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« Vous ne savez pas ce que vous demandez. »
(Mc 10, 38)

Si on va trop vite à la lecture de l’Evangile du jour (Mc 10, 35-45), on risque de ne retenir qu’une certaine indignation face à la demande audacieuse des fils de Zébédée, Jacques et Jean, compagnons de la première heure ou, encore, de s’attarder sur le développement (théologique – donc postérieur ?) de la réponse de Jésus  et s’attarder soit sur l’annonce du détachement et de la souffrance, soit sur l’annonce du service.

Dans l’accueil de ce texte d’aujourd’hui, ce qui me frappe , c’est cette réponse de Jésus : “Vous ne savez pas ce que vous demandez.” C’est vrai, quoi, quelle mouche a bien pu piquer les deux frangins pour qu’il fasse une telle demande de privilège au risque de se couper des autres apôtres ? Probablement, ont-ils réfléchi, prié, médité avant d’oser une telle demande et s’estiment-ils en droit ou en capacité de la faire.  Compagnonner avec Jésus, ressentir des émotions ou même des intuitions spirituelles fortes , et hop, voilà-t-y pas qu’on se croit méritant, déjà arrivé, presque arrivé, si près d’arriver… Allez, Seigneur, dis-le nous que tu nous réserves une place !

“Vous ne savez pas ce que vous demandez.”

Maintenant, je prends juste cette phrase de Jésus. Parce que ce sont ses premiers mots, sa première réponse. Et qu’il n’y a aucune raison à se précipiter pour connaître la suite de la réponse. Jésus les a peut-être prononcé doucement, ces mots. Lentement peut-être. Et tous les points de suspension qu’il y avait peut-être derrière et dont  le texte ne peut rendre compte. Oui, laissons résonner un peu cette phrase, à la manière de la méthode des Focolari qui consiste à méditer un verset, longuement, lentement, aussi peu inspirant et ardu qu’il soit.

“Vous ne savez pas ce que vous demandez.”

Ca sonne un peu comme dans cet autre passage de l’Evangile : «  À qui donc vais-je comparer les gens de cette génération ? À qui ressemblent-ils ? Ils ressemblent à des gamins assis sur la place, qui s’interpellent en disant : Nous vous avons joué de la flûte, et vous n’avez pas dansé. Nous avons chanté des lamentations, et vous n’avez pas pleuré.» (Lc 7, 31-32).  Personnellement, je n’arrive pas à imaginer une once de colère dans ce doux reproche fait par Jésus.

“Vous ne savez pas ce que vous demandez.”

Toujours cette projection de soi-même dans un ailleurs, fût-il beau.Projection de soi pour être heureux plus tard, et pour “avoir” quelque chose alors qu’il s’agit simplement d’être. Jacques, Jean, fils de Zébédée, compagnons de de la première heure, me connaissez-vous encore si peu ? Tout ce que Je suis, vous l’êtes aussi si vous renoncez à paraître et à avoir, la clef est en vous. Tiens, ça me rappelle aussi la réponse faite à Philippe quand celui-ci lui dit en gros : “allez Jésus, quoi, montre-nous le Père et cela suffira!” (Jn 14,8) La réponse de Jésus est du même style : “Quoi, Philippe, si longtemps que tu es avec moi et tu n’as toujours pas compris ?”

“Vous ne savez pas ce que vous demandez.”

Vous êtes encore à l’extérieur de vous-même et, du coup, vous demandez des choses qui ne ne sont pas ajustées, pas conformes à la vérité, à votre vérité, la vérité de votre être.  C’est la seule chose qui compte: se retrouver soi-même, se reconnecter profondément à la Source de la Vie qui sourd au fond de soi. Vous croyez la voir  (l’avoir ?) parce que vous la percevez en moi et en goûtez le rayonnement, mais c’est du lieu de votre propre source dont il s’agit, car c’est la même mais elle est en vous.

“Vous ne savez pas ce que vous demandez.”

Mon chemin n’est pas votre chemin. Ou plutôt, s’il l’est, c’est qu’il a une valeur intrinsèque que vous ne percevez pas. Pour qu’il soit votre chemin, il vous faut faire les choix que je fais, celui d’Être complètement disponible à mon Père. Ce choix ne se passe pas à la surface de vous-même, il ne s’installe pas par l’effort et le vouloir. Il s’accueille de l’intérieur. Vous savez, comme quand on se sent aimé et que ça fait chaud à l’intérieur au point qu’on ne sait plus si on se sent aimé ou si on se sait aimé, tellement c’est pareil, parce que c’est là, à l’intérieur, et que ce qui vient de l’extérieur n’est qu’un réveil, un rappel et une confirmation de ce qui était déjà là ainsi qu’une invitation à le laisser grandir en soi.

“Vous ne savez pas ce que vous demandez.”

Une seule chose est nécessaire, comme dans l’Evangile annoncé au jeune riche (Mc 10,17-22) : puisque tu as tout et que ça ne suffit pas, vends tout, donne aux pauvres et suis moi. Sois libre, sois disponible !  Revenir. revenir à soi. Cela semble l’essentiel, sans jeu de mots: essentiel car retour à l’Essentiel.  Qui a pensé que revenir, c’est ce qu’on traduit maladroitement par “se convertir”?  La conversion, μετάνοια métanoïa en grec, indique un renversement, un changement de pensée, un retour de soi-même (à ne pas confondre avec la métamorphose qui serait une transformation de soi).   Se convertir, du latin converto, c’est littéralement, se retourner, arrêter  la marche dans une direction illusoire,  se retourner pour se retrouver, revenir.

“Vous ne savez pas ce que vous demandez.”

Pourquoi je parle tout à coup de conversion? Je n’aime pas ce mot d’ailleurs qui aujourd’hui est fortement connoté négativement, soit parce qu’on l’a traduit souvent avec le mot “repentance”, au risque d’induire une culpabilisation excessive et injustifiée (au sens  qu’on ne la justifiait pas !) soit, parce que projeté sur les autres, il exprime le désir de les voir se retourner vers nous, au mépris de la violence qu’il y a  dans une telle démarche de vouloir pour l’autre ce qu’il doit être. Non, se convertir, ce n’est pas ça. C’est revenir. C’est oser se reconnecter avec son être profond et ressentir qu’il n’y a que là qu’on est bien et qu’on peut être homme ou femme de bien. Oser revenir.

“Vous ne savez pas ce que vous demandez.”

Bon, c’est le moment que je le dise…  Le mot qu’on a traduit par “se convertir”, en hébreu, est ShOUB, et son sens originel est justement “revenir”, ou “se retourner pour revenir sur ses pas”. Comme par exemple dans le psaume 79,4 : “Dieu, fais-nous revenir ; que ton visage s’éclaire et nous serons sauvés !”  Tiens, puisqu’on est dans les psaumes, je ne peux pas m’empêcher de continuer. Au suivant, le psaume 80, on découvre :  « Ah ! Si mon peuple m’écoutait, Israël, s’il allait sur mes chemins !” et au 81 : ” sans savoir, sans comprendre,  ils vont au milieu des ténèbres : les fondements de la terre en sont ébranlés.  Je l’ai dit : Vous êtes des dieux, des fils du Très-Haut, vous tous ! Pourtant, vous mourrez comme des hommes, comme les princes, tous, vous tomberez ! »

“Vous ne savez pas ce que vous demandez.”

Je l’ai dit, vous êtes des dieux. Dieu n’a pu vous créer, à son image et selon sa ressemblance, sans que vous soyez marqués de son origine divine. D’où vient qu’au lieu de revenir à cette parcelle de divinité en vous, vous soyez toujours en train de courir après une réalisation de vous éphémère, illusoire et impossible  à l’extérieur de vous ? Revenez, oui, revenez, chacun de vous, mon peuple, revenez à vous.

“Vous ne savez pas ce que vous demandez.”

Jacques, Jean, et nous tous qui ressemblons aux fils de Zébédée, nous côtoyons le Maître, cherchant à happer quelque chose de sa présence, de sa puissance ou de son aura. Quelle perte de temps ! Il me semble que j’entends Jésus me dire que le Royaume des cieux n’est pas loin, qu’il ne consiste pas à faire ou à avoir, mais à vivre de sa vie et que sa vie est profondément centrée, équilibrée, connectée, en Dieu, à l’intérieur, à la Source dont il se reçoit. Alors oui, le Royaume n’est pas si loin pour peu qu’on veuille bien revenir, et pas autre chose.

“Vous ne savez pas ce que vous demandez.”

Et si vous écoutiez, vous sauriez. Car ce n’est pas la première fois que Jésus parle ainsi.  Et après tout ce détour par l’idée de  se retourner et de revenir, il m’apparaît qu’une autre phrase de Jésus  traduit cette invitation à revenir  à Soi, traduite par ” Convertissez-vous  car le Royaume des cieux est tout proche” (Mt 4, 17) et souvent mal comprise  comme s’il fallait “faire” quelque chose, manifestation d’un “convertir” pour mériter le Royaume des Cieux, là où Jésus nous dit simplement  :   “Retournez-vous : vous êtes tout proche de vivre en l’Être de Dieu.”

“Vous ne savez pas ce que vous demandez.”

Μετανοεῖτε: ἤγγικεν γὰρ ἡ βασιλεία τῶν οὐρανῶν. Metanoeiteēngiken gar  basileia tōn ouranōn.

Metanoeite est : “Revenez, faites retour.”
ēngiken est  : “Il est tout proche“, au point que l’on touche déjà cette réalité, d’où parfois la  traduction anglaise “il est à portée de mains“.
gar exprime un lien d’évidence qu’on peut traduire par car, parce que, ou en effet, et que les anglais traduisent par indeed. On pourrait se risquer à le traduire ici par vraiment ou évidement. Ou simplement par OUI.
est l’article défini,féminin,  c’est donc celui-là/celle-là, pas un(e) autre !
basileia est le terme employé pour royaume, mot ô combien mal compris : un royaume, c’est un territoire, mais aussi un pouvoir, une autorité, une gouvernance, l’exercice de cette autorité. Comme il est doux que ce mot soit féminin.
tōn  est la marque du génitif masculin pluriel (complément de nom)
ouranōn est souvent traduit par les cieux, il y a dans  ce mot l’idée à la fois d’une élévation (vers le ciel) et d’un accès à des mondes, pas forcément immédiatement accessibles, qu’ils soient visibles et invisibles. C’est aussi le monde de la vérité,  de ce qui ne nous est pas (encore) connu.

Vous ne savez pas ce que vous demandez.”

Donc, oui, vous ne savez pas ce que vous demandez quand vous demandez l’exercice d’un pouvoir sur les choses ou les êtres, même pour me faire plaisir, même pour être en accord avec Dieu. Ca ne marche pas comme ça.

Revenez, plutôt à vous-même, car, oui, il est là, tout proche à portée  de mains – Ah que les anthropomorphismes sont piégeants !  Elle est là, toute proche, déjà là, là Présence de Dieu, l’Être qui vous porte et porte les univers.  Il est là, l’Être et l’Etant, toujours disponible. Pourquoi le chercher ailleurs ?

“Vous ne savez pas ce que vous demandez.”

*”Revenez, oui, elle est là, toute proche, la Présence de Dieu.”

 

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Zabulon – 18/10/2015

Source image :  Oscar & Moisés sur hairflips.net

revenir

Ce qui est vrai,
est-il toujours vrai ?

Oui.

Alors pourquoi
ai-je passé tant de temps
à partir ailleurs
à chercher autre chose
à me fuir moi-même
à me chercher ailleurs ?

A bout de course,
à bout de souffle,
j’arrive,
j’arrive ou je reviens,
je reviens à moi.

C’est comme ces chemins initiatiques,
racontés si souvent, par lesquels
le voyageur part dans des pays lointains
vivre des expériences inédites,
étoffer son personnage,
puis revient à son point de départ.

Revenir, oui,
mais différent et plus fort,
revenir autrement,
revenir capable
d’accueillir sa vérité
et y plonger.

Donc me revoilà.

A bout de course,
à bout de souffle,
me voilà face à ma vie,
comme invité à plonger
en l’Essentiel.

L’essentiel…

Je retrouve les fulgurances,
belles et engageantes,
de ma jeunesse,
comme autant d’instants fondateurs
que j’avais délaissés.

C’est un mystère cette errance
ailleurs que là où on est chez soi.

Peut-être étais-je trop jeune,
peut-être trop naïf.
Non, pas trop naïf,
naïf tout court.
Et, dans le bel âge de la jeunesse,
quand on est naïf,
on est sensible et fragile.

Et, il faut vivre,
et construire.
En tout cas,
c’est ce que l’on croit,
c’est ce que semble dire la vie.
Alors je suis parti, parti,
loin de moi-même.

Oh, toujours fidèle
à cette partie de moi-même,
mais comme en rêve,
comme en souvenir.

Maintenant, je veux revenir.

Je veux retrouver
les intuitions de ma jeunesse,
celles qui me remplissaient
et me rendaient vivant,
celles par lesquelles je m’émerveillais
et étais disponible au monde.

Je veux rentrer chez moi,
retrouver la beauté de ces élans
qui étaient directement connectés à la Vie,
– et je ne le savais pas!
qui allumaient un feu en moi,
ou était-ce un flot ?

Je veux retrouver mes rêves,
car ils n’étaient pas que des rêves,
ils étaient une espérance portée au monde
qui jaillissait d’un profond infini.

Je veux retrouver ce temps
où j’étais comme une page blanche,
une terre inculte,
un champ sans sillon.
Qui sait si, déjà,
j’étais conditionné ou influencé
par mes expériences intra-utérines
ou ma prime enfance ?
J’étais une terre disponible,
une terre belle et sauvage
dans laquelle jaillissaient des sources.

La vérité que je ressentais,
je ne savais pas que c’était la vérité.
Alors je suis parti vivre,
je suis parti découvrir, expérimenter,
je me suis oublié, je me suis un peu cabossé.

Je suis parti pour vivre,
n’est-ce pas le chemin d’un homme?

Mais parce que ce qui est vrai,
est toujours vrai,
je veux revenir
maintenant.

Je veux rentrer chez moi,
revenir différent et plus fort,
mais non sans retrouver
cette naïveté
qui fait que toute chose est belle,
et que toute découverte, toute rencontre,
sont merveilleuses.

Vrai, Seigneur, je reviens.
Accueille-moi chez toi, chez nous.
Je voudrais rallumer le feu
sans plus chercher ailleurs.
Je voudrais rallumer le feu,
et calmement accueillir celui qui passe
comme un ami qui est lui aussi sur sa route,
être signe pour lui de ta présence
qui le renvoie à sa propre route.

Voilà, voilà ma vocation, finalement.
Tant de temps pour la découvrir.

Juste être là,
Te laisser faire
avec cette part de moi
qui est de toi
et qui ne demande qu’à grandir
du moment que je sois là.

Zabulon – 13 oct 2015

contigo_a_14

CONTIGO AVEC TOI
¿Mi tierra?
Mi tierra eres tú.

¿Mi gente?
Mi gente eres tú.

El destierro y la muerte
para mi están adonde
no estés tú.

¿Y mi vida?
Dime, mi vida,
¿qué es, si no eres tú?
*
Luis Cernuda
***

Ma terre ?
Ma terre, c’est toi.

Mon peuple ?
Mon peuple, c’est toi.

L’exil et la mort,
pour moi c’est là où
tu n’es pas.

Et ma vie?
Dis-moi, ma vie,
qu’est-ce, si ce n’est pas toi ?
*
Luis Cernuda
***

Source : cristianosgays

Je n'ai rien qu'aujourdhui

Pour t’aimer sur la terre,
je n’ai rien qu’aujourd’hui…

Thérèse de Lisieux

 

 

Ma vie n’est qu’un instant, une heure passagère
Ma vie n’est qu’un seul jour qui m’échappe et qui fuit
Tu le sais, ô mon Dieu ! pour t’aimer sur la terre
Je n’ai rien qu’aujourd’hui !…

(…)

Que m’importe, Seigneur, si l’avenir est sombre ?
Te prier pour demain, oh non, je ne le puis !…
Conserve mon cœur pur, couvre-moi de ton ombre
Rien que pour aujourd’hui.

Si je songe à demain, je crains mon inconstance
Je sens naître en mon cœur la tristesse et l’ennui.
Mais je veux bien, mon Dieu, l’épreuve, la souffrance
Rien que pour aujourd’hui.

Je dois te voir bientôt sur la rive éternelle
O Pilote Divin ! dont la main me conduit.
Sur les flots orageux guide en paix ma nacelle
Rien que pour aujourd’hui.

Ah ! laisse-moi, Seigneur, me cacher en ta Face.
Là je n’entendrai plus du monde le vain bruit
Donne-moi ton amour, conserve-moi ta grâce
Rien que pour aujourd’hui.

(…)

Je volerai bientôt, pour dire tes louanges
Quand le jour sans couchant sur mon âme aura lui
Alors je chanterai sur la lyre des Anges
L’Eternel Aujourd’hui !…

 

Texte intégral de ce poème ici : http://www.therese-de-lisieux.catholique.fr

calme-mer-etale

Et tout à coup,
C’est le calme.

Immense,
Présence,
Silence.

Cela ressemble
à cette mer étale
des marées sans vent.

Le temps arrêté,
L’air en suspens
Le clapotis des vagues

A peine perceptible.

Le calme.

Pas une tranquillité factice,
Pas un endormissement,
Pas un rêve même éveillé.

Le calme.

Qui prend le corps,
Curieusement le réveille
Mais sans douleur,

avec une infinie douceur.
Et au cœur de ce calme,
Comme une présence,

LA présence.

Je suis vivant,
Mon corps redit
Des émotions enfouies.

Une onde jaillit,
D’un tréfonds jusque-là occulté,
Douce, silencieuse.

Mon corps se réveille.
Je me sens bien.
Calme, si calme.

Hara.

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Zabulon – 29/09/2015