Un peu dans la même veine que l’article précédent, je voudrais m’arrêter sur un verset de la première lecture de ce joru auquel on ne fait pas suffisamment attention :
« Il nous faut passer par bien des épreuves
pour entrer dans le royaume de Dieu. »
(Act 14,22b)
C’est Paul et Barnabé, nous dit-on, qui exhortent les disciples à persévérer dans la foi en utilisant ces mots. Le message passe assez inaperçu parce que dans ce chapitre 14 des Actes des Apôtres, on est en fait tout à la joie de voir l’annonce chrétienne se propager et s’organiser dans l’univers méditerranéen. Les deux amis vont ici et là, créent des communautés, désignent les anciens. L’expansion de l’Eglise est en marche et semble elle-même une bonne nouvelle.
Et pourtant, il y a cette incise au milieu de l’énumération de leurs exploits. Le conseil est clair, il s’agit de garder la foi au cours d’un voyage qui ne sera pas de tout repos. Peut-être parlent-ils de leur propre voyage, mais tel que, placée dans le texte, la phrase citée plus haut a plutôt l’allure d’un conseil spirituel donné à tout un chacun.
Se convertir au message évangélique, ils l’annoncent : ça va secouer ! Ca ne va pas être si facile que cela car tout un travail de conformation au message reçu va s’opérer dans les fidèles et ce travail n’est pas si agréable que ça parfois. Non pas qu’il soit désagréable non plus, mais c’est comme parcourir un chemin non aplani, ça secoue dans tous les sens.
C’est le mot “épreuves” qui me suggère cette réflexion. Dans d’autres versions on trouve à sa place le mot “tribulations” qui vient du latin et qui traduit grosso modo la même idée que le mot grec employé dans le texte des Actes des Apôtres: thlipsis . Seulement le sens de thlipsis (qu’on traduit parfois par épreuves mais aussi détresse, tourments, pression, oppression, etc.) est beaucoup plus subtil qu’il n’y paraît. IL vient en effet d’un autre mot grec thlibo d’être pressé, pressuré, rétréci.
Pressé comme une grappe de raisin ou comme Jésus qui monte sur une barque pour ne pas être pressé par la foule (Mc 3,9). Rétréci comme un chemin resserré (Mt 7,14) et ne laisse plus passer autant de monde à la fois, où dans lequel on peut se retrouvé du fait de ce goulot d’étranglement comme pressé et même oppressé.
Et ce mot thlibo est lui-même apparenté à tribo, sentier (comme dans “aplanissez mes sentiers”, reprise en grec de la citation d’Isaïe dans les évangiles).
Essayons de bien comprendre le message de Paul et Barnabé. En employant le mot thlipsis, ils ne disent pas que Dieu va envoyer des malheurs, ils ne disent pas non plus que ceux-ci seraient nécessaires, ils ne suggèrent pas non plus qu’il y a aurait des preuves à donner à Dieu, ce que parfois nos esprits inattentifs semblent comprendre du fait de la proximité entre preuve et épreuve. Ce n’est pas une menace, ce pas une annonce, ce n’est pas un test. C’est juste un constat.
Suivre Jésus d’un coeur sincère alors qu’on a baigné dans une culture et une éducation qui nous ont conditionnés à avoir une autre vision de l’homme, ça va forcément secouer, dans le sens où il va forcément y avoir un certain nombre d’ajustements à faire dans sa vie et ce dans un monde, face à d’autres personnes, qui n’y sont pas préparés et vont organiser la contradiction à ces changements de vie.
Bref, ce ne sera pas un voyage monotone, il va falloir se débarrasser de vieilles conceptions qui n’auront plus cours et auxquelles on est pourtant accroché. Possiblement, cela va changer nos attitudes, nos postures, nos codes moraux, etc. Pas mal de choses en fait. Ca ne devrait pas changer à cause de dogmes, d’impositions morales venues de l’extérieur, de jugements à l’emporte-pièce sur ce qui est bien ou pas bien, mais simplement parce que c’est le résultat de l’adhésion d’un coeur sincère à la vérité de qui il est.
Concevoir Dieu comme un être créateur qui aime inconditionnellement ses créatures, qui invite à en tirer les conséquences concrètes dans ses relations aux autres à l’exemple de Jésus, et à ne laisser aucune cellule de notre être à l’écart de cet Esprit qui renouvelle tout (appréciez la formule trinitaire !), voilà qui change tout dans une vie.
Voilà pourquoi, le simple fait de se réconcilier avec soi-même, au sens de se retrouver en intégrité avec soi-même, sans rejeter ni occulter ni dévaloriser ni minimiser aucune partie de soi est si important. La bonne nouvelle que nous sommes aimés concerne l’intégralité de notre humanité. Telle est l’anthropologie chrétienne.
On comprend alors que ce travail de vérité sur moi-même et d’ajustement de sa vie à la découverte que tout de moi est aimé, ça secoue un peu. La foi me travaille comme une grappe de raisins qu’il va falloir presser pour obtenir le jus, elle me fait abandonner des parties de moi devenues inutiles parce que inauthentiques, elle me fait affiner ce qui est important pour moi au point que le chemin se resserre car je ne veux plus tout et son contraire, je veux seulement être moi dans un univers où j’encourage les autres à être eux.
Quand, dans l’article précédent, je commente la prise de conscience des personnes homosexuelles qui se retrouvent pris dans une “vie de patachon” dont elles ne veulent plus, je dis à peu près la même chose. Pour le dire autrement, c’est le passage au tamis. Il ne restera que ce qui est vrai, tout le reste peut partir. Alors oui ça secoue. Mais le simple fait de pouvoir verbaliser que je suis en train de vivre une vie de patachon ou que je me pressé comme une vigne à vendanger ou raviné comme un chemin de plus en plus étroit, alors que j’aspire à la vérité, est le signe que ce travail est déjà commencé. Les anciens maîtres spirituels auraient dit dans leur phrasé antique que c’est le signe que le travail de purification est en cours.
Bref, si ça secoue, c’est normal !
Si le rédacteur des Actes prend le temps de le faire dire à Paul et Barnabé, au milieu d’un récit qui raconte la multiplication des disciples, c’est qu’il doit bien connaître la propension des hommes et des femmes à l’émerveillement et à la facilité. Personne n’a dit que ce serait facile ni que ce serait merveilleux.
C’est un peu comme parcourir un chemin de grande randonnée, il va falloir marcher, donc avancer, transpirer. Et si l’on est équipé trop lourd, ce qui est le cas dans la plupart de nos existences, eh bien il va falloir lâcher à un moment ou un autre ce qui nous encombre et n’est pas utile pour ce voyage-là. Êtres libres. C’est un autre sujet que je traiterai peut-être un jour aussi mais liberté et vérité sont deux réalités connexes. L’une va avec l’autre. Se débarrasser de ce qui m’encombre et me retient, c’est devenir libre et pouvoir accéder à la réalité de Dieu en moi.
Z – 16 mai 2025
Source photo : @minhyunwoo_ sur instagram