En son temps, Diogène parcourait les rues de sa ville, une lampe allumée à la main, et disait à qui voulait l’entendre : “Je cherche un homme.” Un homme, un vrai, un sage, un être humain en plein déploiement de lui-même, connecté à qui il est vraiment et l’offrant au monde, donc aux autres êtres humains.

Et voilà que la réponse des chrétiens est : “Nous l’avons trouvé cet homme.” Cet homme qui m’a vu sous le figuier (Nathanaël), cet homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait , tout ce que je suis (la Samaritaine), cet homme qui ne me juge pas et me remet en route (la femme adultère), cet homme qui me réinsère dans la communauté des autres êtres humains (Zachée, lui qui est aussi “un fils d’Abraham”), cet homme qui me guérit de mes torpeurs, de mes souffrances, de mes maladies… qui me restaure en humanité.

Pas si simple cependant de le rencontrer vraiment. On peut le croiser assez facilement, sur les routes de Palestine il y a 2000 ans ou aujourd’hui encore en écoutant ceux qui se réclament de lui, mais le croiser, avoir entendu parler de lui, ne nous délivre pas de cette recherche idolâtre de vouloir un super-héros, un roi, un dieu à notre image. Nicodème lui-même, qui est un sage, vient de nuit et s’efforce de comprendre d’où vient la sagesse de cet homme appeler Jésus qui n’a aucun pouvoir, aucune origine connue, aucune légitimité mais qui parle tel les prophètes de l’Ancien Temps et qui vient bousculer l’ordre établi sans tambours ni trompettes, avec pour seul argument une existence claire, transparente, cohérente avec le message qu’il professe.

Être un homme, serait-ce l’enjeu ? Un vrai homme. Un homme qui accomplit complètement son déploiement, son “accomplissement” d’homme ? Oui, Jésus réalise en son corps, en son être et en son existence, la plénitude de Dieu. Mais en ces temps pascals, la tentation pourrait être – comme pour de nombreux chrétiens avant nous – de conclure un peu trop vite à la divinité de celui qui est re-ssuscité et d’en oublier son humanité. Et se faisant, s’en distancer au lieu de s’en rapprocher.

Tout l’enjeu de la Révélation semble bien être l’humanité et non pas la divinité. Si Dieu est, il est déjà et n’a pas besoin de nous pour continuer à être ou pour se justifier d’être. Non, la question est plutôt : où est-il ton Dieu ? Et où serait-il donc ailleurs que dans le vivant, tout le vivant, et spécialement dans cet homme – tout homme – dont le livre de la Genèse nous dit que Dieu l’a fait à son image et selon sa ressemblance.

La question principale, y compris et surtout dans les derniers moments de la vie de Jésus, est encore et toujours “Mais qui donc est cet homme ?” Qui donc est cet homme qui me ramène à l’humanité d’une manière que je n’avais pas prévue, pas anticipée, pas comprise. Qui donc est cet homme qui me renvoie à mon propre accomplissement et donc en creux à mon non-accomplissement : mes renoncements, mes jeux de rôle ou de pouvoir, mes peurs cachées et mes stratégies d’adaptation ? Ca fait peur, ça dérange, ça me met en colère parfois car je ne suis pas toujours prêt à me laisser bousculer, interroger, inviter à aller dans cette voie d’accomplissement de moi-même et des autres. A Nazareth, cela rendra les gens furieux dès le début de son enseignement, et à Jérusalem, ultimement, c’est la foule, cette masse informe de gens entrainés par leurs passions, qui demandera sa mort.

Pilate lui-même est troublé: Mais qui donc est cet homme qu’on lui présente ? Si étrange, si inoffensif et pourtant si fort en lui-même. “Voici l’homme”… Celui contre lequel vous en êtes réduits à faire de faux témoignages qui l’excluront de votre système sans même considérer qui il est vraiment : un homme, un vrai. Le type d’homme que nous devrions tous et toutes devenir si l’on laissait l’esprit de Dieu faire son chemin en nous en plénitude.

Mais qui donc est cet homme ? Certains, même parmi les païens, le sentiront intuitivement et ne pourront s’empêcher de le proclamer : “c’est le fils de Dieu!” Et c’est vrai. Mais cela n’annule pas, bien au contraire, tout ce que j’ai essayé de vous partager dans les paragraphes précédents : cet homme qui laisse se déployer son humanité comme elle a été voulue par Dieu (essayez, pour voir, de remplacer le mot “Dieu” qui forcément limite la compréhension puisqu’il enferme dans une compréhension limitée de Dieu par d’autres mots ou expressions qui ouvrent les horizons : le logos, le verbe, l’élan vital, l’énergie vitale, etc.) – cet homme donc qui laisse son humanité se déployer sans la dérouter (= littéralement “sans pécher”) nous montre non seulement Dieu mais aussi notre humanité. Se replier trop rapidement sur l’affirmation : c’est le fils de Dieu” a été l’occasion trop de fois dans notre histoire, et encore aujourd’hui, de nous dispenser de nous convertir vraiment : Jésus n’est pas venu pour nous montrer de l’extérieur ce que nous sommes appelés à être, genre : “Je suis fils de Dieu, je vous montre le chemin. Trois petits tours et puis je m’en vais. Vous avez vu ? Ca continue après la mort. Allez, facile, à votre tour !” Ce serait indigne de Dieu, tellement pas conforme à ce don de Jésus qui souffre et meurt VRAIMENT.

Il ne montre pas le chemin, il est le chemin. Dans son corps, son être, son existence. Il nous montre comment la vie de Dieu est faite pour notre humanité, et vice versa, au point que les deux se confondent. Tu ne peux pas être pleinement humain sans accepter cet élan vital qui te porte à aimer l’humanité, la tienne et celle de tes frères et soeurs. A ce titre, peut-être que l’appellation “Fils de l’homme” qu’on a parfois bien du mal à comprendre et à expliquer est bien plus puissante et signifiante que “Fils de Dieu” avec toutes les images tronquées de Dieu qu’on a dans la tête et cette tentation de séparer ce qui est de Dieu et ce qui serait de l’homme. En Jésus la divinité se déploie et nous dévoile un homme parfait.

Cet homme parfait, c’est celui que nous sommes invités à devenir. C’est ainsi qu’on pourrait comprendre le message de son dernier repas : “Ce pain, c’est mon corps. Ce vin, c’est mon sang. Prenez, mangez, buvez en tous et réalisez en votre humanité le projet de Dieu!” Car, quoi ? Ce pain, ce vin, c’est ce qui fait ma chair. De la nourriture qui nourrit mon corps et maintient mon humanité. Vous cherchez mon mystère, qui je suis vraiment ? Eh bien prenez ce pain, ce vin, les mêmes que je prends moi aussi. C’est mon corps, c’est mon sang, abandonnés à l’amour de Dieu, transformés par lui, prenez, mangez, buvez. Et dans votre humanité, laissez-vous transformer par l’amour de Dieu, la vie qui est déjà en vous et qui ne demande qu’à se déployer si vous ne l’empêcher pas. Alors, ne l’empêchez pas! Faites cela en mémoire de moi !

Terrible : même la résurrection, nous pourrions mal la comprendre. Certaines conceptions de la résurrection laissent à penser que Jésus serait devenu “autre”. Dans cette version son humanité a comme disparu, et il est devenu pure divinité, pur esprit. Conséquence, désormais, “dans sa gloire”, il nous aiderait de loin en loin, victorieux et attendant qu’on le rejoigne… Mais ça n’est tellement pas conforme aux épisodes précédents la mort de Jésus, et tellement pas conforme non plus aux récits des apparitions qui font que ses amis vont proclamer qu’il est ressuscité !

Jésus ressuscité, c’est encore et toujours un homme, l’homme Jésus qui passe la mort et continue son chemin. Ressuscité, cela veut dire qu’il est “suscité encore et encore”, que sa vie ne s’arrête pas. Alors bien sûr, on ne parle peut-être pas de ses cellules qui dans leur matérialité peuvent retourner à la poussière. Mais son être, sa “chair” au sens hébreu, qui comprend aussi son élan vital, ne s’arrête pas. Plus encore : même ressuscité, pas question qu’on mette la main sur lui, qu’on le retienne, qu’on l’arrête dans le déploiement de son humanité. C’est assez intéressant de voir que dans les récits d’apparitions post-pascales, Jésus se montre sous la forme d’un homme mais que, au cimetière comme plus tard en Galilée ou à Emmaüs, ceux qui l’ont pourtant côtoyé et bien connu, ne le reconnaissent pas.

Voilà l’homme. Un homme Jésus qui ne se réduit pas à son apparence et qui nous invite à nous préoccuper chacun de notre humanité plutôt que de la sienne. C’est compliqué. Peut-être au-dessus de nos forces ou de notre compréhension. Viendra le moment où l’Esprit-Saint surgira, éclairera notre humanité et l’emportera témoigner tout autour de la terre.

En attendant, vous je ne sais pas, mais moi assez souvent encore : Je cherche un homme (un être humain, un vrai) dans les gens que je rencontre et qui m’éclairera sur ma propre humanité. Pas toujours facile, mais je cherche et j’essaie aussi d’être cet homme-là.

Z – 31/03/2024

Nos corps font partie du cosmos

. . . Nous sommes faits de sa matière – son eau, son carbone, ses électrons, ses protons et ses neutrons. Nous avons la masse et nous éprouvons l’inertie. L’électricité dans nos fibres nerveuses, par exemple, fait partie de l’électricité du cosmos. Les atomes de notre corps, comme ceux des substances étudiées par les chimistes, sont liés par des liaisons. Le noyau de chacun de nos atomes, et aussi de ceux qui sont dans des matériaux différents de nous, est maintenu par des forces nucléaires mystérieuses. Le souffle de notre vie dépend de l’atmosphère qui nous fournit des atomes d’oxygène. Pourtant, nous ne possédons pas nos atomes. Nous les empruntons pour les utiliser tout au long de notre vie et les rendons à la mort.

Our Bodies Are Part of the Cosmos . . .

. . . We are made of its matter – its water, its carbon, its electrons, protons, and neutrons. We have mass and we experience inertia. The electricity within our nerve fibers, for example, is part of the electricity of the cosmos. The atoms in our bodies, like those in the substances that chemists study, are held together by bondings. The core of each of our atoms, and also of those in materials apart from ourselves, is held together by mysterious nuclear forces. The breath of our life depends on the atmosphere that provide us with oxygen atoms. Yet we do not own our atoms. We borrow them to use throughout our lives and surrender them at death.

– Henry A. Garon, The Cosmic Mystique, Orbis Books, 2006, p. 29
cité par The Wild Reed

Mais alors, notre âme, nos énergies, notre être aussi?

La Bible nous dit que Dieu sonde les reins et les coeurs. Ce ne sont pourtant pas les organes corporels qui sont désignés (encore que, Dieu peut bien se préoccuper de notre santé physique) mais plutôt ce qui les habitent : les énergies vitales et les intentions, au sens de direction de vie. Les reins sont conçus comme le siège de l’énergie vitale, et spécialement de la puissance sexuelle, mais pas seulement. Le coeur est conçu comme le centre de l’être, là où résident à la fois les émotions et la volonté. L’ancien testament ne distingue pas le coeur et la tête comme nous le faisons aujourd’hui. Pour lui, c’est tout un.

Quand Jésus est re-suscité, qu’est-ce qui est re-suscité ?
Qu’est-ce qui est vivant ?

Et moi, quand je ressuciterai,
qu’est-ce qui ressucitera ?

Est-ce que j’emprunte à l’univers et le lui rend ?
Est ce que je traverse l’univers
et retrouve mon intégrité
après m’être enfermé un temps
dans la matière ?

Où est la vie ?

Qu’est-ce que la vie ?

Nous ne savons pas.
Pas complètement.

Et l’évènement de Pâques
vient alimenter positivement
toutes ces questions.

Les amis de Jésus disent l’avoir vu re-suscité,
bien qu’ayant du mal à le reconnaître.

Il y a cependant cet élan,
cette force de vie.
Qui les réveille, qui les confirme, qui les entraîne.

Expérience pascale.
Passage de Pâques.

« Jésus a-t-il fondé une religion ou les a-t-il toutes abolies en proclamant qu’il faut détruire les temples parce que le vrai temple de Dieu, c’est l’homme ; qu’il faut abandonner les cultes parce que le vrai service de Dieu, c’est le service de l’homme ; qu’il faut transgresser la loi parce que la seule loi est “Aimez-vous les uns les autres” ? »

Louis Evely, in « Le Chemin de Joie », 1968

Image : “The Rising”, oeuvre de Philip Gladstone

Source texte et photo : via Loquito

En ce temps-là, Jésus leva les yeux au ciel et dit : « Père, l’heure est venue.Glorifie ton Fils afin que le Fils te glorifie. Ainsi, comme tu lui as donné pouvoir sur tout être de chair, il donnera la vie éternelle à tous ceux que tu lui as donnés. Or, la vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ.»
(Jean 17, 1-3)

L’heure est venue…

Voilà deux semaines de suite que la liturgie dominicale nous offre des textes bien compliqués pour qui n’est pas introduit à saint Jean et, au delà, à la tradition hébraïque. Saint Jean est truffé de références à l’ancien Testament d’une manière très subtile, comme si ses interlocuteurs avaient déjà intégré spirituellement le message biblique. Il y a toujours un triple niveau de langage chez saint Jean: l’histoire qu’il raconte, le contenu spirituel auquel il renvoie, promesse de Dieu en train de s’accomplir, et ultimement le renvoi à son actualisation dans l’aujourd’hui et le maintenant du lecteur.

Alors, « l’heure est venue »… Dans le récit johannique, c’est d’abord l’annonce de la Passion. Mais c’est aussi le renvoi au contenu spirituel que porte la tradition biblique. Dans la Bible, le temps appartient à Dieu. Bien avant que les philosophes contemporains ne comprennent que le temps va de pair à la création, les chercheurs de Dieu ont compris que le temps concourrait au plan de Dieu dans l’ordre de la création. Ils l’ont compris avec leur humanité, ce qui fait qu’indistinctement ils découvrent que Dieu accorde un temps de grâces et de bienfaits, ou bien un temps de famine et de désolation.En fait, Dieu s’accomplit à travers les temps de la création.

Comme l’écrit très bien Véronique Margron, suite à la Promesse que Dieu non seulement ne nous abandonnait pas mais allait faire route avec nous jusqu’à faire sa demeure parmi nous, “Il y a eu la longue attente du peuple du Premier Testament, l’attente de la Rencontre durant l’Exode, puis le Temple de Jérusalem. Mais tous espéraient l’Alliance Nouvelle où Dieu demeurerait dans l’âme des siens, intimement présent.”

L’heure est venue de cette rencontre ultime par laquelle désormais tout homme aura accès à Dieu puisqu’il saura en l’exemple de Jésus-Christ que Dieu est le Déjà-Là de son existence qui l’attend patiemment, qui attend que l’homme vienne à lui.

Toi, qui que tu sois, y compris si tu t’interroges à cause de ce que tu découvres de toi en ton orientation sexuelle, sache-le bien : l’heure est venue pour toi aussi. Il n’y a de restriction pour personne à ce temps qui surgit du fond de toi.

Le pouvoir sur tout être de chair

J’aime bien cette nouvelle traduction “sur tout être de chair”. Auparavant on disait: “afin que ton fils te glorifie et que, selon le pouvoir sur toute chair que tu lui as donné, il donne la vie éternelle, etc.”

La formule “le pouvoir sur toute chair” rendait mieux compte de la traduction grecque mais butait sur les connotations actuelles du mot chair. Chair, on le confond rapidement avec corps, et si l’on parle de résurrection, avec la résurrection des corps, comme si les morts allaient sortir de leur tombeaux. Or la foi catholique affirme la Résurrection de la chair, pas celle des corps. Vision mécaniste de la résurrection qui n’honore pas bien la dimension spirituelle toujours présente dans l’hébraïsme. Le mot hébreu “basar” qui désigne la chair est bien plus riche que la seule désignation du corps physique, il désigne l’être profond, la substance, l’essence-même de l’être dans toute sa consistance, y compris les énergies subtiles, et ce principe d’éternité auquel Jésus fait allusion dans le même texte d’Evangile que celui cité en exergue. On comprend mieux alors le mot résurrection : ressuscité, c’est être re-suscité.

Le mot hébreu “basar” a d’ailleurs un autre sens que “chair”, il signifie aussi annonce, bonne nouvelle, nouvelle joyeuse. A peu près l’équivalent du mot “Evangile”, en grec. Et cette nouvelle, cette annonce, qui est aussi chair, elle est finalement le “principe” de l’existence, ce qui est premier et avant toute chose dans le Vivant. Au commencement était le Verbe, dit saint Jean…

L’expression “pouvoir sur toute chair” avait un autre inconvénient. Avec des siècles de théorisation sur le “péché de la chair”, on voit bien à quel style de condamnations ou, pour le moins, de moralisations cela pouvait conduire. Or, ni en grec ni en hébreu, le mot “chair” n’a de connotation sexuelle. Le pouvoir sur toute chair n’est pas un pouvoir qui consisterait à dire ce qui est permis ou non permis en matière sexuelle ou autre. C’est un pouvoir sur le vivant entier, sur le principe de vie, sur la présence divine en chacun. Présence qui désormais peut se libérer et grandir puisque nous savons que le Christ assume notre humanité de l’intérieur.

La formule “l’être de chair” a donc cet avantage d’insister sur ce qu’il y a de fondamental en chacun, avant toute forme d’incarnation : nous sommes des êtres, des êtres voulus par Dieu, voulus pour sa gloire.

Quant au mot “pouvoir”, il ne faut pas se tromper non plus, ce n’est pas le pouvoir au sens de puissance, mais au sens de capacité. Il ne s’agit pas de contraindre quelqu’un par la force mais d’une capacité à le révéler pleinement.

« Glorifie ton Fils afin que le Fils te glorifie.»

Là encore, Jean emploie un mot grec,doxa, qui renvoie à un mot hébreu, kabod. Or si kabod désigne la révérence, les honneurs, la gloire, il désigne aussi la prospérité, la richesse, la splendeur ou la dignité. Pour traduire, il faut bien trouver un mot et on a donc pris “gloire” mais en vérité cela est bien réducteur. Le mot kabod renvoie à la divinité elle même, dans le fait qu’elle est, tout simplement, sans avoir rien à justifier ni quémander.

C’est le sens profond du tétragrammme YHWH auquel Jésus fait d’ailleurs allusion plus loin, dans le même passage d’Evangile lorsqu’il dit : “J’ai manifesté ton nom aux hommes”.(Jean 17,6)

Dieu est. Et il est au principe de toutes choses. Glorifier Dieu, c’est le laisser être en nous et se déployer pour notre plus grand bonheur. Pour le lecteur non-chrétien qui viendrait sur cette page, je précise: il ne s’agit pas d’un esclavage ou d’une dépendance ; non, il s’agit bel et bien d’une libération. Car sans être “connecté” au principe de vie qui nous donne l’existence, nous passons notre temps à nous heurter à des murs, à vouloir être par nous-mêmes, à confronter notre orgueil à celui des autres, dans la souffrance, la guerre, l’opposition, le jugement.

Toi qui es homosexuel, où que tu en sois de cette découverte, sache le bien : Dieu se réalise en toi à travers ce que tu es. Il n’y a pas de condamnation concernant ce que tu découvres de toi. En acceptant qui tu es, tu révèles la Présence de Dieu en toi.

La vie éternelle

Logique avec ce qui précède : la vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ.

Nous savons maintenant que le mot chair est bien plus consistant et subtil que la seule “chair” physique, nous savons qu’elle englobe ce qui maintient l’être et l’existence. Nous avons là le principe de notre origine et de notre fin ultime : nous sommes faits pour la vie éternelle.

Dans ce texte d’Evangile, Jésus rappelle qu’il fût avant le commencement du monde: “Et maintenant, glorifie-moi auprès de toi, Père, de la gloire que j’avais auprès de toi avant que le monde existe.“(Jean 17,5), ce qui rappelle le Prologue de l’Evangile de Jean : “Au commencement était le Verbe.”

Jésus revendique cette “gloire” d’être pleinement en Présence de Dieu. Pas une présence extérieure à lui, mais une présence intérieure, intime et complète. En une succesion d’affirmations distillées tout au long de ce passage d’Evangile, il dit:

« Je t’ai glorifié sur la terre en accomplissant l’œuvre que tu m’avais donnée à faire…
J’ai manifesté ton nom aux hommes que tu as pris dans le monde pour me les donner…
Je leur ai donné les paroles que tu m’avais données…
je prie pour (…) ceux que tu m’as donnés, car ils sont à toi…
je suis glorifié en eux…
Désormais, je ne suis plus dans le monde ; eux, ils sont dans le monde,
et moi, je viens vers toi. »
(Jean 17, 1b-11a)

La vie éternelle, c’est adhérer au principe de vie qui nous fonde et l’honorer de l’intérieur en le laissant s’épanouir complètement à tel point qu’on puisse ressembler à ce qu’on disait de Jésus dans la première communauté des chrétiens : “Il est passé parmi nous en faisant le bien.” Sa vie entière était tournée vers le bien et c’est ainsi qu’il honorait le Nom de Dieu qu’il portait au plus intime de lui-même.

Non seulement la vie éternelle est une Promesse mais elle est déjà là. La véritable question est : sommes-nous capables de nous conduire en enfants de cette Promesse déjà réalisée?

Toi qui es homosexuel et doutes parfois de l’amour de Dieu, entends cette promesse. Elle n’est pas conditionnée par l’acceptation des groupes humains, à leurs faiblesse, leurs limites et parfois leur bêtise.Si tu écoutes au fond de toi, tu dois bien sentir que cette Promesse ne vient pas de l’extérieur et que la voix ou la musique qui la portent, ont des accents de vérité et de profondeur incomparables avec les rumeurs de la foule ambiante. Tu es le seul à pouvoir accéder à cette vérité, à ces mots doux qui sourdent de l’intérieur et qui viennent confirmer que tu es promis à la vie éternelle. Ne t’en prive pas !

Z- 27 mai 2017

Source photo : Charlie et Alex Kotze

Savons-nous vraiment ce que le Nouveau Testament entend par « évangéliser » ?

En grec, le verbe est utilisé pour résumer l’expression « annoncer une bonne nouvelle » : quelqu’un « d’évangélisé » est, en somme, quelqu’un qui a été « mis au courant ». Le verbe peut être employé pour l’annonce d’une naissance, d’un armistice ou pour l’avènement d’un nouveau dirigeant, il n’a donc au départ rien de religieux. C’est pourtant ce mot-là, presque trop banal, que les chrétiens ont choisi pour décrire le plus précieux de leur foi : l’annonce de la résurrection du Christ. Ce qui est intéressant, c’est que le verbe a peu à peu perdu son complément. On n’a plus dit : « mettre au courant quelqu’un de la résurrection du Christ », mais simplement : « évangéliser quelqu’un ». C’était bien sûr pour aller plus vite, mais ce manque de complément a aussi un sens plus profond.

Annoncer la Bonne Nouvelle de la résurrection n’est pas pour les chrétiens parler d’une doctrine à apprendre par cœur ou du contenu d’une sagesse à méditer. Évangéliser est avant tout témoigner d’une transformation à l’intérieur même de l’être humain : par la résurrection du Christ, c’est notre propre résurrection qui a déjà commencé. Par son infini respect vis-à-vis de ceux qu’il rencontrait (visible à travers les guérisons rapportées dans les Évangiles), par son abaissement pour ne laisser personne plus bas que lui (c’est le sens de son baptême), le Christ Jésus a redonné valeur et dignité à chacun. Encore plus : Jésus a été avec nous dans la mort, pour que nous puissions être près de lui dans sa communion avec le Père. Par cet « admirable échange » (Liturgie de Pâques), nous découvrons que nous sommes pleinement acceptés en Dieu, pleinement assumés par lui tels que nous sommes. Les chrétiens des premiers siècles ont résumé tout ceci en disant : « Dieu s’est fait homme pour que l’homme soit fait Dieu ! »

Évangéliser n’est donc pas avant tout parler de Jésus à quelqu’un mais, bien plus profondément, le rendre attentif à la valeur qu’il a aux yeux de Dieu. Évangéliser, c’est lui transmettre ces mots de Dieu qui retentissent cinq siècles avant le Christ : « Tu as du prix à mes yeux, et je t’aime » (Isaïe 43, 4). Depuis le matin de Pâques, nous savons que Dieu n’a pas hésité à tout donner pour que jamais nous n’oubliions ce que nous valons.

(Taizé)

Source texte : www.taize.fr

Source photo : Le monde de Ionath