“Pour vous qui suis-je?”

Le frère franciscain Nicolas Morin vient de livrer sur facebook une très belle méditation sur ces paroles que Jésus adresse à ses disciples.
Allons plus loin.
Si Jésus, en son humanité, récapitule ce que Dieu fait en lui, c’est-à dire en toute humanité, c’est à-dire en chacun de nous, il nous reste à accepter d’être, chacun, celui qui vient déranger les autres par cette question : pour vous qui suis-je ?…
En étant différent, en étant autre, en étant d’une autre orientation sexuelle, pour toi/ vous qui suis-je ?
Et plus loin encore, en quoi mon humanité transcendée par l’acceptation de qui je suis vient-elle toucher ton humanité et favoriser son épanouissement?

Source photo : Film Jonas

Je suis à nouveau avec cette question : maintenant, que faire ?

Il m’a fallu du temps pour accepter mon homosensibilité, pour constater qu’elle n’était en rien incompatible avec le fait d’être chrétien.

Et je partais de loin.

Avec cette idée introjectée par je ne sais quel mécanisme et quels conditionnements qui m’ont fait repousser l’homosexualité comme étant anormale et dangereuse pour moi depuis aussi loin que je m’en souvienne. Et cet enfoncement dans un déni terrible, barricadé de partout, qui m’ôtait l’accès à une partie essentielle de moi-même puisqu’il s’agissait de qui j’étais.

Mais pas qui j’ étais dans un détail futile, vous comprenez, qui j’étais dans ce qu’il y a de plus précieux en moi. Ma capacité à aimer, à me recevoir et à me donner, à exprimer et à accueillir de la tendresse et de la douceur. Tout ce qui fait qu’un être humain est à l’image de Dieu (« Apprenez de moi que je suis doux…et humble de cœur » dit Jésus).

Bref toute une vie amputée de moi-même dont je ne vais pas dire qu’elle est gâchée mais durant laquelle, en termes d’affectivité, d’authenticité et de don de soi, j’ai perdu du temps que j’aimerais aujourd’hui rattraper.

Las ! Les années ont passé… Pour ce qui est d’une rencontre amoureuse, c’est devenu bien compliqué, et peut-être n’y crois-je pas assez. Je suis encore amoureux du souvenir de l’ami de la fin de l’adolescence, qui, sans le savoir, m’a révélé à moi-même, à ma capacité d’aimer, de me donner. Et cela semble si loin que je ne sais si cette « magie » peut se reproduire. En tout cas, ce n’est jamais arrivé depuis.

C’est bizarre que je parle de cela. En commençant cet article, ce n’était pas mon intention. Je voulais parler de l’acceptation, certes, mais de ses conséquences surtout.

Donc je suis gay et chrétien. Très bien. Je n’ai pas besoin de le crier sur les toits ni de le montrer ostensiblement. En tout cas, pas tant qu’une vie sociale ne me l’imposerait, par exemple en cas de conjugalité.

Je suis gay et chrétien. Et tout est bien. C’est si simple, finalement. Pourquoi donc m’en suis-je fait un problème pendant des années !

Je me suis demandé un temps si d’être gay changeait la manière d’être chrétien. J’aurais pu me demander aussi si d’être chrétien changeait la manière d’être gay. Je voulais me rassurer, j’imagine, en me posant ce genre de questions. La vérité est qu’on s‘en fiche pas mal, n’est-ce pas ?

Et je me retrouve avec ce blog qui a eu en quelque sorte la vertu thérapeutique et spirituelle de m’aider à accoucher de moi-même et je ne sais plus quoi faire avec.

Je n’ai pas envie d’en faire un blog de pieuserie. Certes, j’aime lire les Evangiles et assez souvent j’ai partagé ma compréhension et ma méditation des Ecritures. Soucieux de vérifier pour moi-même, et de partager aussi, qu’il n’y a rien dans les Evangiles qui justifie le rejet de l’homosexualité. Mais qu’est-ce que cela a d’original ou même d’intéressant ? Chacun est capable d’accueillir la Parole et la laisser le transformer.

Je voudrais bien partager des choses intimes comme par le passé, des choses qui ont pu toucher certains lecteurs, parce que j’arrivais à mettre des mots sur des choses vécues aussi par d’autres qui n’ont peut-être pas cette facilité à mettre en mots. Mais la vérité est qu’en ce moment, je suis sec de tout ça. Pas inspiré. Pas dans cette énergie diraient les gens du « développement personnel ».

Reste ce constat qu’ici ou là, il existe encore des chrétiens, jeunes ou moins jeunes, qui vivent mal la découverte de leur orientation sexuelle, qui se croient malades ou pécheurs, ou – pire – damnés, et cela m’afflige énormément. J’avoue que maintenant que j’ai franchi le pas de mon acceptation, j’ai du mal à croire que cela soit encore possible. Et pourtant c’était moi il y a encore si peu de temps ! Je dois lutter pour me rappeler qu’il y a des frères et des soeurs qui sont encore dans le combat que je viens de traverser et qui, une fois passé, semble pour moi comme s’évanouir, comme s’il n’avait jamais existé, ou en tout cas comme s’il n’avait aucun intérêt.

Il y a aussi la bêtise de ceux qui utilisent la Bible ou leur représentation de la foi chrétienne pour condamner les autres. Et là, j’avoue que quelque chose en moi s’indigne. Un feu qui couve encore s’attise, se rallume et a envie d’éclater en mille incandescences pour montrer la vanité et la futilité de tous ces pseudo-arguments qui ne traduisent que les peurs ancestrales de la non-survie de l’espèce.

Que faire ? Les associations « gays », dans leur approche communautaire, forcément limitative, ne m’attirent pas. Je l’ai déjà dit je préfèrerais une église inclusive dans laquelle les uns et les autres se fréquentent et se parlent. Je n’ai pas envie que mes loisirs, mes intérêts, ma vie entière ne se passent qu’avec des gays !

Que faire ? Je tiens à mon anonymat. M’engager plus loin, pour des raisons de légitimité à parler comme je le fais, m’obligerait à toujours plus me dévoiler.

Oh que ce n’est pas simple. Se taire, je ne peux pas tout à fait m’y résoudre, faire plus je ne sais pas si j’en suis capable. Pas seul, en tout cas.

Je suis comme ce garçon sur cette image. Capable de me dénuder, de danser comme au soleil et de lancer des perches à droite à gauche, tisser des liens, mais c’est comme à l’abri des regards et pour un cercle d’initiés. Et cela ne me convient pas tout à fait non plus.

Voilà. J’avais envie de partager tout ça pour donner un peu de nouvelles. Vous êtes plusieurs à attendre patiemment que je publie, à me demander de le faire, parfois. Et c’est devenu difficile sans que je sache pourquoi. Je ne sais plus bien ce qu’ « on » attend de moi. « On » est un c**, n’est-ce pas ? Ce n’est pas à quelqu’un de me dire ce que j’ai à faire. Mais jusqu’ici je sentais comme une force en moi qui me travaillait et avait besoin de jaillir et s’exprimer. Et aussi douloureux que ce soit, c’était une force de vie, et il était facile de la laisser s’exprimer comme étant la volonté bonne de Dieu pour moi et pour d’autres.

Mais là, tout est calme.

Ce n’est pas qu’elle n’est plus là. Oh non ! Je sens bien encore en moi cette puissance prête se réveiller et à aller plus loin. Mais pour le moment, elle dort, ou prépare d’autres choses, qu’en sais-je ? C’est curieux cette manière d’en parler comme si elle était autre que moi, n’est-ce pas ? Car cette force est pourtant une partie de moi que j’assume et revendique.

Et c’est bien ce qui me rend actuellement perplexe. C’est comme si elle s’était rendormie après que le travail ait été fait. Et pourtant je sais bien plusieurs choses : que mon chemin n’est pas terminé, qu’être homosensible n’est toujours pas si simple, que la bêtise homophobe est toujours là, et je sais aussi que certains d’entre vous m’attendent.

Bon. Je sais tout ça. Mais il va falloir être patient. Vu que je n’ai pas la réponse à cette question, même après avoir écrit ce long texte – parfois l’écriture se révèle chemin et la réponse vient chemin faisant – à cette question : Maintenant, que faire ?

En attendant, bonnes vacances !

Z – 13/07/2020

Quand arriva le jour de la Pentecôte,
au terme des cinquante jours après Pâques,
ils se trouvaient réunis tous ensemble.
Act 2, 1

Que dire ? En ce temps de déconfinement, cette parole prend une consonance évidemment particulière.

Une lecture rapide pourrait être : Allez, voilà, recevez l’esprit de liberté et de légèreté, sortez de tous vos fardeaux et emprisonnements, déployez-vous ! Tant de gens , oh oui tant de gens, attendent cette bonne nouvelle !

Le magazine La vie rappelle fort opportunément dans son numéro de cette semaine dédié à l’histoire de la solidarité chrétienne que l’Eglise s’origine dans ce fruit immédiat de l’Esprit qu’est le vivre ensemble : communauté de vie et partage avec les pauvres. Et pas en tant que pauvres ! En tant que frères !

Bien sûr, ce récit est idyllique, mais il reste quand même la marque de l’église ( = la communauté) qui se crée autour de la présence et du faire mémoire de ce Jésus le Christ, qui, bon sang de bonsoir, n’a pas fini de dire son dernier mot. Puisque je suis, puisque nous sommes, nous les suivants de Jésus le Christ, son dernier mot.

Idyllique parce que le « voyez comme ils s’aiment » n’a probablement jamais existé tel que nous l’imaginons. Dommage, n’est-ce pas ? Et pourtant, il a existé et existe dans nos désirs, nos envies, notre projection du meilleur de ce que nous avons à faire ensemble. Vivre ensemble, nous accueillir mutuellement dans nos différences, ne pas nous juger partager nos biens, protéger les plus fragiles.

Vision idyllique mais pas fausse : oui nous sommes une famille, oui nous sommes tous les aimés du Père, les frères de ce Jésus venus sur nos chemins nous réconcilier avec nous-mêmes et les uns avec les autres. Oui, oui et oui !

Jésus vient nous visiter dans nos confinements et l’Esprit vient nous inviter à sortir de ces confinements. Infini respect de nos enfermements, de nos traumatismes, baume guérisseur sur nos plaies de non amour par Jésus notre frère, mais invitation à nous décentrer de notre petit moi, y compris dans notre petit moi blessé, pour aller en guéri, en sauvé, en ressuscité, partager cette bonne nouvelle au monde entier.

Ce n’est pas magique. Cela vient forcément de l’intérieur, pas de l’extérieur. Cf l’article que j’ai déjà posté sur ce sujet à propos de flammes de Pentecôte non pas qui se posent mais qui apparaissent en chacun : Et si on s’asseyait !

Notre confinement à chacun. De nous-même à nous même. Jésus vient le partager et nous en libérer. L’Esprit de Jésus vient en faire une force qui va témoigner dans le monde entier.

Et comment c’est possible ? Je n’en sais rien… Mais je trouve qu’il est un peu trop rapide de dire que la fête juive de Chavouot (terme hébreu pour dire Pentecôte) n’a rien à voir avec la Pentecôte chrétienne comme je l’ai lu récemment ici ou là.

D’abord parce que Luc qui écrit les Actes des Apôtres, certes en milieu hellénisant mais en devant tenir compte des judaïsants de la diaspora, ne peut pas ne pas faire le lien avec Chavouot quand il évoque la fête de Pentecôte. Et puis, dans cette reconstruction théologique postérieure que sont les évangiles et les actes, comment ne pas voir que c’est savamment voulu et porteur de sens ? Quoi qu’il en soit de la véracité historique, si ça n’avait pas de sens, il n’aurait pas eu besoin de mentionner la fête de Pentecôte, il suffisait alors de mentionner que les apôtres étaient confinés avec leur trouille dans un coin de Jérusalem et qu’un événement imprévu est venu les en libérer et les en faire sortir.

Alors, pourquoi ne pas se souvenir que la Pentecôte/Chavouot est tout simplement la fête des moissons ? Le temps où on récolte, où on partage, où on assure la vie pour les temps qui viennent…

Il y a un temps où on sort de la cabane (eh oui ! Voir ici), re-gaillardi, soigné, guéri, libéré, et où on s’occupe des autres et de ce monde qui va mal. Oui, il est un temps où on moissonne.

Le temps de la germination et de la floraison est terminé. C’est le temps de la moisson. Qu’ai-je à moissonner dans ma vie, quels grains ai-je à apporter au moulin, quelle farine à celui qui meurt ?

Ok ok, c’est peut-être pur délire de ma part. Ok… Mais pourquoi Jésus dit-il ailleurs qu’il espère qu’il y aura assez de moissonneurs ? Si chacun ne moissonne pas dans sa vie, qu’a-t-il à moudre ? Qu’a-t-il à apporter? Qu’a-t-il à partager ?

Bon, certains relèvent que le sens de fête de la moisson (Chavouot) a cédé le pas sur une fête rappelant le don de la Loi. D’accord, et cela fait-il une différence ? Si tu as reçu la Loi, t’enfermes-tu dedans et cadenasses-tu toutes les issues, ou prends-tu sa puissance de vie, sa puissance structurante, pour jaillir de terre et porter ton fruit? La loi – bien comprise ! – c’est la vie, Jésus n’a de cesse de le rappeler. Il n’y a pas de loi divine qui ne soit au service de la vie. Loi qui dépasse les règlements réducteurs qu’on en fait. Un seul principe : la vie!

Fête des moissons, fête du don de Loi, fête de l’Esprit : c’est exactement pareil au fond. Après le temps de l’appropriation, il faut porter du fruit, sortir le fruit – pour me faire bien comprendre, je vais employer un mot fort : expulser le fruit de soi. Donc oui sortir du confinement, sortir de la Loi, vivre de l’esprit qui nous a fait naître et nourrit. Il est un temps où il faut sortir et donner à la terre – c’est à dire à l’extérieur, aux autres – ce qui lui revient. Regardez une tubercule germer par exemple: c’est tellement merveilleux ! Voilà une pomme de terre, bien lisse de partout, avec une consistance apparemment uniforme, et voilà que, quand les conditions sont réunies, le processus de germination s’enclenche…

Quelle merveille n’est-ce pas que la vie confinée, que la Loi méditée et ruminée, que l’esprit de Dieu observé en ce Jésus qui a croisé nos chemins, ne puisse que jaillir de nos propres existences.

Bon réveil, les moissonneurs ! Bon déconfinement !

Photo : Ben Brooksby, alias The Naked Farmer qui publiait des photos de son activité d’agriculteur dans le plus simple appareil mais toujours de manière pudique jusqu’à ce qu’Instagram lui ferme son compte.

Les évènements actuels, et spécialement la possibilité du déconfinement ont remis à l’honneur un phénomène assez connu appelé syndrome de la cabane ou parfois de l’escargot.

En gros, cela consiste à avoir peur de sortir de son déconfinement après avoir été contraint de s’enfermer pour des mesures de sécurité. Certaines personnes ont tellement intériorisé ce besoin de protection – peut-être parce qu’elles y étaient déjà psychiquement prédisposées – qu’elles peinent à sortir de leur coquille. Il s’agit d’un état émotionnel transitoire, et non d’une pathologie, mais qui peut se révéler parfois assez handicapant s’il n’est pas accompagné intelligemment par une prise de parole raisonnée sur ce qui se passe et un encouragement à passer à autre chose.

Ce “syndrome” n’est pas nouveau, il a été formalisé pour la première fois dans les années 1900 pour décrire la situation des chercheurs d’or aux Etats Unis, isolés dans des cabanes, tous les sens aux aguets par peur de se faire détrousser ou tuer. Il fait clairement appel à un réflexe de survie archaïque qui consiste à se protéger lorsqu’un danger extérieur inconnu et insaisissable nous entoure.

Très bien. J’arrête là l’explication. Je me disais juste en lisant différentes choses sur le sujet et étant confronté à des personnes qui exprimaient leur peur du déconfinement, de sortir dans la rue, prendre à nouveau le métro ou un train pour aller voir leurs familles, etc. que probablement beaucoup de personnes homosensibles vivent ce syndrome de la cabane depuis des années, parfois depuis l’adolescence ou l’enfance.

Quelle différence y-a-t-il en effet entre la mise de soi-même au placard, comme instinct de survie permettant de continuer à se faire accepter de sa famille, sa paroisse, son quartier, la société, et cette peur de sortir de chez soi au cas où le danger, imaginé très grand, serait encore là ?

Continuons la comparaison qui n’est pas qu’une métaphore.

Les observateurs de la psychologie nous disent que le syndrome de la cabane est transitoire et n’est pas pathologique. Tant mieux ! Non plus le faire d’être homosexuel et d’être obligé de le taire, le nier, se cacher quand c’est un instinct de survie. Sauf que l’état transitoire a duré parfois bien longtemps. Il sera facile de s’en libérer une fois pour toutes une fois le coming out* fait (un peu comme ce lieu commun qui dit que quand on sait faire du vélo, c’est pour la vie : quand on sait faire du vélo, on ne peut pas oublier qu’on sait en faire). Mais parfois les séquelles sont lourdes en termes d’image et d’estime de soi, de capacité relationnelle, et d’ouverture à un amour réel et désintéressé.

La bonne nouvelle est qu’il est possible de sortir de cet état de stupeur qui empêche d’avancer et de se dévoiler tel qu’on est. Faire les choses petit à petit, prendre le temps, aller vers soi pas à pas, sans précipiter les choses, et se faire accompagner par une personne qui pratiquant l’accueil inconditionnel, saura nous faire sentir, pour la première fois peut-être, que non seulement ce n’est pas grave d’être homosexuel mais au fond c’est même plutôt bien. Oui, vraiment, c’est très bien, puisque ça nous est adapté. Et même plus, pas seulement adapté. C’est juste que c’est nous, que c’est soi.

Se rencontrer soi et se considérer avec bienveillance. Parfois avec la présence d’un témoin amical qui confirme que ce chemin est possible, voilà la clé.

– – –

(*): Je rappelle qu’il y a trois phases possibles dans le coming out : 1/ celui qu’on se fait à soi-même (sortir du déni, assumer qui on est pour soi), 2/ L’exprimer, le partager avec des gens de confiance (amis, famille, proches) 3/ le vivre socialement et publiquement.

Le plus important des coming out et le seul nécessaire à son intégrité psychique est le premier, les deux autres sont à décider au cas par cas si cela est opportun.

– – –

Photo : © Guy Moigne

“Seigneur, est-ce maintenant le temps
où tu vas rétablir le royaume pour Israël ?”
Act 1,6

L’histoire des représentations et notre imaginaire aiment bien se représenter Jésus, sur une colline, qui s’élève dans les airs.

Le texte des Actes des Apôtres ne dit pas ça.

Il parle d’un repas – un de plus ! – durant lequel s’établit une conversation entre Jésus et les désormais onze apôtres et pas encore à nouveau douze.

Et sans transition, voilà qu’il s’élève dans le ciel et que ses amis continuent de fixer le ciel jusqu’à ce que des envoyés de Dieu lui-même – des anges ! – leur demande d’arrêter de fixer le ciel et de retourner à leurs affaires, non sans avoir préciser que ce Jésus reviendrait de la même manière qu’il est parti. Du ciel, donc.

A propos de ce ciel, je renvoie donc à ce que j’en disais récemment (ici), qui peut être utile à ne pas interpréter n’importe comment. Il y aurait le ciel où est Jésus, d’où il reviendra. Et il y aurait la terre de Galilée (très à propos, le texte rappelle aux amis de Jésus qu’ils sont galiléens, donc pas judéens, pas vraiment attachés au culte du Temple et d’Israël…). En fait, comme Jésus a brisé cette séparation fictive entre ciel et terre, cela interroge à nouveau. De quel ciel parlons-nous, où est-il parti et d’où va-t-il revenir ?

Et c’est là que la question « Est-ce maintenant ? » et du contexte du repas prennent tout leur sens.

Repas… Avec nos deux mille ans d’histoire, on pense tout de suite au repas eucharistique. Forcément. Un repas, en présence du Ressuscité, qu’est-ce que cela pourrait être d’autre ? Cela étant, c’est un repas entre amis, entre vrais amoureux de Jésus. Les onze, encore un peu froussards ne sont pas là juste par convention sociale ou représentation de leur identité culturelle catholique.

« Galiléens », « vous recevrez une force », « pourquoi restez-vous là à regarder le ciel », « ne pas quitter Jérusalem », « y attendre que s’accomplisse la promesse du Père »… Autant d’éléments qui incitent à se rapprocher du concret et à ne pas chercher à s’évader des circonstances historiques et matérielles dans lesquelles nous sommes invités à vivre.

Au passage, le rappel qu’ils sont Galiléens renseigne sur la réponse concernant un royaume qui ne viendrait que pour Israël. Assumez donc d’être galiléens, d’être au carrefour des nations. Assumez votre ici et maintenant, au lieu de vous chercher des missions prestigieuses et rêvées.

Et maintenant alors, qu’est-ce qu’on fait ?

La réponse de Jésus, telle que rapportée dans ce texte est tellement d’actualité ! En gros – interprétation libre, bien sûr : ne vous préoccupez pas des changements socio-politiques, ça n’est pas votre affaire, mais témoignez de ce que vous avez compris de mon évangile. Vous allez recevoir une force pour cela, une force intérieure.

Pourquoi je dis intérieure ? Parce que Jésus passe quarante jours à leur parler en privé du Royaume des cieux, nous dit le texte – et que s’il est cohérent il est encore en train de leur dire qu’il est déjà là. Mais si on regarde bien, la force, ce n’est pas lui qui va leur donner, il s’en va, il reviendra, mais la force viendra du Père ( ?) (c’est pas précisé), en tout cas cette force semble s’appeler l’Esprit Saint. Et pourquoi ce n’est pas Jésus qui envoie sinon parce qu’il ne s’agit pas de l’idolâtrer comme celui sans qui rien n’est possible mais de recevoir REELLEMENT et TOTALEMENT cet esprit pour soi, en soi. C’est le même Esprit que celui de Jésus, mais il est promis à tous. Donc il faut authentiquement le recevoir et l’accueillir en soi, en sa propre humanité.

Bon, ben alors, est-ce maintenant ? Euh, oui, il se pourrait bien que ce soit maintenant que tu reçoives l’esprit qui animait Jésus et que tu sois chargé et envoyé pour continuer de le répandre sur cette pauvre terre! Souviens-toi : le ciel s’est abaissé, Jésus comme Christ en a franchi les limites, et cette force du ciel déjà en action (le Royaume des Cieux est déjà là) n’attend plus que toi. Cette fameuse distinction entre Royaume et Règne… Le Royaume est déjà là, mais est-ce qu’il règne déjà en toi ?

Il se pourrait bien en effet que le ciel soit descendu jusqu’à toi, mais toi es-tu là?

Si oui, qu’attends-tu pour aller ? Si non, qu’attends-tu pour le recevoir ? Tu ne vas pas encore nous faire le coup des scribes et pharisiens qui jugent de l’extérieur, font des commentaires sur tout et n’importe quoi sans savoir de quoi ils parlent, non ?

Est-ce maintenant ? Ca dépend de toi… tu es où, là, maintenant ? Tu fais quoi pour que le Royaume des Cieux soit dans ta vie et que cela irradie au-delà de toi ?

Attention, je ne parle pas de grandes dévotions sur le Christ Roi, le Règne céleste, la suprématie du Christ, etc. telles qu’elles ont été dévoyées dans une fantasmagorie avide de merveilleux et de soumission – tellement pas le message de Jésus tel que nous le transmettent les Evangiles ! Je parle de cette cohérence de vie, de cœur et d’action qui fait qu’en te voyant, en te touchant en te côtoyant, on puisse se dire : le Royaume des Cieux est venu jusqu’à nous, Dieu nous aime et nous ne le savions pas, Dieu accepte notre humanité et ne la juge pas. Dieu nous aime, quoi ! Tels que nous sommes !

Moi, je ne fais pas plus ni mieux que les autres, j’essaie d’être cohérent et par ce modeste blog de témoigner de l’amour de Dieu envers chacun. Et toi que fais-tu ? Parce que, c’est maintenant.

– – – – – – – – –

Photo : Tobias Worth photographié par © Michael Laurien pour Adon Magazine