“Je suis descendu du ciel
pour faire non pas ma volonté,
mais la volonté de Celui qui m’a envoyé.
Or, telle est la volonté de Celui qui m’a envoyé :
que je ne perde aucun de ceux qu’il m’a donnés.”
(Jn 6, 38-39a)

L’Evangile de Jean m’a toujours paru bizarre, compliqué, redondant, lassant… Certains spécialistes ont prétendu qu’il était peut-être à considérer dans la tradition gnostique, c’est-à-dire cette famille spirituelle qui pense grandir spirituellement à travers la connaissance et une initiation plus ou moins secrète mais en tout cas progressive dans les choses de Dieu.

Pour ma part, je n’en sais rien, je le trouve juste compliqué. Et tant qu’à faire de le partager avec le grand nombre, cet Evangile mériterait bien d‘être décodé.

Alors je vous dis comment je fais.

Comme je veux comprendre au moins un peu, fidèle à moi-même, j’ai alors le réflexe d’aller voir le texte original en grec. Et sur l’Evangile d’aujourd’hui, je me laisse d’abord interpeller par le fait que Jésus dit qu’il est venu du ciel. Ca ne me gêne pas qu’il dise cela, mais du point de vue historique, c’est hautement improbable – dans le monde juif de l’époque, il aurait été lapidé avant la fin de sa phrase ! Non il s’agit bien d’une interprétation théologique ultérieure. Alors plutôt que de me focaliser sur une parole sacrée et définitive qui viendrait de la bouche-même de Jésus (comme si elle-même elle descendait du ciel, lol), j’essaie de comprendre ce que l’auteur et sa communauté ont voulu partager.

« Descendu du ciel », ça donne quoi en grec ?

Descendu : katabaino, ou plus exactement kata-baino. Baino désigne un mouvement fait avec les pieds, comme marcher, venir. Et kata… c’est plus compliqué parce que c’est une particule première (une sorte de préposition) que l’on peut traduire de différentes manières selon le contexte : à, de, en, vers, selon… voire « vers le bas » comme dans le mot cata-strophe : un virage, tournant, vers le bas.

Il semble que associés ensemble, les deux mots kata-baino, indiquent le fait d’aller vers le bas, de descendre, ce que l’on retrouve donc dans l’évangile de Jean. Plus spécifique à Jean, ce verbe est souvent associé au ciel pour parler de Jésus : il est descendu “du ciel” ou plus exactement “il vient du ciel dans un mouvement de haut en bas”. Cette dernière formulation est moins jolie, mais elle permet de rendre compte à la fois de l’idée volontaire de venir, marcher, utiliser ses pieds, et d’un mouvement vers le bas, que contient le mot katabaino.

Alors le ciel ? En grec, ouranos… Peu d’équivoque sur ce mot. Notons seulement que Jean ne l’emploie pour ainsi dire que pour désigner “ce qui vient” du ciel et l’on peut comprendre que c’est une métaphore pour désigner Dieu. Les autres évangélistes parlent par exemple des “oiseaux du ciel” où la métaphore marche moins bien puisque les oiseaux, on les imagine quand même se poser à un moment donné sur la terre ferme ou sur une branche d’arbre. Ils ne vivent pas en apesanteur.

Revenons à Jean. Le ciel semble être celui de Dieu. On en descend. Jésus en descend, et aussi le pain du ciel (Jean 6, 31-41) qui pourrait être la manne donnée aux Hébreux dans le désert mais dont on comprend, par un procédé d’identification, que c’est Jésus lui-même qui est ce pain venu du ciel. Donc donné, envoyé par Dieu.

L’évangéliste doit lui-même faire état des incompréhensions que cela soulève (Jn 6, 41-42) : comment ce Jésus que nous voyons en chair et en os peut-il affirmer descendre du ciel ? “Venir” du ciel ?

Ben oui, c’est un peu compliqué à comprendre et à admettre… Et pourtant, il doit bien y avoir un message.

Mais alors de quel ciel parle-t-on ? Le grec semble trop pauvre pour nous renseigner sur le ciel dont on parle ici. Allons voir ce qu’en dit la tradition biblique, en hébreu. Et là nous tombons sur le mot shamayim, qui désigne, au pluriel, “les cieux”, mot qui apparaît dans 395 versets. Ce qui n’est pas rien.

Sans entrer dans les détails, relevons que dans le monde hébraïque, quand le mot shamayim, les cieux, est employé, ce n’est pas Dieu, c’est juste la limite entre le monde des hommes et celui de Dieu. Au-dessus des cieux, il y a Dieu ; en dessous, il y a le monde créé. Les cieux furent le premier acte de création. « Au commencement, Dieu créa les cieux (shamayim) et la terre. » (Gn 1, 1)

Par son usage, voilà une signification bien plus riche que ne le laissait supposer le terme grec ouranos. Quand Jésus dit qu’il descend des cieux, il ne dit pas qu’il vient de l’espace intersidéral à la façon dont la science-fiction pourrait nous le faire imaginer. Il n’est pas comme éjecté du ciel et envoyé dans une capsule pour nous rejoindre. Je m’étonne même, en l’écrivant, n’avoir jamais vu auparavant l’explication qui me vient maintenant : l’expression « descendre du ciel » veut juste dire qu’il n’y a justement plus cette limite factice entre un monde qui serait celui de Dieu et un monde qui serait celui de la création en général et des hommes en particuliers, le monde du dessus et le monde du dessous.

Il est descendu du ciel : il a ouvert le ciel qui semblait être une limite entre les hommes et Dieu. Limite de compréhension à vrai dire, puisque Jésus ne vient pas abolir mais accomplir : c’est juste que nous n’avions pas encore compris que le Royaume de Dieu, il n’est pas aux Cieux, il est sur terre aussi, actuellement à l’œuvre. Il n’y a pas à se désespérer que Dieu soit loin : Dieu est là, dans la création, dans l’humanité, au cœur de l’humanité, et le ciel, il est déjà dans tous les cœurs qui frémissent à la rencontre du Fils de l’homme. Les cieux, c’est un peu synonyme du Règne de Dieu, il n’est pas ailleurs, là-bas, très loin, au-delà. Il est là maintenant, incarné, venu sur terre, marchant avec nous concrètement (kata- baino), là où nos pieds sont posés.

Bien. Cela étant, pour moi qui m’exprime ici en tant qu’homosensible chrétien, tout ce qui précède n’a pas d’autre intérêt que d’introduire au verset qui suit :

“Telle est la volonté de Celui qui m’a envoyé :
que je ne perde aucun de ceux qu’il m’a donnés”

Les perdus que nous sommes

Passons rapidement sur la volonté, thelema qui vient du verbe theleo, que l’on pourrait aussi traduire par souhait, désir ou plaisir. Ca n’est pas très important en soi, mais, quand même, cela permet de nuancer le côté autoritaire qui est aujourd’hui connoté avec le mot volonté. La « volonté » de Dieu, ce n’est pas un acte despotique de Dieu qui exigerait quelque chose de ce Jésus envoyé dans sa capsule intersidérale, c’est aussi son désir, son souhait, son plaisir. Il plaît à Dieu de ne perdre personne et de venir lui-même nous le manifester, venir nous chercher (parallèles possibles, bien sûr avec la parabole du fils prodigue, racontée dans l’évangile de Luc, et plein d’autres passages). Et donc, tel est le souhait, le désir, le plaisir de celui dont je viens, dit Jésus : ne perdre aucun de ceux qu’il m’a donnés.

« Donnés »… Là encore, attention aux quiproquos que pourraient provoquer les interprétations et connotations différentes du mot “donner”. Le grec emploie ici le mot didomi, souvent employé dans le Nouveau Testament comme dans le notre Père : “donne-nous notre pain quotidien”, ou pour rester chez Jean, dans l’évangile de la samaritaine (Jn 4, 15) : “donne-moi de cette eau…” Il s’agit de l’idée de procurer ce dont on a besoin, de fournir… Le mot didomi ne suggère absolument pas que nous serions des « choses » données à Jésus de manière autoritaire. Non, nous sommes ce dont il a besoin. Sa vie, son besoin, sa subsistance pourrait-on dire.

Reste ce mot sur lequel je voulais finir : les perdus, ceux qu’il ne faut pas perdre. En méditant ce texte, tout de suite mon attention a été attirée par ceux-là, mais, pour bien les situer, il me fallait ce long détour pour y revenir.

Le mot grec employé pour dire perdu est “apollumi“. Le préfixe apo est un privatif comme dans apo-calypse, apo-strophe apo-stasie et llumi désigne la mort, la destruction, la ruine. Il s’agit donc d’échapper à la mort, au néant, au vide. Être retiré de la mort, du néant, de la destruction. Pas question qu’on aille vers le néant alors qu’on est faits pour la vie !

A vrai dire, c’est même plus fort que ça. L’évangile de Jean insiste à plusieurs reprises, avec ce même mot apollumi, sur le fait qu’il ne peut pas y avoir de reste, il n’y a personne qui doive périr.

On trouve cette idée dès le premier emploi de allumi en Jn 3,16 : « Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné (didomi) son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse (apollumi) point, mais qu’il ait la vie éternelle. »

Et pour citer un autre exemple intéressant parce qu’un peu décalé, et qui fait penser du coup qu’il y a une métaphore qui s’adresse à nous par analogie, en Jean 6, 12, après la multiplication des pains « lorsqu’ils furent rassasiés, il dit à ses disciples : Ramassez les morceaux qui restent, afin que rien ne se perde (apollumi). »

Evidemment, en contexte d’homophobie latente, y compris et d’abord à l’intérieur du monde chrétien, cette indication que Jésus ne veut perdre personne interpelle. N’a-t-on pas coutume de dire de quelqu’un qui n’est pas dans la norme qu’il est perdu ou qu’il se perd ? Et notamment les personnes homosexuelles ? Or se perdre, ce n’est pas ça.

En tout cas, dans ce passage d’Evangile, ce n’est pas ça qui est dit. Il s’agit au contraire de ne perdre personne, sans aucune considération autre que de se laisser toucher par le ciel que l’on croyait peut-être se trouver à l’infini au-dessus de nos têtes alors qu’il est déjà là dans nos vies, dans nos coeurs, dans nos veines, dans nos poumons comme l’oxygène qu’on respire.

En résumé, nous dit ce passage, il n’y a personne sous le ciel qui ne doive se perdre, au sens où il serait promis au néant, à la turpitude, à la mort. Et pour pouvoir délivrer ce message, il faut bien entendre, qu’il n’y a plus de limite non plus entre le dessus et le dessous des cieux. Le ciel est venu jusqu’à nous en Jésus, ou plus exactement, en Jésus nous pouvons prendre conscience et goûter que nous sommes faits et avons toujours été faits pour le ciel, c’est-à-dire pour la vie.

Conséquences : si je me sens ou perdu ou rejeté par les événements de la vie, par l’opprobre, par quoi que ce soit ou qui que ce soit, cela ne peut pas interférer avec le plan de Dieu qui est que je ne me perde pas. L’apparence peut être trompeuse, mais la réalité est là : comme le dit l’apôtre Paul, RIEN ne peut nous arracher à l’amour du Christ.

Qu’il soit bien clair alors que l’orientation sexuelle notamment n’a rien à voir avec le fait d’être désiré, voulu, par Dieu qui brise les frontières pour me rejoindre et m’assurer que je ne peux pas me perdre si, une fois pour toutes, je choisis la vie, ma vie, ce qui me déploie et m’épanouit, quoi qu’il en soit des bassesses et autres petitesses qui voudraient m’empêcher de croire que les cieux se sont abaissés jusqu’à moi autant qu’à tous les êtres humains et… – même si ce n’est pas le sujet, je le signale au passage – qu’à toute la création ! Et je n’en serais pas ? Quelle blague !

Z – 29/04/2020

Photo : Matthew Sato sur instagram @itsmattsatto ou sur saveig @mattsato/

fils-perdu

Le temps passe…
Je suis au milieu d’une tempête qui n’en finit pas et que je sais pourtant nécessaire.
Ca secoue de partout, c’est douloureux parfois.
Et ce sentiment inépuisable d’être perdu…
Ne pas savoir, où aller, quoi faire, quoi décider.
Je suis partagé entre deux extrêmes :
Tout abandonner, tout lâcher – laisser faire –
Et me battre, lutter envers et contre tout
– mais je ne sais pas contre quoi et contre qui.
Je ne vais pas me battre contre moi-même, quand même,
Alors que je sens bien que l’enjeu est, au contraire, de me retrouver.

C’est bizarre cette impression d’être comme un fils prodigue
Qui a quitté la maison, dilapidé ses biens, essayé plein de choses,
Fier de mener sa vie, confiant, optimiste, terriblement irréaliste aussi,
Et qui se retrouve sans rien, sinon la faculté de revenir en lui,
Et de se rappeler ce qu’il a quitté, ce qu’il a perdu.
Non pas une richesse matérielle, mais un amour qui le constituait,
Un amour qui sécurisait, un amour qui vitalisait,
Un amour qui sourçait tranquillement
Et le structurait en son être.

Je ne suis pas si vieux que ça,
Et pourtant je n’en finis pas de revisiter l’enfance et l’adolescence.
Comme si quelque chose m’attendait là-bas,
Que j’ai oublié ou perdu.
Et ce quelque chose, il se pourrait bien que ce soit quelqu’un.
La part de moi, irréductible, encore pure
Qui aspirait à la vie, au bonheur.

Comment replonge-t-on dans ses sources ,
Comment y revient-on ?
Le fis perdu médite en son cœur et se prépare.
C’est peut-être le sens de ce qui m’agite.
Qu’on l’appelle tempête ou désert.
Je vais donc revenir,
Demander pardon à mon Père de m’être enfui si loin de lui,
De n’avoir cru qu’à mes propres forces,
D’avoir cru pouvoir vivre hors de ce qui m’origine.

Il y a dans mon enfance et mon adolescence,
Cet appétit de vivre,
Cette soif de découvrir,
Ce bonheur de donner et recevoir,
Cette insouciance même,
Qui rendaient présent l’instant présent.

Comment fait-on pour retrouver le chemin ?
J’ai parcouru tellement de routes depuis.
Comment fait-on pour retrouver le chemin ?

Mon être, réveille-toi.
Même si je t’ai malmené un peu parfois,
Si je t’ai oublié ou, pire, caché et fait taire,
Mon être, réveille–toi.
Car c’est toi qui sais le chemin.
La vérité, c’est que je suis perdu sans toi.
Et j’avais bien besoin de cette leçon.
Mon être, toi qui reçois la vie divine chaque jour,
Pardonne-moi et reprends place en moi.
C’est toi qui sais le chemin de l’Être.

Zabulon – 13/03/2016

 

 

Source image : Ryan by tehhuskeh (deviantart)