, brinquebalante, la vie pas choisie, la vie subie
quand on prend conscience de qui on est vraiment sur le tard
et que cette conscience vient taper à la fenêtre
comme pour dire : “hey, je suis là, ne m’oublie pas !
J’ai besoin que tu fasses quelque chose de moi.”
Oui mais quoi ? J’ai déjà ma vie.
Ma vie d’hétéro, ma vie d’homme marié.
Ma femme, mes enfants, mes petits enfants.
Ah ça, pour sûr qu’elle est la vie
puisque je l’ai transmise, partagée, vécue !
Et là, boum, patatrac, zim bam boum
de révélation, de bousculation, de révolution
que je serais homosexuel. Oups, le gros mot : “homosexuel !”
Qu’est-ce qui m’arrive, qu’est-ce qui se passe, qu’est-ce qui tourne pas rond avec moi
pour que je me retrouve attiré par les gens du même genre que moi
et que je ne puisse plus le nier, le dénier, le renier,
que ça s’impose à moi comme une évidence,
un torrent qui emporte tout, qui voudrait faire table rase
alors que j’ai cette vie, ces années de vie hétéro,
tranquillement assumée, croyais-je ?
Bim bam boum, zoum, pling et baf !
Ouh ça fait mal ! C’est quoi ce truc
qui surgit et emporte tout,
ce torrent qui s’ouvre et inonde
et mon coeur et ma vie et mon esprit ?
Je chavire, je sais plus où je suis, qui je suis,
je comprends plus rien.
Ah je peux plus vivre cette vie d’avant
qui paraît tout à coup si fade, si vide, si sans moi
pour autant que j’y ai jamais été.
Y ai-je été ? Mais oui pourtant:
ma femme, mes enfants, mes petits-enfants,
ces nuits d’amours, ces promesses échangées, ces mots d’amour aussi, peut-être.
Mais que m’arrive-t-il ?
Je n’en peux plus de cette vie
de patachon.

Patachon.
Patachon ? Patachon…ce drôle de mot
qui vient du fond de la langue française,
de la culture transmise,
Patachon, non, c’est pas drôle,
on peut bien en faire une vie de bohême,
c’est d’abord une vie brinquebalante, chahutée,
à aller de-ci de là sans but précis,
faute de savoir où, pourquoi, comment, vers où aller.
Et pourtant très drôle, si l’on veut,
l’origine de cette expression “vie de patachon”.
Ca vient de la patache, cette diligence populaire sans confort
– autant dire sans ressorts –
qui fait que le voyage est douloureux et désagréable
brinquebalé comme on peut pour aller où on essaie d’aller.
Prix à payer pour aller : aucun confort, que de l’inconfort.
Avant même cela, la patache, c’était l’embarcation instable des gabelous
qui sur la Loire cherchaient à piéger les contrebandiers du sel.
Inconfort, oh oui! Et torpeur, et peur, et risque sans cesse de se retourner.
Nuits terribles, sommeil impossible, veilles agitées.
Vie de patachon.
Vie brusque et injuste.
Vie d’inconfort déjà.
Qu’ai-je fait pour mériter ça ?
Qui suis-je pour en être arrivé là ?
Vie de patachon…

Oh ma mémoire !
Oh, réveille-toi pour lui dire,
réveille-toi pour le lui partager
à cet ami qui sombre de la même manière que toi,
souviens-toi du moment rude où les digues intérieures rompaient,
où explosait en toi plus qu’elle ne jaillissait
la révélation si longtemps contenue que tu étais attiré par les hommes
– eh oui par les hommes, malheur à toi ! –
alors que tu as construit ta belle vie d’hétéro, bien pensant, passe-partout.
Arrrrgh ! Misère qui suis-je, qu’est-ce qui se passe ?
Et cette distance, tout à coup avec toi-même, avec ta vie d’antan qui était celle d’hier.
Comment continuer à vivre comme avant quand on n’est plus comme avant ?
Le monde ne le sait pas encore mais toi tu le sais.
Toi, tu le sais !
Cette vie tout à coup qui paraît fade, monotone, futile, inappropriée, inadaptée.
Gay, tu es gay, ah ah la belle découverte.
Attends, attends, c’est pas tout :
tu ne l’es pas d’aujourd’hui, tu l’as toujours été !
Arrrrgh, malheur, que vais-je faire de ça !
Cette vie dans laquelle je suis empêtré,
que je ne peux pas renier
et qui pourtant n’est déjà plus la mienne.
Et je dis quoi aux gens que j’aime et qui m’aiment ?
Je dis quoi, je fais quoi ?
Je fais semblant ?
Je fais semblant, oui, un temps.
Je fais semblant.
Au moins le temps
de me poser,
de comprendre,
d’évaluer ce qui se passe.

Je vis, je vis, je survis,
je SUR-vis, faut bien,
le temps de, le temps de m’adapter,
je survis
cette vie de… patachon.

Je me souviens
avoir exprimé mon désespoir
exactement avec la même expression.
Je me suis présenté un jour
devant cet homme admirable et bienveillant
qui était mon accompagnateur spirituel
et je me suis écrié, comme toi, ami, :
” Je n’en peux plus de cette vie de patachon”.
Ce n’était pas un cri dépressif ou suicidaire,
c’était juste le constat de mon incongruence.
Je ne peux pas continuer à faire semblant d’être qui je ne suis pas
et pourtant je me retrouve coincé à le faire au quotidien.
Le prix à payer est trop dur.
J’ai besoin d’être moi.

Non, en vérité, tout ça, je ne l’ai pas dit sur le moment.
Il m’a fallu du temps pour l’élaborer.
J’ai juste dit que j’en avais marre
de cette vie de patachon.
Et lui, je l’ai bien vu, a été peiné pour moi.
Il a trouvé que je me dévalorisais trop.
Il m’a affirmé très clairement
que ma vie n’était pas une vie de patachon,
parce que je n’étais pas Patachon.
J’étais moi,
avec un chemin à trouver.
Et que cela allait prendre du temps.
Mais que j’y arriverai.
Parce que le chemin de Zabulon
n’était pas le chemin de Patachon.
Ca m’a fait sourire.
Une part de moi était encore sceptique
mais j’ai bien senti qu’une autre partie de moi
voulait y croire, y croyait déjà.

J’aime bien cette image de la patache, cette diligence inconfortable.
On peut choisir de la prendre pour partir à l’aventure, à la bohême, sans un sou,
ou on peut la subir le temps du voyage qui n’est qu’un passage d’un lieu à un autre.
Dans tous les cas, la vie de patachon, c’est celle qui nous transporte d’un état à un autre.

Je ne sais pas faire une théorie sur ce sujet, une théorie qui vaudrait pour chacun.
Mais j’ai déjà vécu ce sentiment que tu exprimes et j’étais, comme toi, perdu.
Je ne savais pas quoi faire, je ne savais pas s’il y avait quelque chose à faire.
Mais le voyage était déjà commencé.

Fais-toi confiance.
Car la vie a une puissance insoupçonnée
pour nous rendre authentiques.
Fais-toi confiance, ami.
C’est juste que le voyage est déjà commencé.

Z – 15/05/2025

“La vie de bohême”…il existe peu de versions audiovisuelles du célèbre duo de Bourvil et Georges Guétary, extrait de l’opérette “La route fleurie”. Voici une reprise récente (2012) par les Roucoulele Brothers. Pour ceux qui sont attachés à la version originale, vous pouvez cliquer ici pour retrouver une version originale de qualité hélas assez médiocre issue des archives de l’INA.

Illustration : visage du Christ disloqué ( la vie de patachon, indice que ça tient plus 🙂 ): diverses sources sans mention de l’origine dont ausdemnorden.tumblr.com

Plus sur l’expression “vie de patachon” ? C’est ici, avec le projet Voltaire

rencontre07

 

Deux personnes qui se rencontrent, c’est deux mondes qui se rencontrent.

La chose n’est pas simple, mais au contraire très complexe, la plus complexe qui soit. Chaque personne est un monde en elle-même : un mystère complexe, avec un lointain passé et un futur éternel.

Au départ de la relation, seules les périphéries se rencontrent. Mais si la relation croît en intimité, devient plus proche, devient plus profonde, alors peu à peu, les centres commencent à se rejoindre. Lorsque les centres se rejoignent, c’est ce qu’on appelle l’amour. Lorsque les périphéries se rencontrent, cela s’appelle faire connaissance. Vous prenez contact avec l’autre, de l’extérieur, juste à partir du bord : vous faîtes alors connaissance. Fréquemment, vous vous mettez à appeler votre rencontre amour. Vous êtes alors dans l’erreur. Faire connaissance n’est pas aimer.

L’amour est chose très rare. Rencontrer quelqu’un en son centre, c’est passer soi-même par une révolution, car si vous voulez rencontrer quelqu’un en son centre, il vous faudra lui permettre d’arriver, lui aussi à votre centre. Il vous faudra devenir vulnérable, absolument vulnérable, ouvert. C’est risqué. Laisser arriver quelqu’un à votre centre est risqué, dangereux, car vous ne savez pas ce qu’il va vous faire. Et une fois tous vos secrets connus, une fois votre intimité dévoilée, une fois que vous êtes complètement exposé, que fera-t-il ? Vous ne le savez pas. Et la peur est là. C’est pourquoi nous ne nous ouvrons jamais.

Une simple rencontre, et nous pensons que l’amour est arrivé. Les périphéries se touchent et nous croyons que nous sommes rencontrés. Vous n’êtes pas votre périphérie. En réalité, la périphérie est la frontière où vous finissez, c’est la palissade qui vous entoure. Ce n’est pas vous ! La périphérie est le lieu où vous finissez et où commence le monde. Même des maris et des femmes qui auraient vécu ensemble depuis de nombreuses années peuvent être des étrangers, ils ne se connaissent pas l’un l’autre. Et plus longtemps vous vivez avec quelqu’un, plus vous oubliez complètement que vos centres sont restés inconnus.

La première chose à comprendre est donc : ne confondez pas relation, couple et amour. Même si vous faites l’amour, même si vous avez une relation sexuelle, le sexe est, lui aussi, à la périphérie. A moins que les centres se rencontrent, le sexe n’est que la rencontre de deux corps. Et la rencontre de deux corps n’est pas votre rencontre. Le sexe, lui aussi, reste une relation superficielle – physique, corporelle, mais toujours superficielle. Mais vous ne pouvez permettre à quelqu’un de pénétrer jusqu’en votre centre que si vous n’avez pas peur, que si vous n’avez aucune crainte.

Aussi, je vous dis qu’il y a deux sortes d’existence. L’une est dirigée par la peur, l’autre par l’amour. Vivre dans la peur ne pourra jamais vous permettre une relation profonde. Vous restez craintif et vous ne pouvez laisser faire l’autre : vous ne pouvez lui permettre d’entrer en vous vraiment jusqu’à votre cœur. Vous tolérez l’autre jusqu’à un certain point, et puis c’est le mur et tout s’arrête.
Celui dont la vie est tournée vers l’amour est l’être religieux et spirituel. Etre tourné vers l’amour veut dire : ne pas avoir peur de l’avenir, ne pas avoir peur du résultat ni des conséquences : vivre ici et maintenant.

 
 

Osho

Mon chemin, le chemin des nuages blancs

 

paradis-01

Oh yeah yeah
Oh yeah yeah yeah
Ooh!
Oh yeah yeah
Oh yeah yeah yeah
Ooh!

Je n’ai jamais trop cru en l’amour ou les miracles
Je n’ai jamais voulu mettre mon coeur en première ligne
Mais nager dans ton monde est quelque chose de spirituel
Car je renais à chaque fois que tu restes pour la nuit

Car ta façon de faire l’amour m’emmène au paradis
Oui ta façon de faire l’amour m’emmène au paradis
Et cela le montre, oui, oui, oui

Car tu me fais me sentir comme si,
j’avais été enfermé à l’extérieur du paradis
Depuis trop longtemps, trop longtemps
Oui, tu me fais me sentir comme si,
j’avais été enfermé à l’extérieur du paradis
Depuis trop longtemps, trop longtemps
Oh yeah yeah yeah

Never had much faith in love or miracles
Never wanna put my heart on the line
But swimming in your world is something spiritual
I’m born again every time you spend the nightCause your sex takes me to paradise
Yeah your sex takes me to paradise
And it shows, yeah, yeah, yeah

Cause you make feel like, I’ve been locked out of heaven
For too long, for too long
Yeah you make feel like, I’ve been locked out of heaven
For too long, for too long
Oh yeah yeah yeah

 

Locked Out of Heaven – Bruno Mars NB
NB : A l’origine de cet article, j’avais proposé ici la version de Locked Out of Heaven interprétée par Paul Silve, qui en donnait une interprétation sensible et profonde, un jeune homme récemment découvert par sa participation à The Voice… Depuis, il semble qu’il ait retiré cette chanson de son chaîne youtube. Peut-être un jour réapparaîtra-t-elle ? Il suffisait de fermer les yeux en l’écoutant et on se laissait transporter par son interprétation bouleversante d’authenticité. Il emmenait d’emblée dans un autre univers qui faisait que cette chanson devenait à la la sienne et universelle!

Tu m’as mis à genoux
Tu me fais témoigner
Que tu peux faire changer ses voies au pécheur
Ouvre tes portes car je n’en peux plus d’attendre de voir la lumière
Et je veux rester juste là
Car ta façon de faire l’amour m’emmène au paradis
Oui ta façon de faire l’amour m’emmène a paradis
Et ça le montre, oui, oui, oui

Car tu me fais me sentir comme si,
j’avais été enfermé à l’extérieur du paradis
Depuis trop longtemps, trop longtemps
Oui, tu me fais me sentir comme si,
j’avais été enfermé à l’extérieur du paradis
Depuis trop longtemps, trop longtemps
Oh oh oh oh, yeah, yeah, yeah

You bring me to my knees
You make me testify
You can make sinner change his ways
Open up your gates cause I can’t wait to see the light
And right there is where I wanna stay

Cause your sex takes me to paradise
Yeah your sex takes me to paradise
And it shows, yeah, yeah, yeah
Cause you make feel like, I’ve been locked out of heaven
For too long, for too long
Yeah you make feel like, I’ve been locked out of heaven
For too long, for too long

La  version originale et officielle de Bruno Mars

 

Ne puis-je pas juste rester ici
Passer le reste de mes jours ici
Oh oh oh oh, yeah, yeah, yeah
Ne puis-je pas juste rester ici
Passer le reste de mes jours ici
 
Car tu me fais me sentir comme si,
j’avais été enfermé à l’extérieur du paradis
Depuis trop longtemps, trop longtemps
Oui, tu me fais me sentir comme si,
j’avais été enfermé à l’extérieur du paradis
Depuis trop longtemps, trop longtemps

Can’t I just stay here
Spend the rest of my days here
Oh oh oh oh, yeah, yeah, yeah
Can’t I just stay here
Spend the rest of my days here

Cause you make feel like, I’ve been locked out of heaven
For too long, for too long
Yeah you make feel like, I’ve been locked out of heaven
For too long, for too long

Oh yeah yeah yeah
Ooh!
Oh yeah yeah
Oh yeah yeah yeah
Ooh

 paradis-02

 

langue

[source photo: http://www.taringa.net ]

 

Cette photo, c’est exactement ce que j’ai vu ce jour là.

 

J’étais dans  un train de retour de Lisieux,

je revenais de pèlerinage,

et je lisais “Histoire d’une âme”

– Ca ne s’invente pas ! –

 

Le train était un tortillard qui se traînait

et s’arrêtait en différentes gares.

Il était archibondé, mais il restait encore une place assise

juste en face moi.

A un arrêt, un jeune homme est monté.

Blond , élancé, traits fins,

jeans délavé et ouvert au dessus des genoux.

Il s’est avancé et est venu s’asseoir en face de moi.

 

Je l’ai regardé s’asseoir,

en le dévisageant.

Oui, je l’ai trouvé beau.

 

Je ne me lassais pas de le regarder.

Quelque chose me le rendait proche.

Je sentais qu’il avait souffert

et qu’il était maintenant apaisé,

qu’il avait fait des choix

et qu’il ignorait encore

à quel point il était aimé.

 

Je crois qu’en le regardant ainsi,

je l’aimais.

En tout  cas, un amour

qui n’était pas de moi

me traversait

et allait jusqu’à lui.

 

J’avais arrêté de lire,

je le regardais.

Je dévisageais ses traits , son corps,

Oui, je le trouvais beau.

 

Bien sûr , nos regards se sont croisés.

A plusieurs reprises.

Il ne pouvait pas ne pas sentir

que je le dévisageais.

Mais dans ce train bondé,

tout se passait en silence,

dans une apparente indifférence.

 

A un moment,

balancé par le mouvement du train,

il s’est endormi.

Ses paupières se sont affaissées,

son souffle s’est fait moins rapide.

Il dormait.

Et il était beau.

 

Je le regardai maintenant

sans détourner les yeux,

Je sentais un lien avec lui

mais indéfinissable.

 

Je crois que j’ai prié pour lui.

Je crois que j’ai remercié Dieu

pour son existence.

 

Les minutes ont passé.

Plusieurs dizaines de minutes.

Sur un sursaut, il s’est réveillé,

les joues empourprées d’un afflux de sang soudain,

la bouche pâteuse de s’être asséchée ,

les yeux dans les nuages

mais qui s’ouvrent directement sur moi.

 

Nous nous regardons.

Droit dans les yeux,

doucement.

 

Je sais au fond de moi que c’est étrange

de soutenir ainsi le regard d’un inconnu;

mais je n’en éprouve pas de gêne.

Je sens confusément que cela me  trouble

mais je ne peux pas détourner le regard

car il y a quelque chose de plus puissant.

 

Il baisse les yeux, s’étire, se reprend.

Puis, son regard s’offre à nouveau à moi.

Je le contemple.

Oui, il est beau,

mais pas seulement d’une beauté physique.

Son être est beau, je le sens, je le sais.

je suis subjugué par plus puissant que moi.

 

C’est à c e moment-là,

qu’en soutenant mon regard fixement,

sans agressivité, avec beaucoup de douceur,

il entrouvre les lèvres,

il sort sa langue,

la passe sur ses lèvres,

la tend vers moi.

 

Je soutiens son regard,

je reçois son hommage.

Quelque chose en moi éveille du désir,

mais je sais que ce n’est pas ce que je porte en ce moment.

Je lui souris.

Et c’est moi qui baisse le regard,

et plonge vers mon livre

que je n’arrive pas à lire,

tandis que je prends enfin conscience

que je suis troublé.

 

Quand, quelques minutes plus tard,je relève les yeux,

il regarde ailleurs.

Je ne croiserai plus ses yeux bleus, profonds et limpides.

 

A ce moment, je comprends

que ce ne sont pas ses yeux qui sont profonds et limpides.

c’est son âme, c’est son être.

Et, Dieu sait pourquoi,

il m’a été donné d’en être le témoin, ou l’acteur même si je ne sais pas comment.

 

Au terminus,

nous nous frôlons lorsque nous nous levons.

Chacun reste sur sa réserve.

Nous ne prononçons aucun mot.

Nous récupérons nos bagages, descendons.

Je l’aperçois remonter le quai à grandes enjambées,

devant moi, à portée d’un mot, d’un geste.

Un instant, je pense le suivre, le héler, je ne sais quoi..

mais, eh pour quoi faire ? quoi dire ?

 

Alors je le laisse aller.

 

Je ne sais pas qui est ce garçon.

Je ne sais pas ce que nous sommes venus nous donner,

l’un à l’autre, en ce court moment.

 

Je reste avec  ce trouble en moi qui m’inquiète…

La peur d’un désir non contrôlé,

la sexualité qui s’éveille.

 

Et avec ce sentiment de beauté.

Comme un cadeau qui m’est fait ,

un cadeau inaccessible,

une promesse pour demain

ou pour après.

 

Cette beauté, Seigneur,

cette harmonie des coeurs,

ce lien entre nous,

au delà de toute convenance,

au delà de toute limite,

Oui, il me construit,

oui , il m’éblouit,

oui je le reçois comme une promesse de bonheur

à vivre ensemble.

 

Quand, comment, je ne sais pas.

Toi, tu sais ,mon Dieu.

Et même sil reste en mon coeur

comme une trace d’inachevé,

cela dévoile comme une promesse d’amour infini.

Pas encore et déjà là.

 

Blessure et Beauté à la fois.

Beauté tellement belle,

que je ne peux dire que merci.

 

Zabulon