Mais
pourquoi as-tu voulu
m’embrasser ?
Je n’étais pas prêt, moi.

Etait-ce un jeu
pour me tester, me provoquer
parce que j’étais sans personne
alors que tout le monde sortait avec tout le monde ?

Etait-ce un signe,
un message que tu m’aurais envoyé
pour le cas au cas où j’aurais répondu,
parce que j’aurais été un aveugle chaste à ton amour et ton désir ?

Etait-ce une farce,
juste une farce peut-être,
sans jeu, sans message, sans amour,
juste pour épater les copains et les copines
et qu’on rigole bien tous ensemble ?

18 ans, étudiant et…niais,
Voilà ce que je suis à ce moment-là.
Pas encore ouvert à l’affectivité,
encore moins à la sexualité.
Des crushs dans le cœur pour des filles parfois.
Pas pour des garçons, voyons, ça ne se fait pas !
Juste des évanescences
pour mes jeux solitaires ou mes rêves érotiques
que je renie instantanément
et que j’enfouis dans les oubliettes du déni,
comme un danger tapi, prêt à se jeter sur moi
mais qui ne serait pas moi, voyons.
Entre garçons ça ne se fait pas.

Mais
qu’est-ce qui t’as pris
de poser tes lèvres sur les miennes ?
Je n’étais pas prêt, moi.

C’est vrai que je t’aime bien
Ta voix surtout
que j’ai reconnue instantanément
dans notre cercle d’étudiants
alors que nous ne nous étions plus fréquentés
depuis l’école primaire.
Tu te rends compte, ta voix seulement,
qui m’a fait vibrer et te reconnaître.

Je ne sais même pas
si toi tu m’as vraiment reconnu,
mais ça t’a amusé cette histoire
et nous nous sommes revus, avec les copains, les copines.
Je t’ai fait entrer dans notre cercle de copains de lycée
et tu es arrivé avec ta bande, ta fratrie, tes potes.

Belles années d’insouciance.
Le temps où l’on était étudiants.
Des rires, des chansons, des repas improvisés,
La fête tout le temps.
La vie façon hippie dans cette petite maison
que tes parents louaient pour vos études
à toi et à ta fratrie.
Bien assez grande pour nous recevoir tous ensemble.

Les bières, les rires, les grandes discussions,
le monde qu’on refait, les manifs auxquelles on va aller,
la lutte contre la tyrannie et tous les fascismes de la terre,
les films à thème du cinéma d’essai,
le stop en bande pour nous rendre d’un point à l’autre
et nous protéger les uns les autres.

Les rires, les chansons
quand Jacques prend sa guitare
et interprète toutes ces belles chansons à texte
qu’il me semble comme découvrir pour la première fois
dans ce contexte simple et joyeux,
avec leurs mots qui donnent la sensation de refaire le monde
parce que nous sommes sans soucis, complices et heureux
et que l’avenir est à nous.
Nathalie qui sort avec Pierre
à moins que ce ne soit déjà avec Philippe,
Laurence avec untel,
et Jean-Marc avec une telle,
et tous les autres,
et ta sœur, et ton frère,
avec leurs rencontres amoureuses respectives.
Et toi qui es tout seul
mais dont la moitié des filles sont amoureuses.
Et moi qui suis tout seul aussi,
mais ça me va bien.
Tout ça, ça me dépasse un peu,
tu sais…

Pourquoi tu m’as embrassé ?
J’ai rien compris.

Tu sais ce jour-là
où je suis arrivé en retard, je sais plus pourquoi.
Vous étiez tous-là déjà assis en rond,
après un repas de pâtes comme à l’habitude
à l’assaisonnement improbable et improvisé.
Ca discutait, ça riait, ça flirtait.
Ambiance bon enfant.

J’étais encore debout au milieu du cercle
en train de saluer les uns les autres,
quand tu as demandé le silence.
Et tu t’es adressé à moi :
– Reste-là, attends, je vais faire quelque chose,
Je te préviens tu vas être surpris

Les autres ont rigolé.
J’ai eu le sentiment qu’ils étaient au courant
mais va savoir, on rigolait tellement pour un oui ou un non.
J’ai haussé les épaules, amusé, comme pour dire :
Ben oui et alors quoi ?
Tu as redit :
– Tu vas être surpris, je te préviens.
– Bon ok, et quoi alors ? ai-je répondu.

– Tu es prêt ? Bouge pas, hein !

Tu t’es avancé.
Tu t’es placé face à moi.
Lentement tu as approché ton visage
et tu as posé tes lèvres sur les miennes.

Ca n’a duré qu’un instant, je crois.
ou peut-être plus longtemps, en fait,
car je me souviens bien avoir eu le temps de fermer les yeux.
Ca n’a duré qu’un instant, trop court peut-être,
et tu t’es retiré à deux pas
et as demandé :
– Alors ?

Tu avais l’air tout content de toi.
Tes yeux brillaient et tu guettais ma réaction.
Les autres riaient et chahutaient.

Et moi, j’étais stupéfait, sidéré, pétrifié.
Vide. Tellement surpris.
C’était tellement inattendu, tout ça,
Je crois que j’ai juste bugué,
incapable de me connecter à moi-même,
ni à mes ressentis ou émotions,
ni à une quelconque intelligence de situation
qui m’aurait suggéré un sens
à cette situation.

Rien. Le vide.
Toi qui attends en face de moi.
Et moi qui dois dire quelque chose

. Alors… ben… Rien, quoi.
Et je hausse les épaules,
de façon un peu dépitée
comme pour signifier un non-évènement.

Une ombre passe sur ton visage.
Tu ricanes, en faisant un peu le fier.
Les autres aussi, sans y accorder plus d’importance.
Les rires, les conversations reprennent.
Plus jamais, on n’évoquera cette scène,
Plus jamais il n’y en aura d’autres.

Maintenant que j’y repense,
des années plus tard,
je crois bien me souvenir
que c’est à partir de ce moment-là
que nos relations se sont distancées.
Tu étais moins disponible
moins impliqué dans notre relation.
Et puis la vie nous a séparés.
les études de l’un à tel endroit
et les autres dans d’autres villes.
Nous nous sommes perdus de vue.

Je n’ai pas ouvert mes lèvres
quand tu as posé les tiennes sur les miennes.
Je me suis demandé parfois
ce qui ce serait passé
si je les avais seulement entrouvertes.

Est-ce que l’histoire aurait été différente ?

Mais je rêve.
Je ne les ai pas ouvertes.
Je n’ai même pas compris ce qui se passait.
Je n’ai rien compris du tout
Et encore aujourd’hui je ne sais pas ce que tu as voulu faire.

Je sais seulement
qu’un jour tu as voulu m’embrasser,
en voulant donner à ce geste
une certaine solennité,
et que, moi, comme un piquet stupide
je suis resté là sans rien faire.

Peut-être
avais-tu senti que j’étais gay
et venais-tu m’aider à le découvrir,
peut-être l’étais-tu toi-même
et était-ce une déclaration d’amour,
peut-être seulement était-ce une invitation à entrer
dans une dimension que je ne connaissais pas.

C’est bête, tout ça.
Quand tu as voulu m’embrasser,
je n’étais pas prêt.

Z – 28/05/2025

source photo : Eliya Akbas et Gabriel Vorbon extrait de Gaïa’s thread, un concept créé et photographié par Solène Milcent pour Kaltblut magazine (octobre 2022)

 

J’embrasse qui je veux.

Quand je veux.

Où je veux.

J’embrasse la vie.

J’embrasse le monde.

J’embrasse le ciel, les étoiles et la nuit.

 

Ash,

Publié le 15 sept 2018 sur son tumblr
#ASH MY LIFE

Photo : love-for-boys.tumblr.com. Nota Bene : L’auteur du blog a annoncé la fin prochaine de ses publications du fait des nouvelles normes très restrictives que Tumblr appliquera dès décembre 2018.

Il m’est revenu l’autre jour ce drôle de souvenir. Un fait insignifiant en soi dont je ne m’étais jamais aperçu qu’il m’avait marqué à ce point.

J’étais alors étudiant dans une ville de province. Encore jeune, passablement immature et totalement dans le déni de l’homosexualité. La mienne,bien sûr, mais d’une manière générale, toute homosexualité. Je vivais dans un monde où elle n’existait pas, où elle ne pouvait pas exister. Le mot-même, homosexualité, n’était jamais prononcé en ma présence. Ce n’est que plus tard que j’ai compris, par exemple, que lorsque mes parents prenaient un air entendu en désignant quelqu’un avec une formule telle que “il est spécial” ou “il est différent”, cela voulait dire qu’il était attiré par le même sexe. Et si, par hasard, on quittait le mode allusif pour évoquer quel “malheur” arrivait dans une famille de nos connaissances, sans que je me souvienne bien des mots employés, je comprenais qu’il s’agissait là d’une maladie, bien triste et handicapante, mais d’une maladie qu’il ne fallait désirer pour personne.

Bref, j’étais jeune, en bonne santé, pas malade pour un sou. J’étais étudiant, avec une chambre seul dans une grande ville nouvelle, tout heureux de la liberté d’être un grand, autonome, loin des parents. J’étais pétri d’idéaux, j’aimais la vie, mes amis, mes études. J’étais naïf, idéaliste, pas encore déniaisé.

Ainsi donc, un midi, je devais retrouver ma bande d’amis qui vivaient en coloc’ dans une grande maison où ils accueillaient largement, pour que nous allions ensemble en cours. Pour ma part, timide et désargenté comme j’étais, j’avais refusé leur hospitalité pour rentrer déjeuner rapidement dans mon studio. Et maintenant je marchais d’un pas rapide pour les rejoindre.

Mon itinéraire me faisait passer devant le restaurant universitaire dont j’aurais pu également bénéficier si ce n’est que la file d’attente était toujours interminable, la nourriture objectivement infecte et le prix du ticket déjà trop cher pour moi puisque j’arrivais à manger pour moins en me débrouillant tout seul.

Dans la rue, personne. Je longe distraitement et d’un pas rapide le bâtiment, le long des voitures garées en épi. Vides, comme la rue est vide. Tout le monde doit déjeuner. Jusqu’à ce que mon regard soit absorbé par un couple à l’avant d’une voiture.

Ici, les mots ne vont pas être assez rapides pour décrire en temps réel tout ce qui a pu se passer en moi. Imaginez. Je passe le long de la route, sans faire attention à rien. J’avise les voitures vides au fur et à mesure que je les passe et là… Tiens non, il y a quelqu’un et… oh, oh… deux hommes qui… deux hommes qui s’embrassent.

J’ai le souvenir d’une confusion de temps. Je me vois marcher tout à coup les yeux fixés sur ce couple qui s’embrasse avec tendresse et ne réaliser que quelques pas plus tard ce que je viens de voir : deux hommes qui s’embrassent.

Tellement inattendu que j’en viens à m’arrêter, à me planter là le temps de réaliser et furtivement tourner la tête en arrière pour regarder si j’ai bien vu. Oui, deux hommes qui s’embrassent.

Confusion du temps, confusion des sentiments. Pourquoi ai-je besoin de regarder cela? Pourquoi est-ce que je me sens troublé au fond de moi? Pourquoi l’impossible peut-il se montrer là devant moi, à portée de regard, de voix, presque de toucher ?

Je ne peux pas rester planté là éternellement. On va me remarquer. Quand j’y repense, il me semble que ce qui me gênait le plus, ce n’était pas que les deux hommes s’aperçoivent que je les regarde, mais c’est qu'”on” s’aperçoive que je les regarde. Comme si j’allais être découvert. Comme si j’allais découvrir quelque chose que je ne voulais pas découvrir et que j’étais encore en train de nier.

Je décide de bouger. J’avance de quelques pas et, comme si j’étais observé, je fais le geste de me raviser comme si j’avais oublié quelque chose, mais je ne veux pas revenir face à eux et risquer qu’ils me voient. Je descends alors sur la chaussée, je longe l’arrière des voitures et reviens vers eux en marchant le long des stationnements sur l’avenue.

A quelques pas de l’arrière de leur voiture, je m’arrête et les regarde : ils s’embrassent et se parlent avec tendresse. Un des garçons vient de sa main caresser la joue de l’autre. Avec beaucoup de tendresse. Tellement de tendresse… Je note que cette joue est légèrement poilue, mal rasée, et ce détail viril me semble tout à coup incongru. Deux hommes qui s’embrassent, et ce sont de vrais hommes. Peut-être parce que je me vis encore comme un grand ado, à la peau encore largement imberbe, je me dis : “ça, ce n’est pas pour moi”, je détourne les pas et reprends mon chemin.

Je ne l’aurais avoué à personne et je n’en ai d’ailleurs jamais parlé à quiconque, mais Dieu que j’étais troublé ! Quelque chose en moi s’éveillait, comme une sorte de révélation : “Donc, c’est possible…”

En retrouvant mes amis, je devais avoir du rouge au visage et être différent. “Qu’est-ce qui se passe? Tu as couru? Ca va ?” demandèrent-ils. Et j’étais incapable de leur dire la vérité puisque j’étais incapable de me la dire à moi-même. Pas question que je laisse monter ce trouble en moi, pas question que je le laisse apparaître. Oui, j’étais alors incapable d’accepter que je venais d’être touché, fasciné et séduit par ce que je venais de voir : juste deux hommes qui s’embrassent.

Zabulon – 30 mai 2017

Source photo : deux hommes qui s’embrassent dans la série Brothers & Sisters

first-time-kissing

 

LA PREMIERE FOIS QU’IL A EMBRASSE UN GARCON

Kadie Elder – First Time He Kissed a Boy

Kadie Elder – First Time He Kissed a Boy

 

Troubled face
Air inquiet
Headphones on
casque sur les oreilles
Forgetting time and place
oubliant  le temps et l’espace
all he wanted
Tout ce qu’il voulait

Feeling stuck
Comme  pris au piège,
Set him free
se libérant
Running out of luck
Perdant toute force
on his knees
en ses  genoux

First time he kissed a boy
He had never never known
cover up is what they told
Feel so cold

La première fois qu’il a embrassé un garçon
Il ne l’avait jamais jamais imaginée
Cache-le, c’est ce qu’on disait
Il avait  si froid

First time he kissed a boy
He had never never loved
walks on a curvy road
Feel so cold

La première fois qu’il a embrassé un garçon
Il n’avait jamais jamais aimé
Marchant sur une route sinueuse
Il avait si froid

Keeping back
Gardant bien
the ghost inside
l’ombre à l’intérieur
Locked him in a pack
Enfermée  dans un paquet
all his life
toute sa vie
all his life
toute sa vie

First time he kissed a boy
He had never never known
cover up is what they told
Feel so cold

La première fois qu’il a embrassé un garçon
Il ne l’avait jamais jamais imaginée
Cache-le, c’est ce qu’on disait
Il avait  si froid

First time he kissed a boy
He had never never loved
walks on a curvy road
Feel so cold

La première fois qu’il a embrassé un garçon
Il n’avait jamais jamais aimé
Marchant sur une route sinueuse
Il avait si froid

Get lost, get lost, get lost
Get lost get lost, get lost

Se laisser aller, se laisser aller, se laisser aller,
se laisser aller, se laisser aller, se laisser aller

N.B. “Get lost”, ici peut être traduit de différentes façons, il semble qu’il n’y ait pas d’équivalent exact en français. Le premier sens est “se perdre” mais ici, d’après le sens de la chanson, c’est aussi s’abîmer, se laisser glisser, se laisser aller, lâcher prise, s’abandonner (enfin) à cette attirance jusque là enfouie et cachée, se laisser aller au plaisir d’être ce qu’on est sans retenue. Se perdre, se perdre…

Le clip officiel peut sembler un peu kitsch. Voici également une version acoustique avec Kadie Elder et ses potes musiciens :