Tu sais, là-bas,
il y avait un homme
qui pleurait tout le temps.

Personne ne savait vraiment pourquoi il pleurait.
D’ailleurs, personne ne l’avait vraiment vu pleurer.
Il y avait juste ses yeux rougis
qui disaient son immense chagrin.

Quand on le croisait dans les allées du monastère
on le saluait poliment d’un signe de tête,
respectant tout à la fois
sa peine et le vœu de silence.

Des dizaines de personnes,
et plus sûrement,
ont dû prier pour lui,
demandant à Dieu
d’apaiser ses tourments.

C’était un homme doux et affable,
on le voyait à sa manière attendrie
de considérer les personnes
avec ses yeux rougis.

Un regard plein de bonté,
plein d’attention
qui nous faisait nous sentir importants
comme si sa peine
n’avait pas prise
sur ca capacité
à entrer en relation.

Ainsi allait le temps.
Jour après jour, mois après mois
année après année.
Toujours le frère Engelbart,
nous accueillait de son sourire bienveillant,
les yeux rougis et lumineux
à la fois.

C’est un peu par hasard
que j’ai découvert son secret.

Un jour où le père cellérier était absent,
je me suis proposé pour rendre le service
d’apporter les aliments à la cuisine.
Je l’ai reconnu de suite, le père Engelbart.
il était de dos et pleurnichait abondamment
tout occupé qu’il était au service quotidien
d’éplucher les oignons.

Il m‘a regardé passer
et, comme à l’habitude,
m’a salué d’un signe de tête,
les yeux rougis,
avec ce sourire qui lui allait si bien.

Je n’ai rien dit à personne.
pourquoi évoquer un secret qui n’en est pas un,
juste le fruit de notre imagination
et de cette propension que nous avons
à nous mêler de ce qui ne nous regarde pas.

Vous êtes les premiers à qui j’en parle,
Et pour une raison bien particulière.

Figurez-vous que je dois vous faire un aveu :
cette histoire n’a jamais existé.
Ceci n’est qu’un petit exercice
que j’ai entrepris
pour me prouver à moi-même
que j’étais capable d’écrire une fiction,
fût-ce en style poétique.

Ne m‘en veuillez pas,
Parfois, je suis un peu polisson.

Z – 11/05/2025

Illustration : Internet bien sûr.

 

 

Si mes yeux si mes mains
Si ma bouche encor tiède
Si la terre et le ciel
Venaient à me manquer

Si le vent n’allait plus
Porter dans sa nacelle
Mes oiseaux et la part
Infime du secret

Si les tiges de blé
Qui ferment ton visage
N’éclairaient plus la route
Où j’avance à pas lents

Si ce poème enfin
N’était rien qu’un poème
Et non le cri d’un homme
En face de sa nuit

Mon Dieu serait-ce alors
Besoin de tant de larmes.

René-Guy Cadou, le coeur définitif

Source photo : pinterest