– Pourquoi ne pas publier
Une anthologie de vos poèmes ?

Une anthologie de mes poèmes…
Ah oui, carrément ?

Hum, comment dire ?
Des années de ma première inspiration,
la plus sauvage et la plus stimulante
à la mode d’un Rimbaud adolescent de la fin du XXè
(moins flamboyant quand même),
il ne reste rien.

J’ai tout jeté, déchiré, renié,
comme verbiage inutile,
un jour
de colère ou de désespoir
je ne sais plus.
Il ne reste rien
si ce n’est un recueil de textes
rendus publics par mégarde,
pour rendre service,
parce que j’étais jeune.

Ou bien, est-ce un oubli de ma mémoire défaillante
et des traces subsistent-elles mélangées
à d’autres papiers sans intérêt ?

Parfois, c’est étrange,
j’ai quelques réminiscences
de certains de ces textes de jeunesse disparus.
Il faut croire qu’ils m’habitent
encore.

Mais alors
Les réécrire ?
Oh! non.
Non, non, non, non, non.
Ce ne sont plus que quelques effluves
de temps révolus

Même si c’est le même sang
qui coule dans les mêmes veines,
je trouve qu’il y a quelque chose d’impudique
à revenir à des émotions qui, certes, m’ont construit
mais dont, aussi, je me suis grandement affranchi.

Et puis, depuis, j’ai écrit tellement de fadaises,
empêtré que j’étais
dans une existence inauthentique
que cette partie-là n‘a aucun intérêt.

Des effluves, vous dis-je,
des effluves d’instants passés.
Seuls m’intéressent
les moments présents.

Z- 13 mai 2025

Illustration : Joan Saez (agence Traffic Models) photographié par Ferran Casanova

Tu écrivais
des textes courts
et percutants
quand, moi, j’écrivais
des textes fleuves.
Tu préférais les miens,
j’adorais les tiens.
Nos inspirations
se répondaient,
se stimulaient,
s’interpénétraient.

Parfois,
nous aurions pu finir
le texte de l’autre
tellement
nous nous connaissions bien,
au point
de nous deviner
et de nous émerveiller
sans cesse
de l’autre.
Mais
c’était tellement
plus charmant
d‘écouter l’autre
parler, lire ou déclamer,
avec tout son coeur,
ses tripes,
son être.

Parfois,
nous lisions en public
des textes anonymes
dont nous savions
qu’il était écrit
de l’autre.
Moments
d’intense complicité
qui nous rendaient forts,
invincibles,
certains
d’une amitié
indestructible.

Ces mots,
ce sont des élans
qui nous traversent
et qui nous nourrissent
nous entraînant
toujours plus loin
vers nous-même…
Nous, chacun de nous,
et nous… nous quoi !

Ces textes
qui s’interpénètrent
comme nos cœurs,
comme nos vies,
nos projets,
nos mains
parfois.

Pas nos corps,
pas tant que ça nos vies
finalement.
Nous avons été séparés
avant de savoir
que cela aurait pu être
possible.

Encore trop enfants
sûrement,
pétris des préjugés
qui nous entouraient,
nous n’avons pas su
accueillir l’évidence.
A un moment,
ca a été plus simple
de tout rejeter en bloc.
Pour toi.
Pas pour moi.

Z – 10/02/2025

source photo : blog tumblr 2sundowner69

“J’aurais pu ne pas m’en sortir, c’est-à-dire ne pas accepter de vivre avec la blessure de l’exil, de la séparation. J’ai des amis d’enfance, que je côtoie encore, qui s’en sortent bien plus mal que moi.

Sans l’écriture, je serais moi aussi, certainement dépressif et inconsolable, une personne sans espoir, incapable d’aller vers l’autre.

C’est vraiment pour cela que j’écris : créer un lien avec l’autre, me prolonger en lui.”

Gaël Faye,
Télérama 3492, 14/12/2016.

Source photo : Philip Gladstone, Untitled (kneeling male nude), Mixed-media on paper